Racines

Côte d'IvoireElle a fait sa vie en France, une vie qu’on devine pas toujours facile mais dont elle ne se plaint pas.
Elle a laissé son pays pour une vie qu’elle voulait meilleure.
Elle a un prénom dont elle s’amuse.
Elle a un joli rire !

Très bonne année à tous ceux qui passent ici !


Transcription :
– Vous venez du Mali aussi ?
– Côte d’Ivoire.
– Côte d’Ivoire.
– On est à la frontière, limite Mali-Côte d’Ivoire.
– Ça vous manque, l’Afrique ?
– Totalement !
– C’est vrai ?
– Ouais, c’est… Mais on a choisi. Donc on assume (1).
– Pourquoi vous avez choisi de vivre en France ? (2)
– Pour une vie meilleure. Pour nos enfants, c’est pas pareil. Je sais pas si vous connaissez la Côte d’Ivoire. Il y avait la guerre. Il y avait… pendant plus d’une dizaine d’années. Donc pour les enfants et pour nous. Et pour… Et ici, on peut aussi aider la famille qui se trouve en Afrique.
– Vous envoyez de l’argent régulièrement, c’est ça ?
– Forcément. Forcément, hein, c’est… c’est culturel. C’est… On est éduqué dans ce sens. Prendre la relève.
– Et vous travaillez dans quoi (2) ?
– Je suis en comptabilité. Dans l’immobilier.
– Vous êtes arrivée, vous aviez quel âge ?
– Vingt-cinq ans. J’avais fini mes études et j’arrivais pas à trouver du… du travail.
– Vous aviez fait vos études à Abidjan ?
– A l’Université d’Abidjan Cocody. J’ai fait une maîtrise en Sciences Eco. Gestion, option Finance (3).
– Et comme vous trouviez pas de travail, vous vous êtes dit : « Bon, bah, je vais aller en France. »
– Je préfère souffrir en France que souffrir chez moi, quoi.
– Pourtant, on aurait pu penser l’inverse en disant : Quitte à (4) souffrir, je préfère souffrir chez moi.
– Non, la souffrance chez toi, on l’accepte mais on se dit c’est chez soi, on doit être à même (5) d’avoir certaines opportunités. Mais si je les ai pas, que je vais de l’autre côté, même si je souffre pour avoir certaines choses, je pourrai me dire quelque part : Non, je… C’est pas chez moi.
– Donc c’est normal que je souffre.
– Voilà. Il faut que je lutte pour avoir ce que je veux, quoi. C’est… C’est comme ça. C’est plus facile à accepter.
– Je peux avoir votre prénom ?
– Fanta.
– Fanta !
– Comme la boisson.
– Vous êtes pétillante (6) aussi ?
– Ça dépend des jours !
– Vous disiez que vous aviez des enfants. Vous êtes venue, vous étiez mariée ou vous vous êtes mariée ici ?
– Non, ici. J’ai croisé le père de mes enfants ici.
– Croisé le père de vos enfants ?
– On s’est rencontrés.
– Ah oui ! C’est ça.
– C’est plus…
– Oui, c’est quand même… Quand on croise les gens, ça veut dire qu’on les revoit plus après.
– Qu’on les revoit… Non, on s’est rencontrés ici. On se connaissait pas.
– Et il travaille dans quoi, votre mari ?
– Non, il n’a rien… Il n’a pas fait d’études. Il n’a rien fait.
– Ah oui.
– C’est aussi ça, l’aventure ! Rencontrer plein de gens, des gens qui n’ont rien à voir (7) avec ce que nous on est à la base.
– Et il est de Côte d’Ivoire aussi ?
– Oui, oui. Il est de ma région. Il est de Côte d’Ivoire.
– Et pour vous, c’était important ça, qu’il soit du même pays que vous ?
– Oui. Pour les enfants. Pour ne pas qu’ils soient…. je sais pas « déculturalisés », si on peut le dire. Parce que quand on est d’une culture différente, même quand on vient de différents pays d’Afrique, il y a souvent ce problème. Au moins, lui, ses parents, je les connais, je sais d’où ils viennent. Mes enfants, que je sois aujourd’hui ou pas avec leur père, ils savent où trouver les parents de leur père et moi, mes parents, parce qu’on vient du même pays. Mais il aurait été (8), je sais pas, de l’Afrique du Sud, du Togo, du Zimbabwe, souvent c’est différent pour les enfants qui… parce que c’est… c’est l ‘Afrique. Ceux qui connaissent pas l’Afrique pensent que c’est un gros pays. Mais c’est des cultures carrément (9) opposées, différents, quoi… Différentes, ouais.

Des explications :
1. assumer quelque chose : accepter et ne pas se plaindre parce qu’on a fait ce choix consciemment.
2. Pourquoi vous avez choisi de… : ce journaliste pose toujours les questions de cette façon très orale, sans utiliser « Est-ce que… ? » ou une inversion : Pourquoi avez-vous choisi… ? ‘style plus soutenu)
3. une option : c’est une matière qu’on choisit parmi d’autres dans le cadre de ses études.
4. Quitte à (faire quelque chose) : Si je dois faire quelque chose
5. être à même de faire quelque chose : être capable de faire quelque chose, en avoir la possiblité.
6. Pétillant : cet adjectif peut s’employer à propos d’une boisson gazeuse, qui a des bulles (comme le Fanta qui est un soda très consommé dans le monde). Il s’emploie aussi à propos de quelqu’un, notamment quand on décrit son regard (des yeux pétillants), un regard plein de vie.
7. N’avoir rien à voir avec quelque chose : n’avoir aucun lien, aucun rapport.
8. Il aurait été : s’il avait été
9. carrément : vraiment / complètement

Fier de sa fille

Les pères sont-ils plus sévères que les mères ?
Est-ce plus dur pour l’aîné de la famille ?
Est-ce plus compliqué si en plus on est l’aînée ? (au féminin)
Petit témoignage de Leila sur ses rapports avec son père.

Transcription:
Un père sévère ?
– Au départ, qui l’était un peu mais il s’est assoupli (1). Et c’est vrai qu’avant, quand je demandais à sortir ou quelque chose comme ça, j’avais directement un « Non », sans essayer de comprendre, et j’allais voir ma mère qui négociait pour moi tout le temps. Et c’est vrai que du coup, ben, enfin maintenant, à 20 ans… une f[ois] (2)… enfin, à partir du moment où j’ai eu mon bac (3), il s’est rendu compte que, bah, j’étais une adulte, que je pouvais faire mes choses… les choses correctement. Et c’est vrai que maintenant, bah, quand j’ai envie de sortir, je lui demande à lui directement, sans passer par ma mère et c’est elle qui découvre que je sors, et elle me dit :  » Mais comment ça se fait que (3) tu sors ? J’ai rien… Tu m’as rien dit.  » Et je dis: »Bah j’ai demandé à papa directement. Il est d’accord. » Donc maintenant, je le fais. Et c’est vrai que, bah, on va dire que… enfin je suis… je suis l’aînée. Chez moi, j’ai… j’ai un frère et une soeur ensuite. Et on va dire que j’ai labouré le terrain (4) pour eux, quoi ! Et ils ont plus de liberté que moi je n’avais à leur âge. Mon père vient d’Egypte et c’est vrai que, bah, le jour où j’ai eu mon bac, il a appelé la famille directement au pays (5) pour leur dire: « Ma fille est diplômée ». Et on est partis en Egypte juste après, et c’est vrai que, bah la famille là-bas m’a organisé une fête avec des gros gâteaux et des cadeaux parce que je venais d’avoir mon bac. Et c’est vrai que ça m’a… ça m’a touchée. C’était super sympa (6) de… bah de se [rendre] (7)… bah de voir que mon père était fier. Et ma mère aussi, mais c’est vrai que là-bas, ça les a… ça les a plus touchés que ma famille maternelle qui vit en France.

Quelques explications:
1. s’assouplir: c’est devenir plus souple, au sens physique du terme, mais ausi au sens figuré. Ce père est devenu plus compréhensif, moins rigide.
2. une fois: elle ne le dit pas en entier, mais on devine que c’est ce qu’elle avait commencé à dire, avant de changer de formulation, comme souvent à l’oral.
3. le bac: c’est le diplôme qu’on obtient à la fin des études secondaires. C’est un vrai examen, avec différentes matières à passer. Avoir son bac, c’est entrer dans la vie adulte et pouvoir commencer des études à l’université par exemple. C’est LE grand événement dans la vie des familles françaises. On en parle à la radio, à la télé. Un vrai rite de passage !
4. Comment ça se fait que… ?: on pose cette question quand on veut une explication à une situation. Normalement, on emploie le subjonctif après. (Comment ça se fait que tu sortes ?)  Mais on s’est habitués à entendre l’indicatif aussi.
5. j’ai labouré le terrain: c’est une image pour dire qu’elle a préparé les choses – et leur père – pour son frère et sa soeur, comme un agriculteur prépare son champ en le labourant avant de le cultiver. Elle leur a simplifié les choses. On pourrait dire aussi: Je leur ai préparé le terrain.
6. au pays: cette façon de dire est fréquente dans les familles immigrées en France. Pour cette jeune fille, née en France et française, le pays, c’est aussi là où elle a encore une partie de sa famille.
7. super sympa: très gentil et agréable. (familier)
8. se rendre… : Elle allait dire : »se rendre compte » et utilise quelque chose de proche: « voir ».

Petit rappel sur bah, ben, beh:
Tous les « bah », « ben » qu’on entend viennent de la forme correcte: « Eh bien », que peu de gens prononcent en entier à l’oral. Je les transcris  car c’est ce qu’on entend, mais normalement, on n’écrit jamais ça. (sauf dans les BD par exemple). C’est purement oral et familier. Quand on surveille sa façon de parler, on dit toujours: Eh bien.