Facile de chez facile

Je réponds enfin à Salianne qui m’avait posé la question suivante dans son commentaire sur mon billet précédent: Pourriez-vous un jour nous parler de l’expression ‘x de chez x’ ? On l’entend souvent?


C’est une expression familière, orale, qu’on a beaucoup entendue, qu’on entend moins maintenant me semble-t-il mais qui fait quand même toujours partie de notre langue.

J’aime bien de telles questions car elles me font réfléchir à notre façon de parler. C’est effectivement une expression qui peut paraître bizarre dans la mesure où la préposition chez s’emploie normalement avec des noms pour situer quelque chose ou quelqu’un :
Il vit chez ses parents.
On pourrait passer Noël chez moi.
Elle a acheté un appartement près de chez nous.
Je t’appelle de chez ma soeur.
Il y a des gens qui rêvent d’un sac de chez Chanel.

Mais dans cet emploi relevé par Salianne, la combinaison « de chez » sert à intensifier, peut-être comme s’il y avait un lieu où ce dont on parle était à son maximum. Ce qui est compliqué, c’est que cette expression ne fonctionne vraiment pas avec n’importe quels mots ni dans n’importe quel contexte. J’avoue avoir du mal à définir pourquoi ! Alors voici quelques exemples qui me sont venus.

Avec des adjectifs :
C’est nul de chez nul. = C’est vraiment très nul, on ne trouve rien d’aussi nul nulle part.
Le ciel était bleu de chez bleu. = Il n’existe pas de ciel plus bleu.
Ce qu’il a fait, c’est vraiment moche de chez moche. = C’est très, très moche.
Chez eux, c’est grand de chez grand, tu ne peux pas imaginer !

Parfois avec des noms :
Tu verras, c’est du caviar de chez caviar. = Il n’y a pas meilleur caviar.

Parfois avec des verbes :
C’est ce qu’on appelle râler de chez râler. = Cette personne a vraiment râlé, c’est-à-dire s’est vraiment plainte de quelque chose.
Il s’est planté de chez planté = Il a vraiment raté ce qu’il voulait faire.
Je me suis perdue de chez perdu. = Je ne savais plus du tout où j’étais.

Vous voyez, ce n’est finalement pas facile de chez facile ! Si de votre côté, vous rencontrez d’autres exemples, venez les partager ici avec nous tous.

Et comme je suis triste de chez triste – je viens de perdre mon frère et c’est une infinie tristesse – je partage avec vous cette beauté qui me console :

Trop, c’est trop

Dans mon dernier billet il y a quelques jours, en écoutant parler Violette la navigatrice, vous avez entendu qu’elle partage avec nous ses émotions, celles qu’elle a ressenties pendant ses quelques trois mois seule en mer, puis celles qu’elle a éprouvées à son retour sur la terre ferme. Alors, avez-vous remarqué qu’un petit mot très ordinaire est revenu à plusieurs reprises dans son témoignage ?

Les retrouvailles avec les proches, c’était trop bien.
Mon équipe m’a organisé une grande soirée, c’était trop, trop chouette !
Vraiment, j’ai trop envie de verdure.
Ce qui est trop bizarre, c’est, du jour au lendemain, de voir des milliers de visages et des milliers de personnes.
Et maintenant, je suis trop heureuse. J’ai adoré ce Vendée Globe et j’ai trop envie de peut-être en repréparer un autre !

Si j’en fais le sujet d’un petit billet aujourd’hui, c’est que pour ceux qui apprennent le français, ce « trop » peut vous sembler un peu bizarre puisque habituellement, il indique un excès, il signifie que quelque chose dépasse la norme :
– Il y avait trop de monde, nous n’avons pas pu avoir des places pour ce concert.
– Quand les riches deviennent trop riches et les pauvres trop pauvres, le monde va vraiment mal.
– Elle n’aime pas les films trop tristes.

– C’était trop dangereux de skier dans cet endroit.

Mais comme Violette, nous sommes très nombreux à employer « trop » pour parler de quelque chose qui n’est pourtant jamais trop ! Il faut simplement se souvenir que c’est possible mais à l’oral, dans des conversations familières. Et dans ce cas, trop devient synonyme de très, de vraiment et sert à exprimer avec plus de force ce qu’on ressent :
– Merci pour ton cadeau, ça me fait trop plaisir !
– J’ai adoré ce film, il est trop drôle !
– Ouah, ta robe est trop belle !
– Ouah, trop bien ! Trop cool !
– Trop bonne idée !

– C’est trop gentil ! Trop sympa !
– J’ai trop envie de partir en vacances !

On retrouve également ce trop équivalent de vraiment dans des phrases négatives très courantes à l’oral :
– Je ne sais pas trop quoi faire pour l’aider. ( = Je ne sais pas très bien quoi faire / Je ne sais pas vraiment quoi faire)
– Je (ne) sais pas trop comment expliquer ça. C’est compliqué. J’ai pas les mots.
– Il a pas trop su quoi me répondre.
– J’ai pas trop compris pourquoi il s’est fâché.
– Non, on n’a pas trop envie d’y aller.

– Qu’est-ce qui s’est passé ?
Je sais pas trop. / On sait pas trop.

– Tu manges pas ?
Bah en fait, j’aime pas trop les huîtres.

C’est un style oral, c’est pour cette raison que j’ai enlevé « ne » de ces phrases négatives comme on fait souvent à l’oral.

Alors pourquoi ce trop ?
– Je dirais que dans la première série d’exemples, nous avons sans doute l’impression ainsi de donner plus de force à ce que nous ressentons. Cela va de pair avec le ton de notre voix.
– Dans les phrases négatives que j’ai citées, nous avons probablement le sentiment d’introduire un peu plus de subtilité, de nuance dans ce que nous évoquons. Je n’ai pas trop compris est sans doute moins frontal que Je n’ai pas compris.

Quant à notre expression Trop, c’est trop, voici de quoi l’illustrer dans cette bien triste, inquiétante et pitoyable actualité :