Des pas ou des mails ?

Il fut un temps où nous n’avions pas d’ordinateurs, ni de smartphones évidemment ! Mais je n’arrive pas à me souvenir comment nous communiquions au travail et à propos du travail, tellement les choses ont changé et en si peu de temps. La seule chose que je me dis, c’est que nous devions être très tranquilles, que les choses devaient prendre plus de temps et que la frontière entre temps de travail et temps personnel devait être plus tranchée, sans que cela gêne personne puisqu’on ne pouvait pas faire autrement.

La plupart de mes collègues – de tous âges – ont fini, il y a deux ou trois ans, par décider de ne plus répondre aux mails professionnels ou d’étudiants pendant le weekend ni après une certaine heure le soir en semaine : « on verra ça demain matin », « on verra ça lundi », ou même parfois, « on verra ça après les vacances ».

Nous avions déjà l’habitude de ne pas séparer de façon nette vie personnelle et vie professionnelle car en tant qu’enseignants, oui, nous avons un temps relativement court de présence devant les étudiants mais avec un temps de préparation, de recherche, de corrections de copies, de réunions qui n’est pas défini et est pris aussi sur les weekends, les soirées, les vacances. Alors répondre aux mails n’importe quand paraissait normal et nécessaire. Mais à un moment donné, certains ont dit trop, c’est trop !

Si je parle de ça aujourd’hui, c’est parce que je suis en vacances. Et que cela me fait beaucoup de bien de ne pas être en contact avec le travail pendant quelques jours – mais j’ai des copies à corriger ! Cela m’a remis en mémoire une émission entendue il y a deux ans, sur ces entreprises qui instituent des demi-journées ou même parfois des journées sans mails pour leurs salariés. C’est ce dont parlait cette jeune femme proche de la trentaine dont j’avais gardé le témoignage sympathique. Toujours d’actualité, d’autant plus à propos de ce qu’elle dit de ses rapports avec son téléphone. Comment ne pas s’y reconnaître ?

Des pas ou des mails

Transcription:
– C’est une hygiène de vie (1). Ça habitue aussi les gens à se dire : Bon bah, il faut peut-être prendre un peu de recul (2) vis-à-vis de tout ça et pour chaque action, il y a pas toujours un email. Un coup de téléphone, ça peut être important et tout simplement, aller voir la personne. Personnellement, j’ai un podomètre qui fait que le vendredi matin sans emails, c’est le moment où je fais le plus de pas !
– Vous avez vraiment un podomètre qui mesure…
– Oui, regardez ! Je vous le montre : par exemple, je suis à 4000 pas et je sais que quand je suis à la journée… la demi-journée sans emails, je suis à au moins, pour la matinée, à 7000 pas. C’est long, hein, Price Minister ! Il faut les traverser, les bureaux ! Moi je travaille à la communication, donc c’est un des services quand même les plus transversaux (3) et donc je vais… je vais encore plus loin ! Je vais voir le SAV (4), je vais voir les commerciaux, en bas, les techniques, enfin vous verrez, c’est… c’est très sportif (5), c’est très sympa.
– Et c’est surtout les gens à qui vous enverriez des mails si vous n’aviez pas cette journée sans emails ?
– C’est plus rapide en fait, pour être tout à fait honnête, c’est plus rapide d’envoyer des emails. Mais c’est dommage (6). Et parfois, en fait, bah on reçoit tellement d’emails, quand vous arrivez le matin, c’est le premier réflexe, je pense, c’est de consulter ses emails. Et ça peut être très stressant. Et en fait, on se dit : Oh là là, mon dieu ! En fait, on voit tout ce qu’on n’a pas fait pendant la soirée, parce que il y a quand même des emails qui sont envoyés pendant la soirée, donc ça peut être assez anxiogène (7) pour certains. C’est important de le dire, c’est en externe (8), on peut pas envoyer d’emails, certains ont même un message d’absence pour dire : « Voilà, bonjour, c’est le vendredi matin sans emails chez Priceminister. Je répondrai à votre email dans l’après-midi. »
– Et est-ce que vous êtes du genre (9), comme beaucoup de personnes, à regarder vos mails le weekend, à ne pas complètement déconnecter ?
– J’avoue que je suis assez aliénée (10) sur ce sujet. En fait, je vais consulter rapidement mes emails tous les soirs et le matin en me réveillant, c’est une habitude, parce que je n’ai pas envie justement d’arriver au bureau et de voir 150 emails de retard. C’est insupportable !
– Donc vous préférez finalement prendre un peu d’avance et déjà les regarder au saut du lit.(11)
– Exactement. Je ne veux pas y répondre parce que je veux quand même faire comprendre aux gens que bah on on a tous une vie, hein, qu’on ait une vie de famille ou une vie sociale un peu développée, on a tous une vie après le travail. Mais c’est vrai que même pendant mes vacances, l’idée de me retrouver avec 700, 800 emails de retard, c’est insupportable. Et en plus de ça, je suis ultra-connectée. Je regarde aussi les tweets et tout ce qui se passe sur Facebook, j’avoue !
– Est-ce que parfois, c’est pfff (12)… ça vous submerge, d’être aussi connectée ?
– Oui. Ça peut vraiment être étouffant, pour être tout à fait honnête. Après, c’est à moi aussi de me l’imposer. Je me force, plutôt que de répondre à un email, d’aller voir la personne, même si c’est hors journée sans emails. J’essaie de faire en sorte que « Ok, viens, on discute, on va essayer de trouver une solution. » Et ça… je pense… ça calme tout le monde, en fait, parce que vous allez voir la personne, en cinq secondes, vous avez réglé le problème. Il faut qu’on continue, il faut que ça se développe et il faut vraiment que ça devienne – je persiste avec ce mot – une hygiène de vie en fait.
– Ça vous est déjà arrivé par exemple de pas avoir (13) de téléphone pendant quelques jours ?
– Vous êtes pas malade ? (14) C’est pas possible !
– Est-ce que ce serait un drame (15) de plus avoir son téléphone un jour, deux jours, trois jours ?
– Je sais que si j’oublie mon téléphone chez une amie, ça peut m’arriver, je suis capable de faire demi-tour (16), vraiment ! C’est mon couteau suisse (17) à moi, j’ai ma vie personnelle, ma vie professionnelle dessus, c’est vrai que si on me le vole… hum…. je vais peut-être pas être de très bonne humeur après, hein ! Mais… Mais oui, on se disait donc ça avec nos amis que ce serait vraiment pas mal (18), pendant quelques jours, on laisse le téléphone. Même en salle de réunion, moi, c’est un conseil que je donnerais, c’est… Bon, il faut avoir confiance, après, vous mettez un panier à l’entrée de la salle de réunion, tout le monde met son téléphone. Je vous assure… Moi, je suis persuadée de ça, en fait, c’est vraiment… On l’a en permanence et donc malgré tout, on porte nos problèmes avec nous.

Quelques explications :
1. une hygiène de vie : avoir une bonne hygiène de vie, c’est-à-dire avoir une vie saine (avec une bonne alimentation et une activité physique entre autres) ou une mauvaise hygiène de vie en fait. Ici, elle veut donc parler d’une vie équilibrée, avec de bonnes habitudes.
2. Prendre du recul : réfléchir avant de faire quelque chose et se détacher de ce qu’on fait de façon automatique.
3. Un service transversal : c’est un département dans une entreprise qui interagit beaucoup avec les autres.
4. Le SAV : le Service après-vente
5. c’est sportif : cela fait faire du sport, puisqu’il faut marcher, monter et descendre des escaliers.
6. C’est dommage : c’est regrettable
7. anxiogène : quelque chose qui crée de l’anxiété
8. c’est en externe : elle veut dire que la cette demi-journée sans emails concerne aussi les relations avec l’extérieur, l’interdiction n’est pas seulement en interne, entre collègues.
9. Être du genre à faire quelque chose : avoir l’habitude de faire quelque chose, avoir tendance à le faire très souvent. (plutôt familier). On dit par exemple : Elle n’est pas du genre à oublier les anniversaires. / Il est du genre à se stresser pour tout.
10. Être aliéné : normalement, c’est être fou. Donc ici, cela signifie qu’elle n’a pas une attitude équilibrée par rapport au téléphone, qu’elle est plutôt dominée par lui que l’inverse, qu’elle n’a plus son libre-arbitre.
11. Au saut du lit : dès qu’on se lève le matin.
12. Pfff : cette onomatopée exprime le découragement face à quelque chose qui paraît insurmontable.
13. De pas avoir : il manque « ne » comme souvent à l’oral = de ne pas avoir…
14. Vous êtes malade ! / Tu es malade ! = vous êtes fou / Tu es fou !
15. Ce serait un drame : ce serait très grave, très embêtant.
16. Faire demi-tour : ici, elle veut dire qu’elle retourne chez la personne chez qui elle a laissé son téléphone.
17. Un couteau suisse : ce couteau a plusieurs lames et d’autres accessoires qui le rendent utile dans de nombreuses situations. Donc on emploie souvent cette image pour décrire quelque chose qui a de multiples fonctions et est très pratique.
18. Ce serait pas mal = ce serait bien (familier)

L’émission entière est ici.
(Ce petit reportage commence vers 9’50)

6 réflexions sur “Des pas ou des mails ?

  1. Anne dit :

    On ne peut rien te cacher ! 😉
    Au départ, c’est en pensant à la façon dont on apprend une autre langue que j’ai eu envie de partager ce que je mets ici. Puis ça s’est élargi, parce que je ne suis pas prof de FLE et que de toute façon, ça m’aurait barbé de faire encore des cours ici aussi !

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