Leçon

Lilian Thuram BD

Les Français ont très peu voté aux élections européennes récentes. (En France, il n’est pas obligatoire d’aller voter.) Et parmi ceux qui l’ont fait, 25% ont donné leur voix au Front National, parti d’extrême-droite. Perte de repères, perte de confiance, perte de valeurs, perte d’espoir.
Alors la parole de gens comme Lilian Thuram, l’ancien footballeur champion du monde en 1998, a toute son importance. Il travaille avec sa fondation dans les écoles pour combattre les préjugés et le racisme. Une BD est sortie il n’y a pas très longtemps, qui raconte son histoire. Un joli portrait aussi de sa mère, entre autre, et de ceux qui l’ont inspiré et aidé à comprendre les sources du racisme.

Voici ce qu’il raconte de son enfance, petit gars arrivé des Antilles avec ses frères et soeurs pour rejoindre leur mère qui voulait leur donner un avenir meilleur en venant dans la région parisienne.

Lilian Thuram et la cité des Fougères

Transcription :
C’est là que vous avez grandi ?
– Oui, j’ai grandi à Avon (1), exactement dans une cité (2) qui s’appelle Les Fougères, c’est-à-dire que moi, j’arrive des Antilles (3), et puis, bah je connais pas beaucoup la géographie du monde. Et là, je découvre des personnes qui viennent du Zaïre, du Pakistan, du Portugal, de l’Espagne, du Liban, d’Algérie et d’autres encore.Et ça a été un moment extrêmement important, et qui explique que… la personne que je suis aujourd’hui, quoi, voilà.
C’est-à-dire que c’est en arrivant en France dans cette cité que vous avez découvert le monde, c’est ça que vous êtes en train de dire, vous vous êtes ouvert au monde extérieur.
– Ah bah complètement ! Lorsque j’étais enfant en Guadeloupe, si on m’avait parlé du Pakistan, je… je le connaissais pas, le Pakistan. Et… Et puis, la grande majorité des personnes aux Antilles, et notamment à Anse-Bertrand (4), avaient la même couleur de peau que moi. Donc voir toutes ces différences de couleur de peau, ou de… de coutumes – par exemple, lorsque j’allais chez mon ami Zia qui venait du Pakistan, j’étais intrigué (5) par comment sa maman était habillée, voilà. Ou même les odeurs. Lorsque j’allais par exemple chez mon ami juste en bas de chez moi, Paulin Kaganoungou, là aussi, la façon de s’habiller de la maman en pagne et les odeurs étaient complètement différentes. Ou bien quand j’allais chez Benito, sa maman était espagnole, là aussi on mangeait différemment. Et donc je trouve que vivre dans cette… dans cette diversité culturelle m’a… m’a appris très jeune qu’il y avait plusieurs façons de faire et de dire les choses. Et ça, c’est essentiel.

Quelques détails :
1. Avon : ville d’Ile de France, à environ 60 km de Paris, proche de Fontainebleau.
2. Une cité : c’est un quartier constitué essentiellement d’immeubles. (un quartier populaire.)
3. les Antilles : pour les Français, ce sont essentiellement les départements d’outre mer, la Guadeloupe, la Martinique.
4. Anse-Bertrand : c’est la petite ville de Guadeloupe où il est né et a passé les neuf premières années de sa vie.
5. Être intrigué : être surpris par quelque chose qui pique notre curiosité.

L’émission entière est là.
Il y est bien sûr question de l’esclavage, sur lequel repose notre histoire aux Antilles. De foot aussi et de travail acharné. Un beau portrait.

Ni tout à fait d’ici, ni tout à fait d’ailleurs

Groenland ManhattanJ’aime ce que dessine et raconte Chloé Cruchaudet. Dans son album Groënland Manhattan, elle donne corps aux récits d’exploration du Pôle Nord, au temps où Robert Peary ramenait de si loin des météorites et des Esquimaux pour les livrer à la curiosité de ses contemporains.
Histoire du déracinement de Minik, enfant puis adulte entre deux mondes.
Histoire vraie et reflet d’une époque encore si proche.
Histoire banale de la domination d’un monde sur un autre.

Chloé Cruchaudet
Chloé Cruchaudet explique dans cette petite vidéo pourquoi elle a eu envie d’entrer dans l’histoire de Minik, avec ses belles couleurs.

Transcription:
L’idée de ma bande dessinée Groënland Manhattan vient de mes goûts en matière de (1) lecture. J’aime beaucoup les récits de voyage, les récits d’explorateurs . C’est quelque chose qui est tellement à l’inverse de ma personnalité pantouflarde (2) que ça m’a toujours fascinée ! Un jour, je suis tombée sur (3) l’histoire vraie d’un petit esquimau qui s’appelle Minik, qui a vécu à l’extrême nord du Groënland, à la fin du 19ème siècle. Et ce petit garçon et quelques membres de sa tribu ont été ramenés par un explorateur américain du Groënland jusqu’à New York. Ce qui m’a beaucoup touchée, c’est que c’est une histoire de déracinement. C’est quelqu’un qui s’est jamais sent bien là où il était : à New York, on l’a traité comme le gentil Esquimau polaire, délicieusement exotique. Et une fois de retour chez lui, il a été traité comme un mythomane (4), parce que évidemment, tous les autres membres de sa tribu ne croyaient pas du tout au récit de sa vie New Yorkaise. J’ai vraiment eu l’impression d’avoir les personnages à côté de moi. J’ai eu froid avec eux, j’ai senti les odeurs de New York avec eux et j’espère beaucoup que ça fera le même effet aux lecteurs.

Quelques détails :
1. en matière de lecture : dans le domaine de la lecture
2. pantouflard : cet adjectif décrit quelqu’un qui aime rester chez lui, tranquillement, un peu paresseusement, dans ses pantoufles (c’est-à-dire ses chaussons). Les pantoufles sont le symbole de l’attachement aux habitudes.
3. tomber sur quelque chose : trouver, découvrir quelque chose par hasard.
4. Un mythomane : quelqu’un qui s’invente des histoires auxquelles il croit.

Groenland Manhattan - La postfaceIl y a beaucoup à regarder et à lire dans cet album, qui se termine par une belle postface, écrite par Delphine Deloget, réalisatrice d’un documentaire antérieur (que j’aimerais bien trouver quelque part) sur Minik et ses descendants.
En voici un court extrait où Delphine la voyageuse parle de Chloé, celle qui se dit pantouflarde ! Lorsque Chloé m’a contactée au sujet de son projet de bande dessinée sur Minik, j’ai remis le nez dans mes cartons, ressorti des photos, des archives sur l’histoire des Esquimaux de New York. Avec elle, j’ai replongé dans mes souvenirs et mes impressions de voyage à Thulé. Chloé se révélait de son côté une véritable enquêtrice. Elle ne laissait rien passer. Elle relevait certains détails de l’histoire qui m’avaient échappé. Son imaginaire au travail, elle allait redonner chair à l’histoire de Minik. Moi qui n’avais fréquenté Peary et Minik que par l’intermédiaire de photos en noir et blanc, je les redécouvrais maintenant en couleur, animés d’expressions si pleines de vérité. Elle avait créé en nuances ce qui précède et ce qui suit les événements rapportés par les archives, reconstituant ce qui m’avait si souvent manqué lors de ma propre enquête. L’histoire prenait vie et dépassait les simples faits historiques pour toucher l’intime d’un récit à la fois rocambolesque et poignant.

Allez regarder ici aussi, pour vous en rendre compte.
C’est beau !