Demain

Demain soir, 7 mai, nous aurons un nouveau Président de la République. Nous avons eu droit à une campagne électorale polluée par les « Affaires », comme on dit en France pour parler des fraudes et malversations de nos hommes et femmes politiques. Puis nous nous retrouvons encore une fois à devoir dire non à l’accession au pouvoir de l’extrême droite, portée par Marine Le Pen et quelques millions de Français. Quel choix ! Nous avons assisté médusés (mais après tout, pas tant que ça : qu’attendre d’autre d’un parti d’extrême-droite ?) au rituel débat télévisé de l’entre-deux tours. Pitoyable, affligeant, inquiétant, avec une candidate qui se comportait comme dans un de ses meetings.

Si vous voulez, allez regarder de bonnes analyses illustrées par des extraits du débat dans l’émission  » C à vous », qui commence par cette question : « Peut-on débattre, faut-il débattre avec Marine Le Pen ? »

Mais je vous laisse plutôt écouter quelques témoignages, entendus à la radio, au fil des semaines, avant tout ce bazar électoral. Une vieille dame d’abord, qui a une étrange stratégie pour choisir !
Puis des habitants de Creil, parce qu’ils parlent de culture, du rôle qu’elle joue pour changer des vies. Et aussi parce que c’est là que j’avais eu mon premier poste de prof et que j’y ai passé quelques années! (A l’époque, il n’y avait pas le théâtre dont il est question dans ces entretiens.)

Présidentielle – Dédée

Transcription:
– Bonjour !
– On vous a peut-être interrompue. Non ?
– Non. Je suis en train de faire mon manger (1). Des rognons de porc au vin blanc et sauce tomate. Vous voulez venir voir ? Bah venez voir.
– C’est Les Feux de l’Amour ? (2)
– Voilà !
– Est-ce qu’on peut encore vous parler ou pas ?
– Oui, oui, oui. De toute manière, c’est toujours pareil. Alors… Ils s’engueulent (3), ils se marient, soit ils divorcent. Et voilà.
– Vous suivez un petit peu la campagne électorale, sur votre grande télé, là ?
– J’essaye. Mais ils me font rire. On dirait des gamins de cinq ans qui se disputent.
– Est-ce que vous avez…
– Comment voulez-vous qu’on aille voter, qu’ils (4) sont toujours en train de s’engueuler !
– Vous avez toujours voté, vous, Dédée ?
– Oui.
– Là, vous allez voter ?
– Oui. Je fais comme ma grand-mère : même si c’est le dernier, elle fait (5), je prends le plus beau, je vote pour lui.
– C’est qui le plus beau ?
– Ah, je sais pas ! Alors là !
– Vous êtes arrivée quand ici ?
– 1973. Bah j’habitais juste la porte à côté. Et quand je me suis retrouvée toute seule, j’ai pris celui-là. (6) Je paye 265 euros par mois. J’ai pas droit (7) à l’APL (8), à rien. Je dépasse un tout petit peu le plafond (9), on m’a dit. Mais bon, toute seule, j’y arrive.

Présidentielle Creil

Transcription:
Je trouve que la place de la culture, c’est un peu la dernière roue du carrosse (10). Je sais pas, j’ai pas entendu de candidats faire des propositions. Vous en avez entendu parler, vous ? Moi, pas. Si,, ce dont on parle, c’est l’éventualité de Marine Le Pen, si par malheur (11), le Front National arrivait à la présidence de la République, on se demande quand même ce que va devenir la culture, voilà.

J’ai 19 ans. C’est un peu ma mission à moi de ramener le public de cité (12), le public jeune, parce que moi, je viens de ce public-là. Je sais ce que c’est. On dit : « Non mais de toute façon, ils veulent pas », alors qu’on n’en sait rien en fait, on leur a pas posé la question. On n’a pas parlé avec eux comme à des personnes normales. J’ai fait du théâtre en première (13) grâce à une de mes profs qui venait beaucoup à la Faïencerie (14). Et j’adore ça. J’ai l’impression que c’est la seule chose qui dépasse les limites et les barrières. A partir du moment où on arrive à accéder à la culture, on s’ouvre à des opportunités énormes, parce qu’on voit plus du tout les choses de la même manière, donc on s’interdit moins de choses.

Faut surtout pas faire une sous-culture à Creil. Moi, j’ai peur que ça ferme (15). Il y a des gens qui peuvent pas aller à Paris. Donc ils iront plus au théâtre. Les politiques se rendent pas compte de ça. Ils sont ailleurs. Quand j’entends dire : « Faut travailler plus ». Mais il faudrait faire de la civilisation des loisirs, partager le travail, puis créer d’autres activités, de loisirs notamment !

Des explications :
1. mon manger : mon repas. (familier) On n’entend plus très souvent les gens utiliser cette expression.
2. Les Feux de l’Amour : elle est en train de regarder un épisode de ce feuilleton américain (The young and the restless) à la télévision.
3. S’engueuler : se disputer (très familier). On peut l’utiliser aussi comme verbe normal (non pronominal) : engueuler quelqu’un. Par exemple : Il m’a engueulée parce que j’ai oublié de lui rendre ses clés. / Il s’est fait engueuler par ses parents. Et il y a aussi le nom : une engueulade, c’est-à-dire une dispute.
4. Qu’ils sont toujours en train de s’engueuler : cette structure n’est pas correcte, juste orale. C’est un raccourci de : alors qu’ils… ou de : puisqu’ils…
5. elle fait = elle dit (familier). De plus, ce verbe devrait être à l’imparfait, vu l’âge de cette vieille dame. (Elle faisait)
6. celui-là : cet appartement-là
7. avoir droit à quelque chose : être autorisé à recevoir une aide par exemple, remplir les conditions pour obtenir quelque chose. Aujourd’hui, on entend aussi : être éligible (sous l’influence de l’anglais), alors qu’avant, être éligible, c’était simplement pouvoir se présenter en tant que candidat à une élection.
8. l’APL : c’est une aide pour payer son loyer quand on a des revenus insuffisants.
9. Dépasser le plafond : c’est avoir davantage de ressources que la somme limite prévue pour avoir droit à une allocation, à une aide.
10. La dernière roue du carrosse : la véritable expression, c’est être la cinquième roue du carrosse, c’est-à-dire une roue qui n’existe pas puisqu’un carrosse roule avec quatre roues. (familier) Cette expression est donc utilisée à propos de quelque chose ou de quelqu’un qui est inutile ou qui n’est pas pris en considération.
11. si par malheur = si malheureusement, si hélas
12. le public de cité : les spectateurs qui vivent dans les cités HLM, dans les quartiers défavorisés.
13. En première : c’est une des classes du lycée. (Il y a d’abord la seconde, puis la première, puis la terminale).
14. La Faïencerie: c’est le nom du théâtre de la ville de Creil, dans l’Oise, à une quarantaine de kilomètres au nord de Paris. Il tire son nom de sa construction sur l’emplacement d’une ancienne usine de faïence.
15. J’ai peur que ça ferme : les théâtres ont besoin de subventions (de l’Etat, des régions, des villes) pour vivre et être ouverts à tous. Quand le budget de la culture diminue, ils sont directement menacés.

L’émission avec Dédée est ici.

L’émission à Creil est ici.

7 réflexions sur “Demain

  1. Svetlana dit :

    Bonjour Anne,
    je comprends bien ton inquiétude. L’heure J va arriver. On parlera plus tard du choix des Français.
    Bon week-end.

    J’aime

  2. Anne dit :

    Bonjour Svetlana, on va suivre les élections législatives maintenant !
    Bon weekend à toi (deux semaines plus tard!)

    J’aime

  3. greenroslyn dit :

    Bonjour Anne, merci beaucoup pour ton aide et surtout pour la transcription et le fichier audio, les deux sont très utiles pour les apprenants comme moi en Australie. C’est fascinant pour moi de savoir comment des français ont réagi à la situation politique dans leur pays. Je viens de trouver ton blog et je te remercie pour tout ton travail. – Roslyn

    J’aime

  4. Anne dit :

    Bonjour Roslyn et bienvenue !
    Merci pour ton gentil message de l’autre bout du monde ! Un beau bout du monde où j’aimerais bien retourner car j’ai beaucoup aimé mon voyage dans ton pays il y a quelques années.
    Ton français est parfait ! Le parles-tu pour ton plaisir ou pour tes études, ou ton travail ?
    A bientôt. Anne

    J’aime

  5. greenroslyn dit :

    Bonjour Anne, merci beaucoup pour ton encouragement! Oh non, j’apprends le français seulement pour mon plaisir (bien que ce soit quelquefois un plaisir un peu douloureux!). Je suis professeure d’anglais et d’allemand. Le français me donne un sentiment d’humilité et je n’arrive pas à le parler très bien. Mais je viens de lire ton article sur le thème « Qu’est-ce qui se passe? » et j’ai apprécié particulièrement ton enregistrement et bien sûr toutes les phrases que tu as expliquées si clairement. Ça me rend heureuse de savoir que tu as aimé mon pays et le temps que tu as passé ici. Merci encore une fois! – Roslyn

    J’aime

  6. Anne dit :

    Merci encore Roslyn. Cela me fait plaisir de partager ce que j’aime et de savoir que cela apporte quelque chose à ceux qui me lisent. As-tu aussi eu le plaisir de venir en France ? 🙂 (Ou peut-être en Nouvelle Calédonie ? C’est moins loin pour toi !)
    Moi, je suis en fait prof d’anglais ici. J’ai essayé de me remettre à l’allemand, que j’ai étudié au lycée. Mais je n’arrive pas à accepter de ne pas pouvoir dire ce que je veux ! Je crois que je n’ai plus cette patience qu’il faut pour bien parler une langue. Donc bravo à toi de faire tout ce travail.
    A bientôt

    J’aime

  7. Roslyn dit :

    Bonjour Anne,
    Oui, je suis venue en France trois fois, mais jamais depuis j’ai commencé à apprendre le français. Ça sera intéressant un de ces jours de découvrir ton pays avec le nouveau point de vue qu’apprendre la langue rend possible – maintenant que je pourrai comprendre des informations et lire des explications dans les galeries, par exemple.

    Donc tu es prof d’anglais comme langue étrangère? Ça serait un défi, je m’imagine. Je comprends exactement ce que tu veux dire de l’apprentissage de l’allemand. Même si on a appris une langue étrangère relativement bien, on ne s’exprime jamais si vite ou intelligemment en la parlant qu’en sa langue maternelle. C’est un grand plaisir de pouvoir dire tout ce qui vient dans l’esprit sans avoir à réfléchir et se tourmenter pour trouver les mots!

    Quelquefois je crois en fait qu’en apprenant une langue étrangère, on appris surtout à mieux reconnaître ses propres limitations…

    En tout cas, merci pour ton site et tes réponses. J’ai déjà lis plusieurs de tes articles et je les trouve mille fois plus intéressants que les manuels que je possède.

    Roslyn

    J’aime

Commenter

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.