Amoureux du français

Chaque langue a ses expressions et c’est passionnant de voir que ce ne sont pas les mêmes d’une langue à l’autre.  Souvent même, une expression n’a pas son équivalent en anglais, en espagnol, en allemand et inversement.  Ou alors, ce sont des images différentes. C’est une des choses que j’aime dans ce passage d’une langue à l’autre !

Alors voici un autre petit extrait de l’interview d’Alex Taylor. Il y parle, avec son regard de Britannique, de ce qui, pour lui, fait fondamentalement le charme du français : toutes les expressions que nous employons. Cette petite conversation ne pouvait que me plaire et me donner envie de la partager avec vous !


Transcription :
Mais j’adore les langues. Je suis tombé amoureux d’abord de la vôtre qui est l’une… l’une des plus belles du monde, après ces… ces années en Cornouailles où j’ai appris les langues. Je… je… J’adore par exemple… J’ai appris aussi le… la langue allemande. Je… je… Chaque langue a son truc (1). Et jevoulais écrire un livre où je fais part de ma passion. Je pose la question sur la couverture : Comment est-ce qu’on peut tomber amoureux d’une langue ? Et moi, c’est…C’est… c’est tout mon amour parce que je trouve par exemple que le français est plus drôle. J’adore…
Ah, je pensais que c’était… qu’on parlait souvent de l’humour britannique… Alors, non ?
Oui, mais les Britanniques, je pense, on est censé avoir un… de l’humour quoique l’humour britannique est souvent très différent maison que ce qu’on perçoit dans les produits vendus comme Monty Python, etc… par les services commerciaux de la BBC. Votre propre humour est un peu plus basé sur le… sur la langue justement.
Vous trouvez que notre grammaire et notre conjugaison sont… sont drôles ?
Non, ce sont vos expressions. Par exemple, il y a des expressions en français qui sont… Il suffit de les sortir (2) et les gens rient. Par exemple, je vais vous donner un exemple. J’étais dans une réunion l’autre jour et quelqu’un sort l’expression : « Ah bah celle-là, elle va pas être déçue du voyage ! ».(3)
Oui…
Donc vous voyez, vous riez. Et vous connaissez pas du tout vraiment le contexte ni de quoi il s’agit. C’est une expression qui est, de manière inhérente, drôle. Et ça, en français, il y en… il y en a plein !
Oui, mais enfin ça existe les… les expressions un petit peu imagées comme ça…
Pas tellement. Mais j’ai cherché… mais j’ai cherché en anglais. Non, l’humour n’est pas inscrit à même la peau de la… de la langue anglaise. Nous avons peut-être de l’humour, du deuxième degré (4), enfin du « understatement », etc… Mais ce… ce n’est pas dans les expressions comme c’est le cas en français. Mille fois par jour, j’entends des expressions qui sont…
Tout à l’heure, je vous ai dit… ce matin je vous ai dit : « Déposez vos… »
Ah oui, « Déposez vos frusques »(5).
« Déposez vos frusques. »
Je ne savais pas mais elle est géniale… Dès potron-minet (6), il y a des trucs comme ça. Ou, je sais pas, « Elle a vu la Vierge, ou quoi ? »(7) Enfin, ces… ces expressions qui sont délicieuses. Et le français a beaucoup plus d’expressions qui sont drôles par elles-mêmes.

Quelques détails :
1. son truc : ici, sa particularité.
2. sortir une expression : dire / utiliser une expression
3. Elle va pas être déçue du voyage  : on va faire quelque chose qui va la surprendre totalement.
4. c’est du deuxième degré : ça signifie qu’ il ne faut pas prendre les mots au pied de la lettre, de façon littérale.
5. les frusques : les vêtements, les habits. (mot d’argot)
6. dès potron-minet : dès l’aube / dès que le jour se lève.
7. Elle a vu la Vierge ou quoi ? : on dit ça si on trouve que la personne est trop surprise de façon naïve. On se moque de sa surprise.

Amoureux des langues

Passer les frontières au sein de l’Union Européenne se résume aujourd’hui à ralentir au niveau des anciens postes frontières, laissés plus ou moins à l’abandon, et recevoir un message sur votre portable qui vous informe des tarifs quand vous quittez la France. Plus besoin non plus, dans un certain nombre de pays, de faire fonctionner sa tête pour convertir les prix affichés dans une autre monnaie. L’euro est passé par là !

N’empêche ! On sait vite qu’on est ailleurs. Quelques drapeaux à la frontière, des limitations de vitesse qui changent un peu. Et surtout, bien sûr, la langue parlée dans cet ailleurs, d’un coup différente. Là, pas d’uniformisation: 23 langues officielles bien vivantes !

Et ça, pour Alex Taylor, journaliste et européen convaincu, c’est fascinant. Britannique, installé en France et en Allemagne, il racontait l’autre jour à la radio comment il est définitivement tombé amoureux des langues et du français en particulier. Une très jolie conversation, dans un français parfait, dont voici un petit extrait savoureux.
( A suivre… )

Transcription :
Les langues m’ont… m’ont complètement donné une… une vie que je n’aurais pas eue si… si il y avait pas ce besoin un peu inconscient d’apprendre des verbes irréguliers. J’étais fasciné. Je me rappelle, la toute première fois, je raconte dans le livre, quand on était… Je me rappelle comme si c’était hier, on était tous en cours de français. J’avais onze ans, en Angleterre, il y avait notre professeur de… de français, Mademoiselle Bridgewater qui écrivait… On savait tous que les Français utilisaient « oui » pour « Yes », donc on savait. Mais tout d’un coup, elle a écrit sur le tableau O.U.I. Et je me souviens d’une espèce de «Han !» comme ça dans la… Ça nous semblait tellement évident que ça s’écrivait W.E., « we » comme nous, nous le faisons en anglais ! Et… et là, ce choc m’est resté depuis parce que c’est… J’ai compris qu’en fait, il y avait d’autres façons de voir, d’autres façons de parler avec d’autres prismes de la réalité ailleurs.
Donc les langues pour moi, c’était un passeport. Ce petit garçon a compris que s’il apprenait les verbes irréguliers que Mlle Bridgewater écrivait au tableau… Acquérir, c’était son préféré, j’acquiers, tu acquiers, il eût fallu (1) que j’acquisse…(2)
Ouh là là ! Des choses qu’on… ne dit plus du tout d’ailleurs, mais bon !
Ouais, c’est ce que… C’est ce que nous apprenions. Et… C’est ce que nous apprîmes !(3)
Bravo !
Voilà. Moi tout ça, je sais grâce à elle. Il a compris que, en apprenant des langues étrangères, c’était pour lui un passeport pour pouvoir sortir d’un… d’un monde, parce que moi je… je… j’avais rien. Je viens d’un milieu assez modeste en Cornouailles. Donc si j’avais pas appris ces langues-là, si mon… mes parents ne m’avaient pas fait des tournées, parce qu’on partait, on n’avait pas de moyens mais on partait avec une tente, T.E.N.T.E (4), faire des tournées en Europe sur le continent. Et ça m’a donné le goût de tout ce qui est étranger, c’est le mot qui vient à l’esprit, mais tout ce qui était ailleurs. Et finalement, dès que je pouvais, à l’âge de vingt ans, je me sentais pas bien dans mon pays, donc je suis venu ailleurs où j’ai pu m’éclater (5) en parlant une autre langue, en étant peut-être débarrassé de plein de choses qui appartiennent à mon…mon enfance. Donc les langues… c’est pas étonnant que je sois amoureux des langues.

Quelques détails :
1. Il eût fallu : aujourd’hui, on dit plutôt : «Il aurait fallu ». Il y a 2 formes du conditionnel passé. Celle avec «eût » est très soutenue.
2. que j’acquisse : c’est le subjonctif imparfait. Aujourd’hui, on utilise le subjonctif présent : que j’acquière. On ne fait plus la concordance des temps de façon aussi stricte, parce que ces formes verbales sont difficiles ! Je suis sûre qu’il y a beaucoup de Français qui ne savent pas ces conjugaisons, surtout pour les verbes compliqués ! C’est ce que dit Rebecca juste après, avec son « ouh là, là », variante de « oh là,là ».
3. Nous apprîmes : c’est le passé simple (à l’indicatif). On ne le trouve plus qu’à l’écrit.
4. tente : Alex est obligé d’épeler parce que ça pourrait être le mot « tante ». Sa phrase aurait un sens aussi, mais différent. La prononciation est la même.
5. s’éclater : verbe familier = s’amuser, prendre beaucoup de plaisir en faisant quelque chose.