La vie qu’il s’est choisie

Je n’écoute pas systématiquement la radio. Mais la radio, c’est bien parce qu’on n’est pas obligé de s’asseoir devant un écran. On se laisse accompagner, là où on est, par ces voix capables de nous accrocher, de nous emmener ailleurs, de nous faire faire des découvertes. J’aime bien cette idée des rencontres fortuites avec un reportage. C’était le cas hier. C’est ce dont je vous parle aujourd’hui dans cet enregistrement. Un petit avant-goût pour vous donner envie d’aller écouter en entier cette belle émission ! Et elles ne sont pas belles, ces chèvres très sociables que j’avais photographiées en Dordogne? Un hasard aussi, à cause d’un gros orage qui nous avait poussés à chercher un abri. Bon, vous avez une petite idée du sujet maintenant !

Sa vie avec des chèvres

Transcription:
Je vous ai parlé de cette émission qui s’appelle Les Pieds sur terre (1), cette émission de radio qui passe tous les jours, pendant à peu près une demi-heure, en début d’après-midi, et qui présente des reportages très, très variés. Et je suis tombée par hasard (2) en rentrant en voiture hier sur une émission qui était vraiment très sympathique : deux reportages qui s’appellent Changer le monde et c’était sur l’idée de se relier aux animaux. Et donc le premier reportage, c’était un éleveur de chèvres, en Bretagne, qui expliquait comment il est passé d’un élevage intensif, où on exploite les animaux, à un élevage beaucoup plus humain et plus en relation avec ces animaux. Et c’était tellement sympathique à écouter, tellement agréable que, voilà, je partage avec vous parce que d’abord, on apprend plein de choses sur la façon de… d’élever les chèvres en quelque sorte. Et puis aussi, les voix étaient très, très apaisantes, les voix… la voix de la journaliste et puis la voix aussi de ce monsieur, qui a une soixantaine d’années et qui a décidé de changer de façon de faire (3) et qui nous donne, là, un monde un peu plus joli, un peu plus respectueux des animaux, et c’était vraiment un petit moment magique !
Alors, il explique que dans la vie des chèvres, normalement, il faut produire, produire, produire et voilà, il explique comment ça se passe normalement, dans ce qu’on apprend pour notre agriculture intensive. Et lui, il a décidé qu’il ne voulait plus ça.

– Ça faisait une pointe de travail (4) au printemps complètement incroyable, quoi. Il fallait traire le lait. Puis après, il fallait faire une quantité phénoménale (5) de fromages à ce moment-là et de… le vendre sur les marchés (6). Et c’était des printemps en dépression ! Et le fait d’envoyer des paquets de chevreaux (7) comme ça qui partaient dans des camions dans des toutes petites cages pour l’abattoir puisque c’était pour l’abattoir. Et pour les mères qui les entendent, qui leur répondent, il y a une phase de stress quand même.
– Ça vous convenait pas. (8)
– Non,ça ne me convenait pas. Envoyer des chevreaux, des bêtes à l’abattoir, c’est… Surtout des chevreaux, ce sont des animaux très attachants (9). Et aussi parce que des chèvres qui mettent bas (10) tous les ans, tous les ans, tous les ans, c’est beaucoup de souffrance quelque part pour l’animal, quoi. Une fois, deux fois, trois fois. Il suffit de demander à toutes les femmes de la terre si elles voudraient faire des enfants tous les ans, tous les deux ans… C’est pas une vie (11), quoi ! Et puis les chèvres dans les élevages, elles ont une durée de vie extrêmement faible : une chèvre en première année, elle fait beaucoup de lait, en deuxième année, elle en fait encore plus, en troisième année, ça redescend un peu et en quatrième année, bon, ça commence à bien faire (12), elle… ça s’arrête là en général. Vous les envoyez à l’abattoir. Donc ça leur fait des vies vraiment très, très courtes.

Et donc, au lieu d’avoir des chèvres qui produisent… qui font des chevreaux pour avoir assez de lait, il s’est renseigné, il s’est intéressé et il a découvert que finalement, pour avoir des chèvres qui produisent assez de lait, ça n’était pas nécessaire qu’elles aient des petits tous les ans. Et il a complètement changé de façon de faire. Et donc il a un rapport avec ses chèvres qui n’a rien à voir avec les éleveurs qui font ça de façon intensive. Et c’est très respectueux et ses chèvres font partie de sa vie. Et il les accompagne jusqu’au bout, et ça c’était vraiment tout à fait magique.

– Donc là, vos chèvres, elles ont quel âge ?
– Là, disons que les plus productives en ce moment ont huit ans et neuf ans.
– Et donc ça fait sept, huit ans qu’elles produisent du lait sans avoir fait de chevreaux.
Sept ans et huit ans de lactation. Mais il y avait des précédentes qui se sont taries depuis et qui ont fait jusqu’à douze années de lactation.
– Donc vous les envoyez pas à l’abattoir ?
– Non. Elles meurent ici. Elles meurent tranquillement. Quelques jours avant une mort de vieillesse, on voit les premiers symptômes. Elle a du mal à (13) se lever. Du coup, elle commence à avoir des privilèges que les autres n’ont pas. Elle peut sortir du troupeau et vivre dehors, parce que elles l’ont mérité, quand même !

Alors, c’est sûr, on se dit que, en produisant aussi peu, évidemment, il va pas faire fortune. Et c’est vrai. De toute façon, ça n’a pas l’air d’être son objectif. Et ce qui est paradoxal en fait, c’est que, en travaillant de cette façon-là et en vivant avec ses animaux, il arrive à avoir un salaire qui lui permet de vivre, sans rien demander à personne, sans subventions, sans rien. Et surtout, en fait, il gagne souvent plus qu’un éleveur qui travaille en intensif parce qu’ il a éliminé tout un tas de frais(14) : des frais de vétérinaire pour le suivi des chèvres qui sont malades en élevage intensif, les frais de vétérinaire pour la mise bas des chevreaux, les frais d’abattoir pour faire tuer les animaux. Et donc finalement, il arrive à vivre de son activité. Et ça, c’était vraiment très instructif et très encourageant aussi.

– Là, avec votre troupeau de quatorze chèvres, vous faites combien de fromages par jour ?
– Là, en ce moment, j’en fais trente. En plein été, là, je suis monté à un peu plus de quarante. Trente fromages par jour, ça me rapporte… 76 euros brut (15) par jour. Ça fait vraiment des petits chiffres pour un éleveur, mais c’est largement suffisant. On n’a plus l’impression de faire de la production. On a l’impression de partager la vie avec des animaux et de s’échanger des services les uns les autres, quoi.

Voilà. Ensuite, le deuxième reportage, je ne vous en dis rien. Ce serait bien si vous l’écoutiez, parce qu’il est question d’un navigateur, en Bretagne. C’est normal, il y a beaucoup de marins en Bretagne. Et ce marin parle de Monique. Et je vous laisse découvrir qui est Monique en fait !

Quelques explications :
1. les pieds sur terre : le nom de cette émission vient de l’expression Avoir les pieds sur terre, qui signifie qu’on est bien ancré dans la réalité, qu’on ne vit pas dans un monde de rêve, fantasmé, qu’on est réaliste. Donc ce nom joue sur cette idée, dans la mesure où tous les reportages sont bien réalisés dans la réalité et en même temps, cela donne l’idée qu’on va y trouver tout ce qui fait la diversité de notre monde.
2. Tomber par hasard sur quelque chose (ou quelqu’un) : c’est être en contact avec quelque chose ou quelqu’un, découvrir quelque chose, alors que ce n’était pas prévu du tout. On peut employer juste le verbe tomber pour exprimer cette idée : tomber sur une émission très intéressante
3. la façon de faire : voici quelques exemples pour vous montrer comment on emploie cette expression : C’est ma façon de faire. Tu connais une autre façon de faire ? Il y a plein de façons de faire différentes.
4. Une pointe de travail : on dit plus souvent : un pic de travail, ce qui désigne le moment où une activité est à son maximum.
5. Une quantité phénoménale : ces deux mots vont souvent ensemble, pour parler d’une énorme quantité. On dit aussi : un nombre phénoménal de…
6. les marchés : dans les différentes villes, il y a en général un marché hebdomadaire où les commerçants autorisés viennent vendre leurs produits sur une place, dans la rue. Ils n’ont pas de magasins en dur.
7. Des paquets de chevreaux : de très nombreux chevreaux. Des paquets de = beaucoup de (style familier) On peut l’utiliser aussi au singulier : Il a un paquet d’argent. / Il produit un paquet de fromages.
8. Ça ne vous convenait pas = vous n’aimiez pas faire ça parce que ce n’était pas votre façon de faire.
9. Attachant : auquel on s’attache, qu’on aime bien. On parle en général d’une personne attachante. Par exemple : Ces enfants sont durs mais ils sont très attachants. Cependant, on utilise aussi ce mot pour des choses : un univers attachant, un film attachant, un livre attachant.
10. Mettre bas : donner naissance à des petits. C’est le terme employé pour les animaux. (Les femmes accouchent.) Ce verbe donne le nom : la mise bas.
11. C’est pas une vie = Ce n’est pas une vie. Cette expression permet de décrire une situation durable très difficile. Par exemple : Se lever tous les matins à 4 heures, c’est pas une vie ! (style familier)
12. Ça commence à bien faire : cette expression signifie que ça suffit, qu’il faut que ça s’arrête parce qu’on ne supporte plus ce qui se passe. Par exemple : Tous les jours, il arrive en retard. Ça commence à bien faire ! (familier)
13. avoir du mal à faire quelque chose : avoir des difficultés à faire quelque chose (un peu plus familier)
14. tout un tas de frais = de très nombreux frais / énormément de frais (c’est-à-dire des dépenses, des coûts). (familier)
15. brut : c’est une somme avant le paiement des impôts. Une fois les impôts payés, on parle d’une somme nette.

L’émission complète est à écouter ici.

La vie de Jacominus

« Tu dois te demander ce que signifient Les Riches Heures ? Comme je suis là pour l’instant, je vais te répondre: c’est une façon poétique et raffinée de parler de la vie de quelqu’un ». […] C’est la vie de Jacominus que tu vas découvrir dans ce livre. Pourquoi LUI ? me demanderas-tu encore. Eh bien parce que comme Jacominus l’a dit lui-même : sa vie valait la peine d’être vécue. Alors je trouve qu’elle vaut aussi la peine d’être racontée. » R.D.(prologue)

Oui, mille fois oui, cette vie vaut la peine d’être racontée, dans ce si bel album. Cette rencontre avec Jacominus Gainsborough est de celles qu’on n’oublie plus.
Des illustrations magnifiques, à regarder aussi minutieusement qu’elles ont été dessinées par Rebecca Dautremer.
Une poésie des mots, portée par l’emploi de ce si beau passé simple qui donne aux histoires les plus simples la dimension intemporelle des contes.
C’est le récit d’une vie entière, avec ses joies, ses difficultés, sa simplicité à la fois ordinaire et merveilleuse.

Voici Jacominus, le petit lapin dans la lune, qui, enfant, a pris « une petite bûche », en tombant du haut de quatre marches et en a gardé, sans jamais se plaindre, une petite béquille toute sa vie.
Jacominus, qui a appris à parler sept ou huit langues, lui qui parlait peu, qui a rêvé sa vie et vécu certains de ses rêves. Il a connu des guerres, pris des grands bateaux, habité des villes, marché sur des sentiers de montagne, respiré le parfum des amandiers en fleurs.
Jacominus qui a tellement aimé Beatrix, sa grand-mère « bilingue, loquace et philosophe », ainsi que Douce, l’amour de sa vie, et June, Nils et Mona, ses trois enfants à qui il a donné son temps et son énergie. Jacominus qui a aussi beaucoup aimé ses amis aux prénoms singuliers.
Il a cheminé à travers le monde et les jours, vers la patience, la sagesse et le sentiment tout simple d’avoir vécu « une bonne petite vie, vaillante et remplie ».

Il faut que vous lisiez Les riches heures de Jacominus, que vous le cherchiez dans la peinture et dans la langue raffinée de Rebecca Dautremer. Et que vous le lisiez avec les enfants de votre entourage, en n’oubliant pas le superbe prologue, adressé aux grandes personnes et aux petits. Tout est dit. C’est magique.

En voici juste quelques pages pour achever de vous convaincre !


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Une vie est faite de rencontres. Comment ne pas se retrouver dans celles de Jacominus ?

A bientôt !

Prendre le large, prendre le temps

François Damiens était à la radio il y a quelque temps, à l’occasion de la sortie de son film, Mon Ket (que je n’ai pas très envie de voir). Mais je viens de regarder un autre film, Otez-moi d’un doute, sorti l’an dernier, dans lequel cet acteur belge jouait très bien.
Alors voici un aspect de sa personnalité découvert dans cette interview très vivante. Et comme c’est le début des grandes vacances, ce qu’il raconte est plutôt bien venu !

Partir pour être heureux

Transcription

– Ça veut dire que vous, vous arrêterez tout si jamais un jour, vous sentez que vous êtes dans une forme de caricature ?
– Oh oui, bah je veux pas aller jusqu ‘au bout. Je veux arrêter.
– Oh bah non !
– Je veux arrêter plus tôt que prévu.
– Mais quand ?
– Oh, je sais pas, là, je vais encore faire quelques films, puis je vais m’acheter un bateau. C’est ça un peu le but, quoi. Et puis après ça, je vais partir, mais pour revenir encore. Mais j’ai… j’ai… C’est clair que j’aurais envie encore de prendre le large (1) au bout d’un moment.
– Comme Jacques Brel ?
– Bah oui, mais j’aime tellement ma vie que j’ai peur de m’en lasser (2), quoi. Donc je vais essayer de l’arrêter régulièrement pour que… pour avoir toujours du plaisir à y revenir, quoi.
– Dans quel état vous êtes quand vous êtes sur un bateau, François Damiens ? Vous parliez de liberté, tout à l’heure.
– Ah, je suis heureux sur un bateau. Vous savez, paradoxalement, ce qui est bizarre, vous savez, c’est ça… C’est restreint (3) comme endroit et c’est l’endroit où je me sens le plus libre et… En fait, j’aime tout faire sur un bateau. J’aime faire la vaisselle. J’aime… Moi qui aime pas bricoler (4), j’aime bien bricoler sur un bateau, je suis capable de démonter un pilote automatique, alors que je déteste faire ça sur la terre. Non, je me sens… je me sens heureux, puis j’aime bien prendre le temps de vivre. En fait, j’aime bien perdre mon temps. Et sur un bateau, bah tu peux perdre ton temps, tu peux manger un pamplemousse pendant une heure et demie, quoi ! Et tu as pas l’impression de perdre ton temps, quoi ! Tu retires la peau mais (5) chaque parcelle de peau, chaque petite nervure, tu fais ça et donc tu… Voilà, tu regardes le ciel et puis tu essaies de profiter (6), quoi.

Des explications
1. prendre le large : au sens propre, cela concerne les bateaux qui partent, qui quittent le port, les côtes. Donc au sens figuré, cela signifie : s’en aller, tout quitter.
2. Se lasser de quelque chose : s’ennuyer en faisant une activité qu’on a beaucoup faite et qu’on aimait. On peut l’employer aussi à propos de quelqu’un : Ils étaient amis. Mais peu à peu, l’un d’eux s’est lassé de l’autre et ils ont cessé de se voir.
3. Restreint : ici, cela signifie petit. Un bateau (comme un voilier) est un endroit où il n’y a pas beaucoup de place, pas beaucoup d’espace.
4. Bricoler : réparer ou fabriquer des choses de ses mains pour la maison ou pour une voiture, etc. Par exemple : Il s’est fabriqué une table. Il aime bien bricoler. Quand on sait bricoler, on est bricoleur : C’est un bricoleur, il sait tout faire de ses dix doigts ! Et on trouve tout ce dont on a besoin dans les magasins de bricolage, comme Leroy Merlin, Castorama.
5. Mais : ici, ce mot n’exprime pas le contraste. Il sert à insister, à mettre en valeur la suite.
6. Profiter : apprécier le plus possible une situation, la vie. Par exemple : – J’ai fini mes examens, je suis en vacances.
– Ah, super, profite !

L’émission entière est ici.

Bon début d’été à vous et à votre français !
Profitez bien.

Les mots et les paysages

J’ai lu récemment Nos Vies, de Marie-Hélène Lafon, parce que je l’avais écoutée à la radio et avais trouvé, juste après, son dernier livre exposé sur une table à la bibliothèque. Et j’ai plongé dans ses mots, ses sensations, sa façon si singulière d’écrire. Ce faisant, je n’ai pas commencé à découvrir cette écrivaine par ses livres les plus typiques, ceux où la nature, la campagne où elle a grandi sont le décor de ses histoires. J’ai beaucoup aimé ce livre et vais lire les autres, pour y retrouver ce qu’elle évoquait dans cette interview, écoutée par hasard, encore une fois. Il y était question de son enfance, de lecture, d’écriture, dans une langue où chaque mot est choisi. Je partage avec vous aujourd’hui la beauté de ses évocations, dans cette diction qui lui est si personnelle.

La lecture Les paysages – MH Lafon

Transcription
Comment les mots se sont-ils inscrits dans votre cœur et dans votre corps ? Et à partir de quand, Marie-Hélène Lafon ?
– Avec l’école. Avec l’entrée au CP (1). L’avènement (2) des mots, c’est l’apprentissage d’abord de la lecture. C’est d’abord la syllabe : c’est BA, BE, BI, BO, BU (3). Rémi et Colette (4), le livre de lecture. Donc la syllabe, le mot, la phrase, la passion immédiatement contractée (5) de la grammaire, de la composition de la phrase, de son agencement, de sa mécanique, de son lego. Et l’étape suivante, ce sont les histoires, que la maîtresse nous lisait à l’école l’après-midi. Donc tout ça, c’est le CP. Une sorte d’éblouissement, le CP. Et le sentiment d’être à ma place, à cet endroit-là. A ma place à l’école aussi d’ailleurs, et je n’en suis jamais sortie, puisque, vous l’avez dit tout à l’heure (6), je suis professeur. Et d’avoir accès à un chatoiement (7) du monde dont je n’avais probablement pas conscience, en tout cas pas de cette manière-là jusqu’à présent. Je ne suis pas allée à l’école maternelle (8), il n’y en avait pas. Donc comme le CP, on a six ou sept ans, voilà, donc ça commence comme ça. Et ça n’a pas cessé depuis, cet émerveillement du verbe. Et j’ai beaucoup de chance, parce que la grâce du verbe (9) m’est tombée dessus au CP, et auparavant, la grâce du paysage m’était tombée dessus et m’avait emportée. C’est beaucoup plus qu’il n’en faut pour vivre.
Encore faut-il (10) savoir le regarder, le paysage !
– Je… Je… Pardonnez-moi de le dire parce que ça va paraître un peu outrecuidant (11) mais je crois que j’ai toujours déjà su, ça aussi. Vous voyez, j’ai des souvenirs extrêmement anciens de… d’une joie intense à voir autour de moi la rivière, la ligne de l’horizon, l’érable (12) de la cour, et la balançoire, voilà, la balançoire sous l’érable. Le vert, le bleu. Voilà. Ce sont des sensations très anciennes et profondément jubilatoires (13), qui m’ont été données très tôt et qui me restent, enfin qui me portent et me nourrissent encore aujourd’hui.
La géographie est une écriture de la terre, écrivez-vous. (14)
– C’est de l’étymologie. C’est tellement, dans mon cas, tellement vrai, tellement constant, puisque, écrivant, pendant des années et des années, j’ai d’abord… Je me suis enfoncée justement dans cette terre première, dans ce pays premier, qui en ce qui me concerne est cet infime (15) territoire du nord-Cantal, mais chacun porte en soi le sien. Il se trouve que, voilà, pour moi, j’ai commencé d’être à cet endroit-là et je me suis enfoncée dans cette… dans ces lieux, dans cette géographie infime. La rivière, à laquelle vous faisiez allusion tout à l’heure, elle doit… Elle fait 35 kilomètres. C’est rien et en même temps, pour moi, le monde a commencé là.

Des explications
1. le CP : c’est le cours préparatoire, la première classe de l’école primaire, où on apprend à lire. Les Français utilisent maintenant tout le temps l’abréviation plutôt que l’expression complète.
2. L’avènement : l’arrivée, la venue. Ce terme est employé par exemple à propos des rois : l’avènement du roi, ou d’un régime politique : l’avènement de la république. Ici, cela donne un caractère solennel à ce qu’elle dit des mots, du langage.
3. BA, BE, BI, BO, BU : c’est ce qu’on appelle la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture, dans laquelle on associe une consonne avec une voyelle : B+A = BA, T+A = TA, BE+E = BE, T+E = TE, etc., puis on combine tous ces sons pour déchiffrer les mots.
4. Rémi et Colette : c’était le nom du livre dans lequel beaucoup de petits Français ont appris à lire.
5. contractée : prise, attrapée. Par exemple : On contracte une maladie.
6. Tout à l’heure : ici, cette expression renvoie à un moment du passé tout proche. Mais dans d’autres contextes, elle peut concerner un moment dans le futur proche.
7. Le chatoiement : c’est le fait de chatoyer, c’est-à-dire de renvoyer de beaux reflets. Ce terme est littéraire et exprime l’idée de la variété magnifique du monde.
8. L’école maternelle : on dit aussi la maternelle, c’est-à-dire l’école où vont les enfants français à partir de 3 ans, qui n’est pas obligatoire, mais où presque tous les petits Français vont.
9. Le verbe : ici, ce mot est employé dans son sens de langage.
10. Encore faut-il… : c’est comme dire : Oui, mais il est nécessaire que… Cette expression est d’un style soutenu et elle est suivie de l’infinitif comme ici ou du subjonctif. Par exemple : Je veux bien l’emmener voir ce film. Encore faut-il qu’il comprenne. /
11. outrecuidant : prétentieux, qui se croit supérieur aux autres. (style littéraire)
12. un érable : c’est un arbre
13. jubilatoire : qui procure beaucoup de joie
14. écrivez-vous : on inverse le sujet et le verbe mais ce n’est pas une question. C’est comme : Vous écrivez que…, mais le fait de le placer à la fin entraîne cette inversion.
15. infime : minuscule, très petit, et donc aussi sans importance

L’émission entière est à écouter ici.

Voici la méthode de lecture dans laquelle j’ai appris à lire !
Ce n’était pas Rémi et Colette. C’était bien plus dépaysant. Livre précieux pour moi. Je vous en reparle un de ces jours.
Cette page illustre bien ce dont parle Marie-Hélène Lafon.

Bon début de semaine à vous !

Le pouvoir de la marche

Randonnée du weekend, dans le Var, entre Six-Fours et Toulon. La mer, la forêt, le ciel bleu, qui s’est couvert dans l’après-midi. On respire !
(Quelques autres photos de cette magnifique nature sur instagram)

Et pour terminer ce dimanche, voici un tout petit extrait d’une interview d’Elsa Lepoivre, comédienne, pour ce qu’elle dit de la marche. Ses mots me parlent ! (A suivre, dans mon prochain billet.)

Elsa Lepoivre Marcher

Transcription

– Vous avez des endroits de prédilection (1) ?
– Oui, bah c’est vrai que cette plage-là, c’est les plages normandes, donc c’est vrai que hors saison (2) par exemple, par pluie, par temps de pluie (3), ça peut arriver que j’arrive sur la plage et qu’il y ait personne, c’est-à-dire que… voilà, avec la mer basse (4) et d’un coup, bah voilà, on part sur Ver-sur-Mer à gauche, on remonte, on longe la côte et puis je me dis : Mais c’est… c’est merveilleux ! Parce que la marche (5) en général, moi, c’est quelque chose que je… que je fais beaucoup parce que… C’était Rousseau, je crois, qui disait ça : C’est un panier à idées qu’on secoue. Donc aussi les moments où dans la tête, il y a trop de choses, quand on marche, au bout d’une heure, en général, les choses, elles se… elles se mettent dans les bonnes cases (6).

Des explications :
1. de prédilection : préféré. (style soutenu) Par exemple : Quels sont tes écrivains de prédilection ? / Je lui ai cuisiné son plat de prédilection.
2. Hors saison : l’hiver, l’automne, c’est-à-dire l’opposé de la pleine saison, qui est la période touristique de l’été.
3. Par temps de pluie : quand il pleut. Pour décrire d’autres conditions météo, il y a quelques autres expressions sur ce modèle : par grand vent / par grand froid / par temps de brouillard / par grand beau temps
4. la mer est basse : en fonction des marées, la mer est basse ou haute. On dit : A marée basse, la plage est immense. / A marée haute, elle se rétrécit.
5. La marche : on dit qu’on fait de la marche / on fait beaucoup de marche.
6. Les choses se mettent dans les bonnes cases : tout est bien rangé, les choses deviennent claires et on reprend le contrôle, on cesse de se sentir stressé, débordé.

Happy ou comment nager dans le bonheur

Voici une publicité croisée sur mon chemin (dans le sens travail-maison), avec bien sûr un jeu sur les mots et sur les expressions.

Si vous buvez cette infusion en sachets, elle vous garantit non seulement le retour au calme, l’apaisement de vos tensions ou comme indiqué sur la boîte colorée, un lâcher-prise, mais aussi carrément le bonheur : vous allez nager dans le bonheur. Cette expression est très forte. Normalement, on nage dans le bonheur pour plus que ça ! On pense au bonheur des jeunes mariés, des nouveaux parents par exemple, bref tous ces moments intenses de la vie pendant lesquels on a l’impression que tout ce qui nous arrive est parfait.

Et là, tout cela comment ? En buvant une tasse de cette infusion quand le besoin se fait sentir. Ce qui attire l’attention sur cette boisson somme toute banale et un peu vieillotte, c’est que le slogan repose sur l’expression boire la tasse. Or, boire la tasse, c’est avaler de l’eau en nageant (dans l’eau, pas dans le bonheur), et ça, ce n’est pas très agréable parce qu’on a l’impression qu’on va se noyer. C’est aussi, au sens figuré, connaître un échec. Donc un slogan qu’on retient à cause de ce téléscopage des mots et de ces expressions revisitées. Ou comment boire la tasse devient la clé du bonheur.

A suivre dans un prochain billet car cette entreprise (née autrefois à Marseille et développée dans la région avant d’être rachetée par Unilever) a trouvé d’autres noms amusants pour rajeunir l’image des tisanes et celle de la marque comme on dit. Je vous en reparle !

Celle-ci s’appelle Happy, parce qu’en anglais, ça fait mieux que le simple Heureux français. Mais je laisse nos amis anglophones imaginer la prononciation des Français: pas de H, c’est sûr!