Le loup, de Jean-Marc Rochette

J’ai lu cette bande dessinée en 2019 lors de sa parution et pensé dès ce moment-là à la partager avec vous, sans prendre le temps d’écrire ce billet, comme souvent ces derniers mois !
Mais voilà, comme je vous l’ai dit dans mon billet précédent, un séjour dans les Alpes, en juin dernier, nous a fait sentir d’un peu plus près la présence du loup. Puis, il y a quelques jours, j’ai entendu à la radio, dans un journal du matin, une brève mention concernant sa progression en France. Et avant-hier, tout à fait par hasard, en explorant un peu plus l’application de Radio France sur mon téléphone, je suis tombée sur une série de cinq courts reportages très intéressants diffusés le mois dernier sur France Bleu Alsace : Le retour du loup, l’enquête. Je n’ai aucune raison d’écouter France Bleu Alsace puisque ici, c’est France Bleu Provence que nous captons. Alors, c’est sans doute le signe qu’il était temps de vous parler de la BD de Jean-Marc Rochette ! Vous la connaissez ?

Ou juste le son ici :

Transcription :

Le Loup, c’est une très belle bande dessinée qui raconte le face-à-face d’un berger et d’un loup dans les Alpes, dans le Massif des Ecrins. Dès les premières pages, on est en plein coeur de la montagne et au coeur de cette cohabitation difficile entre les loups et les brebis de Gaspard. Gaspard, c’est un montagnard pas tout jeune. Avec son chien, Max, qui sait bien garder les troupeaux, il n’est jamais bien loin de ses bêtes, qui vivent l’été en liberté dans les alpages. C’est là qu’il se sent bien, parce que Gaspard, c’est un peu un ours (1), un sauvage, un chasseur aussi sur ce territoire qu’il partage, dans le fond, avec les autres animaux, un homme qui connaît comme sa poche (2) la nature qui l’entoure et vit à son rythme. Dans la montagne, il est dans son élément (3).

Dès le début de l’album, on est plongé dans ce conflit ancestral entre les hommes et les loups, en pleine nuit, avec le récit de l’attaque fondatrice, lorsqu’une louve s’en prend (4) aux brebis de Gaspard, parce que c’est une louve et parce qu’elle a un petit à nourrir. Peu de mots – et ça, ça me plaît bien, parce qu’on peut se laisser porter par les images – mais de très beaux dessins, au plus près du carnage – c’est le mot qu’emploie plus tard Gaspard, de passage au village, pour décrire la scène qu’il a vécue. Avec cette conclusion : « Tu ne feras plus chier (5) personne. »

C’est que Gaspard s’est débarrassé de la louve, ce qui est interdit puisque le loup est une espèce protégée et à plus forte raison (6) quand on est dans le Parc National des Ecrins. Il est donc doublement hors-là-loi. Mais pour lui, parc ou pas parc, « Le berger et le loup, c’est pas fait pour être ensemble. »

Sauf que la louve laisse derrière elle un louveteau orphelin, qui survit et va grandir. Et sauf que Gaspard éprouve des sentiments ambivalents, entre fascination, admiration d’un côté et colère et aversion pour les loups de l’autre. Voilà donc le point de départ d’un duel sans merci entre le vieux berger et le jeune loup – à qui, contre toute attente (7), Gaspard laisse plusieurs fois la vie sauve (8).

Cette histoire va crescendo au fil des pages. Et quand la tempête survient, franchement, avec les dessins de Rochette, moi, je me suis perdue avec Gaspard dans la neige, dans la nuit, dans la montagne sur les traces du loup. Ce dessinateur a l’art de donner le vertige (9), de nous faire éprouver la difficulté d’avancer dans la neige épaisse, de nous faire sentir le froid glacial et la solitude extrême au coeur du silence. C’est comme si on y était !

Je ne vous en dis pas plus, juste qu’on apprend aussi à connaître ce Gaspard bourru, par petites touches émouvantes. Et ça rajoute à cette histoire (10) qui prend des allures de fable, de conte merveilleux tout en restant un récit auquel on veut / peut croire dans le fond.

Et une fois ce récit terminé et la tension retombée, ce n’est pas fini, on découvre une postface inattendue, de Baptiste Morizot, écrivain et enseignant chercheur dans mon université, qui consacre son travail aux relations entre les hommes et les animaux, les hommes et le vivant. Je vous en lis trois petits passages : […]

Et donc bien évidemment, son analyse de cette histoire de loup m’a donné envie de découvrir ce qu’il a écrit par ailleurs. Je vais commencer par « Sur la piste animale ». Et en fait, je l’avais déjà entendu parler de son travail dans Boomerang l’année dernière, en me disant que j’avais bien envie d’aller voir de quoi il s’agisssait. La boucle est bouclée (11).

Et aussi, je vous parlerai bientôt de l’autre BD de Rochette, Ailefroide, que j’avais lue avant celle-ci et qui m’avait beaucoup marquée. Je continue à faire le tri des livres de la maison, mais ces deux albums font partie de ceux dont je ne me séparerai pas !

Des explications :

  1. c’est un peu un ours : cette expression signifie qu’il n’est pas très sociable et préfère la solitude.
  2. connaître un lieu comme sa poche : connaître parfaitement cet endroit
  3. être dans son élément : être parfaitement à l’aise dans une situation donnée.
  4. s’en prendre à quelqu’un : s’attaquer à quelqu’un (au sens propre ici, physiquement mais on emploie aussi cette expression au sens figuré)
  5. faire chier quelqu’un : nuire à quelqu’un, lui causer des problèmes. (terme vulgaire et fort)
  6. à plus forte raison : d’autant plus / surtout
  7. contre toute attente : de façon totalement inattendue
  8. laisser la vie sauve : épargner, ne pas tuer
  9. donner le vertige : causer cette sensation que beaucoup de gens ont quand ils sont au-dessus du vide.
  10. ça rajoute à cette histoire : ça la rend plus forte, ça lui ajoute une autre dimension
  11. La boucle est bouclée : c’est comme si tout concordait, pour en arriver finalement là.

Le retour des loups

Au détour d’un chemin de randonnée, en juin dernier, nous sommes tombés sur ce panneau à l’entrée d’un chalet d’alpage dans le Beaufortain. Le message, pour le moins direct, était adressé aux pro-loups, par un anti-loup que nous avons rencontré juste après. Nous venions de trouver sur notre chemin les cadavres de plusieurs brebis égorgées récemment. Des rapaces planaient encore au-dessus pour terminer le nettoyage des carcasses. Dans notre naïveté de citadins, nous n’avions pas pensé à une attaque de loup, si peu habitués à penser à cet animal qui a longtemps disparu des paysages français.

Pour ce propriétaire, c’était le ras-le-bol et la peine d’avoir perdu ses bêtes qu’il avait montées à l’alpage très peu de temps auparavant. Il n’habitait pas là en permanence, il n’y avait pas de chien de berger pour veiller sur les brebis, pas de clôture électrifiée pour les mettre en sécurité. Il avait donc suffi d’une nuit tranquille, sans présence humaine, pour qu’un loup tue son tout petit troupeau sans défense. Il nous a montré des empreintes dans la boue du chemin. Ajoutées au type de blessures subies par les brebis, cela ne lui laissait aucun doute sur l’origine de la mort de ses bêtes. Alors, très en colère, il avait définitivement rejoint le camp des anti-loups, dans le débat passionné qui dresse beaucoup d’éleveurs français contre les protecteurs du loup.

Les loups, chassés sans relâche pendant des décennies, sont revenus en France, par eux-mêmes. Beaucoup d’éleveurs ont dû réapprendre comment s’en protéger au mieux. Mais la cohabitation est difficile, entre les loups, les troupeaux et leurs propriétaires bien sûr, et aussi entre les pro-loups et les anti-loups.

Pourtant, il va bien falloir se faire à l’idée que les loups ne sont pas seulement dans les régions de montagne, à l’écart des hommes. C’est ce que racontait ce petit reportage entendu aux infos à la radio il y a quelques jours. Je ne m’attendais pas aux lieux mentionnés ! Prisonnière de clichés sur cet animal !

Je vous ai enregistré tout ça ici, avec à la fin le petit reportage radio (vers 2’50):

Transcription du reportage:
Il y a des loups et ils sont certes (1) un peu flous (2) sur les photos : deux loups gris sont détectés ce mois-ci (3) en France, un dans les Yvelines* au début du mois, un autre en Indre-et-Loire* hier. C’est une première (4) depuis cent ans. Jean-Noël Rieffel, le directeur régional de l’Office Français de la Biodiversité dans la région Centre-Val de Loire :

« Pour nous, c’est pas une surprise, parce que l’OFB recense (5) les populations de loups. On sait qu’elles sont en augmentation. On estime à 624 loups (6) en France et on sait qu’à la faveur de l’automne (7), il y a des phénomènes de dispersion d’un certain nombre d’individus (8) qui en fait sont expulsés, si je puis (9) me permettre ce mot, de la meute (10) et parcourent des dizaines de kilomètres. On sait que le loup pouvait être retrouvé à 1500 km de son lieu de naissance. Et on sait que le loup peut parcourir jusqu’à 50 km par jour. Donc il est pas étonnant de voir des individus se disperser. Pour l’instant (11), ils sont pas installés du tout, il y a pas de meute, il y a aucun signalement d’attaques sur des troupeaux. Donc pour l’instant, il est trop tôt pour dire si ces individus qui ont été observés vont s’installer. Mais c’est fort (12) peu probable, voilà, voire (13) pas probable du tout.

Quelques explications :

  1. certes : c’est vrai / Il faut reconnaître que
  2. flou : pas net. La mise au point n’a pas été parfaite donc la photo est floue.
    On peut aussi utiliser cet adjectif au sens figuré : par exemple, un projet qui est flou est un projet qui n’est pas encore bien défini. Quand on a des idées floues dans un domaine, on ne sait pas encore grand chose sur le sujet. On dit aussi qu’on est dans le flou quand n’a pas encore d’idées précises à propos d’une situation.
  3. ce mois-ci : le mois en cours. On ne peut pas dire simplement Ce mois.
  4. C’est une première : c’est un événement inédit, totalement nouveau.
  5. recenser : compter le nombre de personnes, d’animaux, de plantes quelque part.
  6. 624 loups : six cent vingt quatre
  7. à la faveur de l’automne : l’arrivée de l’automne favorise ce phénomène
  8. un individu : c’est normalement une personne. Mais les scientifiques qui étudient des groupes d’animaux parlent aussi d’individus à propos des animaux.
  9. si je puis me permettre = si je peux me permettre (style un peu plus soutenu)
  10. une meute : c’est le terme qu’on emploie à propos des groupes de loups (ou de chiens dans la chasse à courre). Au sens figuré, on l’emploie à propos de groupes de personnes qui en harcèlent d’autres : Le journaliste a été menacé par une meute de supporters très énervés et alcoolisés. On parle aussi de phénomène de meute sur les réseaux sociaux par exemple, quand quelqu’un est victime d’innombrables commentaires haineux.
  11. Pour l’instant : on dit aussi Pour le moment.
  12. fort peu = très peu
  13. voire : et même

* Les Yvelines : il s’agit d’un des départements français, à l’ouest de Paris.
* L’Indre-et-Loire : dans cet autre département, on trouve la ville de Tours ainsi que des châteaux célèbres, comme Amboise, Azay-le-Rideau, Chenonceau, Villandry par exemple.
Ce n’est pas vraiment au loup qu’on pense en premier en évoquant ces deux départements !

Un renard, un loup, des poussins, des poules, etc.

le-grand-mechant-renardUne lectrice de ce blog m’a demandé récemment si j’avais des idées de lectures dans lesquelles on entendrait à travers les mots écrits des façons de parler très naturelles et familières. J’ai pensé à cette BD, faite d’une multitude de petites vignettes où les héros de l’histoire passent leur temps à discuter, à se chamailler, à se fâcher, à se réconcilier, à exprimer leurs émotions tout haut. C’est très drôle et c’est exactement comme si on entendait tout ce petit monde parler à voix haute : ça crie, ça piaille, ça pioupioute, ça caquète, ça couine, ça hurle et ça s’agite dans tous les sens !

Tout commence parce que les poules n’en peuvent plus de voir le renard débarquer dans leur village :

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Pourtant ce renard a un problème : il est incapable de faire peur à qui que ce soit, lui qui se voudrait chasseur terrifiant – un renard, ça devrait faire peur quand même !

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Ce pauvre renard en est donc réduit à se contenter des navets que lui laissent charitablement (et en se moquant) les animaux de la ferme. Mais des navets pour rassasier un renard, c’est très moyen et à la longue, vraiment déprimant. Alors, avec le loup, qui lui aussi rêve de croquer des poules, ils montent un plan d’enfer.

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Mais bien sûr, rien ne se passe comme prévu. Normal, quand les renards se mettent à couver des oeufs de poule !

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Et c’est parti pour presque deux cents pages de folie, de délire, de rebondissements. Exclusion, identité, estime de soi, bonheur, solitude, amour maternel, maternité non désirée, famille, corruption, paresse, clichés, stéréotypes, tout y passe, avec cette histoire de poussins déchaînés qui ne savent plus très bien qui ils sont mais qui savent qui ils aiment et que tout le monde se dispute.
J’ai dévoré cette histoire. C’est qu’on s’y attache à ces petites bêtes ! N’est-ce pas, monsieur le grand méchant renard !

brennerEt voici une petite interview sympathique du dessinateur, en cliquant ici. Et on voit émerger son renard et son loup sous son crayon et son pinceau pendant qu’il parle.

Transcription:
Je m’appelle Benjamin Renner et je suis… Je travaille dans le dessin animé et la bande dessinée. Donc voilà, c’est à peu près tout ce que je fais. J’ai 32 ans et voilà. Je sais pas quoi dire de plus. Ah, je suis né à Saint Cloud. C’est une charmante petite bourgade (1).
En ce moment, je suis en train de travailler sur… toujours sur Le grand méchant renard, toujours pas terminé, puisque c’est la BD donc que j’avais sortie il y a un peu plus d’un an maintenant, et il se trouve que je suis en train de le faire en film d’animation. Et du coup, je l’ai bien dans la main en ce moment, le renard. Et j’ai décidé de vous dessiner une petite scène avec le renard et le loup, enfin une scène de la BD Le grand méchant renard. Voilà.
Alors en fait, moi, ce qui me faisait un peu peur en commençant ce projet, c’est que je me disais : Bon, cette histoire, je l’ai déjà racontée. Qu’est-ce que je vais bien (2) pouvoir faire en fait ? Peut-être c’est ennuyeux de recommencer à raconter la même histoire en animation. Et finalement, j’ai été surpris de me rendre compte que bah c’était beaucoup plus ardu. En fait, une bande dessinée, ça s’adapte pas en prenant simplement les cases et en les mettant les unes derrière les autres dans un storyboard, quoi. Il y a beaucoup plus de travail que ça à faire, le rythme est pas du tout le même. Comme moi, je suis un grand admirateur de Chaplin, Buster Keaton, des choses comme ça… c’est des choses qui ont vraiment bercé mon enfance (3), j’ai beaucoup plus travaillé l’humour visuel, c’est-à-dire les personnages qui parlent pas en fait et à qui il arrive beaucoup de choses, presque des acrobaties, des espèces de chorégraphies un peu… un peu plus comiques, quoi.
Donc en fait, j’écris pas de scénario, moi, jamais. Même en bande dessinée, je les écris pas. En fait, j’ai jamais été bon. Même petit, je voulais être écrivain mais tout ce que j’écrivais, je trouvais ça vraiment mauvais ! Enfin j’avais assez de recul (4) pour me dire que c’était vraiment pas bon. Et c’était une espèce de frustration d’enfance parce que je voulais vraiment raconter des histoires, et du coup, je passe beaucoup par le dessin pour raconter des histoires. Enfin, j’aime beaucoup les grands dessinateurs, ceux qui dessinent très bien, mais je sais que c’est pas quelque qui m’intéresse de faire, quoi, c’est-à-dire que dessiner comme Moebius, je sais que j’en serai jamais capable et j’ai pas envie de le faire. J’utilise vraiment le dessin plus comme une sorte d’écriture… enfin, souvent je fais un espèce (5) de petit brouillon au crayon à papier juste pour voir à peu près où je vais, et ensuite, je… j’affine les choses, mais c’est vraiment au fur. (6).. Je cherche avec le dessin, quoi. Je dis assez de bêtises, comme ça, à la minute, donc voilà, voilà.

Quelques explications :
1. une charmante petite bourgade : c’est une expression figée pour désigner une petite ville, en province, souvent un peu ennuyeuse. Le mot bourgade est un peu désuet. Ici, il y a une légère ironie dans son ton. C’est dans la banlieue chic de Paris, et ce n’est pas tout à fait le terme qui vient d’habitude à l’esprit en pensant à cette ville.
2. Bien : quand il est employé ainsi à l’oral dans des questions avec le verbe pouvoir, il sert à renforcer la question, à montrer qu’on se pose vraiment la question parce qu’on n’est vraiment sûr de rien. Par exemple :
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire ? = Je ne sais pas quoi dire.
Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire là-bas ? = On va s’ennuyer .
Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir inventer encore ? = Il a déjà fait plein de bêtises. Quelle est la prochaine ?
Où est-ce qu’ils ont bien pu passer ? = Ils se sont perdus, je ne sais pas du tout où ils sont.
3. Des choses qui ont bercé mon enfance : on emploie souvent cette expression pour parler de ce qui se répétait et nous a marqués et accompagnés dans notre enfance. (des histoires, des films, des musiques, etc.)
4. avoir assez de recul : être suffisamment lucide
5. un espèce de brouillon : il faut dire une espèce de… même si le mot qui suit est masculin. Mais on entend beaucoup de gens accorder avec le mot suivant.
6. Au fur et à mesure : peu à peu, à mesure qu’il dessine.

Promenons-nous dans les champs

Promenons nous dans les champs

Promenons-nous… Promenons-nous… C’est rare en français aujourd’hui de parler à l’impératif à cette personne. Promène-toi, Promenez-vous ne surprennent personne. Mais Promenons-nous… A la place, c’est plutôt: Allez, on va se promener.

Pourtant, voici ce qui se passe dans nos têtes en lisant ces mots. Impossible de ne pas entendre immédiatement une petite chanson que nous connaissons tous depuis l’enfance:
Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas.
Si le loup y était, il nous mangerait.
Mais comme il n’y est pas, il nous mangera pas.
Loup, y es-tu ? Que fais-tu ? M’entends-tu ?
Je mets ma chemise!


Promenons-nous dans les bois…
…Je mets ma culotte !
Promenons-nous dans les bois…
…Je mets mes bottes !
Et j’arrive !

Souvenir de la tension qui monte, frisson du danger qu’on sent approcher à mesure que le loup s’habille. Et le délice de la fuite pour finir.
Jeux d’enfants.
Promenons-nous…

Un froid de loup

Depuis le début de la semaine, la France grelotte ! Et la neige est tombée sur de nombreux départements, notamment en Bretagne, en Normandie et dans la vallée du Rhône. Bien sûr, vous me direz, c’est normal, c’est presque l’hiver. Et ceux d’entre vous qui habitent des contrées nordiques vont sourire à nous entendre parler de ça aux infos !

Mais la France est un pays au climat tempéré, donc dans certaines régions, on n’est pas si habitué que ça à des chutes de neige importantes. Dans les Alpes, pas de problème, les habitants savent vivre avec le verglas et la neige. Mais dans l’ouest ou à Lyon, quand il en tombe 20 ou 30 cm en une ou deux heures , ça désorganise un peu la vie quotidienne. C’est ce que racontent ces Français frigorifiés !
(A Marseille, nous sommes un peu à l’abri de tout ça – pour le moment. Climat méditerranéen oblige !* Mais quand même, ça arrive de temps en temps : nous en avions parlé sur France Bienvenue1 l’an dernier.)

En tout cas, Il fait un froid de loup, c’est une jolie expression, non ?
On dit aussi qu’ il fait un froid de canard.
Je préfère la première !


Transcription :
Froid partout. Partout, partout. Les jambes, les pieds, les doigts. Moi, ça me dérange pas, tant qu’il pleut pas (1), hein !

Il fait très froid, très, très froid. Les doigts gelés, les orteils gelés. On est bien obligé de se préparer au froid, parce qu’on peut pas arrêter le chantier ici. On est obligé de se couvrir de multiples épaisseurs : doubles-gants, certes, des chaussures épaisses. Le soir, il y a beaucoup de fatigue mais on est heureux de retrouver le foyer où il fait chaud.

– Là, ça va mieux à cette heure-là. C’est le matin vers huit heures qu’on a un petit peu froid, dès qu’on attend les clients. (2)
– Puis en plus, vous avez les mains dans la glace, avec le poisson.
– Ah ouais, on est obligé de mettre de la glace quand même, mais c’est vrai qu’elle est pas chaude, hein ! Mais…
– Ça va ? C’est supportable ?
– Ouais. Tant qu’il y a pas de vent (1), ça va. Et ils promettent encore pire pour la fin de semaine, alors… C’est pas que ça nous arrange (3) mais on va faire avec.(4)

Bon, ça circule pas (5). On sait pas ce qui se passe. Ça fait à peu près deux heures et demie, pour faire dix-huit kilomètres. C’est mal salé. Beaucoup de gens sont dans la galère.(6)

Je vais essayer de passer par des petits chemins. Faut bien venir bosser !(7)

– Je viens juste d’arriver mais y en a pas.(8)
– Y en a pas. Huit heures et demie… Y en a pas.
– Et vous allez à Lyon ?
– Eh oui, on va tous travailler, oui. Gare de Vaise.
– Comment vous allez faire, là ?
– Ben là, regardez : on a une âme charitable qui se propose. Ou on fait du stop (9), ou on se débrouille (10) comme on peut.
– Vous étiez au courant (11) qu’il y aurait pas de bus ce matin, non ?
– Ben, pas vraiment. Je pensais que ça allait être dégagé. Mais les voies sont pas dégagées, donc on fait comme on peut, hein !
– J’ai écouté… J’ai regardé Infos Trafic TCL hier soir et ils disaient donc qu’il y avait pas de bus, hein. Hier soir à 19h30, il y avait pas de bus. Il fallait re… Il fallait se reconnecter à 6 heures du matin. Donc moi, je me suis pas connectée ce matin. J’ai dit, je vais descendre voir.
– Et c’est… c’est important pour vous si vous n’arrivez pas à votre travail ?
– Non… mais enfin, c’est embêtant (12), oui, quand même (13). Mais bon, j’ai des patrons (14) qui sont compréhensifs, hein. De toute façon, je vais pas… je vais pas… Oui, là, c’est un cas de force majeure (15), hein.
– Et vous madame, vous êtes l’âme charitable qui va aller… qui allez véhiculer tous ces gens-là !
– Dieu me le rendra peut-être !(16) On va y aller doucement mais sûrement (17), on va essayer.
– C’est mon premier de travail. Donc si j’annule mon premier jour, ça va pas être top (18) quand même. Donc on va essayer de faire avec. C’est pas grave ! (19)

Quelques explications:
1. Tant qu’il pleut pas : du moment qu’il ne pleut pas. / A condition qu’il ne pleuve pas. (familier) – Tant qu’il y a pas de vent : du moment qu’il n’y a pas de vent.
2. Il est poissonnier sur un marché. (Donc en plein air.) Il est arrrivé de bonne heure pour installer son stand.
3. C’est pas que ça nous arrange = c’est une manière de dire : ça ne nous arrange pas, c’est-à-dire que ce n’est pas très pratique, pas très bien pour nous.
4. on va faire avec : on va supporter cette situation parce qu’on ne peut pas faire autrement. On va s’en accommoder. (familier)
5. ça circule pas : aucun véhicule ne circule, ne roule.
6. être dans la galère : être en difficulté. On peut aussi utiliser le verbe : galérer. (familier)
7. Faut bien venir bosser : on est bien obligé d’aller travailler. (familier)
8. Y en a pas = il n’y en a pas. (Il n’y a pas de bus). (très oral)
9. faire du stop : se mettre sur le bord de la route et demander aux automobilistes de vous emmener quelque part.
10. se débrouiller : trouver une solution.
11. être au courant : savoir.
12. c’est embêtant : c’est un problème.
13. quand même : malgré tout.
14. un patron : un employeur (familier)
15. un cas de force majeure : une vraie contrainte sur laquelle vous n’avez pas de pouvoir.
16. Dieu me le rendra peut-être ! : c’est rare en France d’entendre des références à la religion comme ça. En fait, cette dame reprend une expression qu’on dit parfois pour remercier quelqu’un, avec une certaine ironie : «Dieu te le rendra». C’est pour ça qu’elle rit.
17. Doucement mais sûrement :  On dit aussi plus fréquemment : Lentement mais sûrement, ce qui signifie qu’on va réussir mais en prenant le temps nécessaire.
18. ça va pas être top : ça ne va pas être très bien. (familier)
19. C’est pas grave : ça ne fait rien. Ça n’a pas trop d’importance.

* Climat méditerranéen oblige : à cause du climat méditerranéen / en raison de ce climat