Sens dessus dessous

Une maison peut être sens dessus dessous après une catastrophe, après un cambriolage, après un déménagement, après une fête. Plus rien n’est à sa place, tout est en désordre. Aujourd’hui, c’est le monde qui est sens dessus dessous. Une fois de plus. Est-ce la fois de trop ?


Je partage avec vous cette analyse entendue à la radio ce matin, qui donne un aperçu de ce qui est en train de se passer : « ça fait un mois que Donald Trump est arrivé au pouvoir, un petit peu plus d’un mois. Un mois, c’est peu mais c’est suffisant pour mettre sens dessus dessous le système international. L’Europe et la France assistent médusées (1) à une série de coups de massue (2) dans les relations internationales telles qu’on les connaissait jusque-là.« 

Donc Trump est en train de mettre sens dessus dessous et son pays et le monde (3), notre monde à tous.

Au milieu de ce chaos, j’ai quand même trouvé de quoi faire un peu de français avec vous ! C’est que le journaliste de France Inter a prononcé l’expression sens dessus dessous d’une manière inhabituelle et incorrecte en fait. Il est vrai que le terme sens se prononce normalement de telle façon qu’on entende le S final. Sauf dans cette expression où le S devient muet. Un exemple encore une fois des complications du français ! Cela vient de l’histoire de cette expression qui à l’origine était Ce en dessus dessous, qui signifie que ce qui devrait être en dessous se retrouve au-dessus et vice versa. Ce en a fini par s’écrire sens, à force d’erreurs répétées mais a gardé une prononciation dans laquelle le S est muet. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains Français, qui prononcent bien cette expression, se trompent en l’écrivant : ils pensent qu’il s’agit du mot sans, puisqu’on n’entend pas le S final.

Je me suis aussi amusée à écouter comment cela était prononcé sur des sites où on peut écouter les mots ou les expressions. Voici ce que j’ai entendu. Très artificiel dans ce cas, avec cette coupure entre sens et le reste. C’est mieux lorsqu’il s’agit de vraies voix. Mais vous remarquez que ces deux personnes mangent les syllabes ! Ce n’est pas ce qu’on fait dans le sud de la France notamment. Donc à vous de voir ce que vous préférez dire, puisque les deux prononciations sont correctes.

Et tout à coup, en entendant ces deux voix masculines, je me suis souvenue d’un humoriste qui avait du succès quand j’étais enfant. Il jouait avec les mots et c’est ce qu’il fait dans ce sketch célèbre avec dessus et dessous. Ce sera peut-être une occasion d’aiguiser leur oreille pour ceux d’entre vous qui ont du mal à entendre la différence entre le son ou et le son u et à les prononcer. Quand on apprend une langue étrangère, il y a toujours des sons qui sont compliqués car ils n’existent pas dans notre langue maternelle.

En lisant ce texte, vous vous direz aussi sans doute que les Français sont bien casse-pieds avec leurs traits d’union : au-desssus s’écrit avec un trait d’union mais en dessous n’en prend pas. Ne cherchez pas la logique là-dedans ! Et ne vous découragez pas parce que ce n’est pas très grave et parler d’autres langues, c’est ce qui donne accès au monde. Je suis bien contente de pouvoir suivre en anglais ce qui se passe et ce qui se dit aux Etats-Unis en ce moment en ayant accès aux versions des uns et des autres, tant que c’est encore possible !

La vidéo est ici. On trouve tout sur internet ! Et voici les paroles :

Actuellement, mon immeuble est sens dessus dessous. Tous les locataires en dessous voudraient habiter au-dessus ! Tout cela parce que le locataire qui est au-dessus est allé raconter par en dessous (4) que l’air que l’on respirait au-dessus était meilleur que celui que l’on respirait à l’étage en dessous ! Alors, le locataire qui est en dessous a tendance à envier celui qui est au-dessus et à mépriser celui qui est en dessous.
Moi, je suis au-dessus de ça ! Si je méprise celui qui est en dessous, c’est parce qu’il convoite l’appartement qui est au-dessus, le mien ! Remarquez  … moi, je lui céderais bien mon appartement à celui du dessous, à condition d’obtenir celui du dessus ! Mais je ne compte pas trop dessus. D’abord, parce que je n’ai pas de sous (5) ! Ensuite, au-dessus de celui qui est au-dessus, il n’y a plus d’appartement !
Alors, le locataire du dessous qui monterait au-dessus obligerait celui du dessus à redescendre en dessous.
Or, je sais que celui du dessus n’y tient pas (6) ! D’autant que, comme la femme du dessous est tombée amoureuse de celui du dessus, celui du dessus n’a aucun intérêt à ce que le mari de la femme du dessous monte au-dessus !
Alors, là-dessus  … quelqu’un est-il allé raconter à celui du dessous qu’il avait vu sa femme bras dessus, bras dessous avec celui du dessus  ! Toujours est-il (7) que celui du dessous l’a su ! Et un jour que la femme du dessous était allée rejoindre celui du dessus, comme elle retirait ses dessous  … et lui, ses dessus  … soi-disant parce qu’il avait trop chaud en dessous  … Je l’ai su, parce que d’en dessous, on entend tout ce qui se passe au-dessus  …
Bref ! Celui du dessous leur est tombé dessus (8) ! Comme ils étaient tous les deux soûls (9), ils se sont tapés dessus. Finalement, c’est celui du dessous qui a eu le dessus (10). Vous l’aviez su, ça ?

Quelques explications de vocabulaire :

  1. être médusé : être sidéré. (Ce terme est très fort)
  2. un coup de massue : une massue est une sorte de bâton avec une tête plus épaisse qui sert d’arme pour assommer ou tuer quelqu’un. Au sens figuré, prendre un coup de massue, c’est apprendre une nouvelle qui nous laisse complètement abasourdi et anéanti.
  3. et son pays et le monde : la répétition de ET sert à insister sur les deux éléments évoqués et à les mettre à égalité, sur le même plan
  4. par en dessous : en cachette
  5. je n’ai pas de sous : je n’ai pas d’argent
  6. il n’y tient pas : il n’est pas vraiment d’accord, il n’y est pas favorable
  7. toujours est-il : en tout cas, la conséquence, c’est que…
  8. il leur est tombé dessus : il les a attaqués, agressés
  9. soûl : ivre. On peut aussi écrire : saoul, mais la prononciation ne change pas.
  10. avoir le dessus : être vainqueur, être le plus fort

Faut-il en rire ou en pleurer ?

Nouveau premier ministre, nouveau gouvernement. Et donc nouvelle ministre de l’Education Nationale. C’est le quatrième changement à la tête de ce ministère depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, avec à chaque fois des réformes appliquées à la va-vite. Et cette fois, cette ministre est en charge aussi du Ministère de la Jeunesse et des Sports. Et bien sûr, elle s’occupe également des fameux Jeux Olympiques organisés en France cette année. On peut raisonnablement se demander si ça ne fait pas un peu trop ! Et quand on écoute ses premières interventions, il n’y a pas de quoi être rassuré. Le premier extrait que je partage ici m’a laissée perplexe par son ton familier et ses promesses creuses.

Le deuxième extrait m’a vraiment irritée ! Eh oui, notre ministre de l’Education Nationale a mis ses enfants dans une école privée catholique (et pas n’importe laquelle). Vous me direz, rien de bien surprenant en fait de la part de nos dirigeants. Mais ce qui fait bondir, c’est la justification qu’elle a apportée devant la presse : ses enfants ne vont pas dans une école publique parce que le système ne fonctionne pas ! Ah bon, il n’y a pas de remplaçants ? Ah bon, la vie dans certaines écoles n’est pas agréable, pas épanouissante ? Mais qui supprime des centaines de postes d’enseignants ? Qui surcharge les classes ? Qui épuise les enseignants et les dévalorise ? Qui amène certains chefs d’établissement à recruter des gens non formés pour combler les manques de notre administration ?

En tout cas, c’est plutôt mal parti avec les enseignants qui pour beaucoup se sentent déjà déconsidérés et offensés par leur ministre toute neuve !

Voici aussi juste l’enregistrement si vous ne pouvez pas accéder à instagram:

Trancription

Bonsoir à toutes et à tous, c’est Amélie Oudéa Castera, je suis votre nouvelle Ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques et je voulais absolument vous faire un petit coucou (1) ce soir avant de boucler cette journée (2) qui a été super (3) riche, super dense avec la passation (4), avec Gabriel Attal, notre nouveau premier ministre ce matin. Je voulais aussi vous dire ma fierté d’être votre ministre, la ministre de l’école, la ministre de la jeunesse, la ministre de plus de sport dans vos vies, la ministre qui va aussi faire en sorte que les Jeux, ils puissent inspirer la jeunesse de tout notre pays, que vous puissiez y être associés. Moi, j’ai envie que, tous ensemble, on arrive à construire, à fortifier cette école qui va être à la fois une école de l’exigence sur la maîtrise des savoirs, mais aussi une école qui protège, où il y a pas de harcèlement (5), il y a pas de peur, il y a pas de boule au ventre (6), et puis aussi une école qui est celle de l’épanouissement, l’épanouissement républicain, avec plus de sport, avec la reconnaissance de vos différences, de vos talents, de là où vous êtes bons, là où vous avez envie de vous exprimer. C’est tout ça qu’on va essayer de construire ensemble. Et voilà, je suis encore super heureuse d’être à votre service, au service de toute la communauté éducative, au service du monde du sport, pour qu’on réussisse tout ça ensemble. Il y a beaucoup, beaucoup de choses, beaucoup de belles choses à vivre, à partager. Alors, à très bientôt.

Des explications

  1. faire un petit coucou : on emploie cette expression familière avec ses amis ou ses proches, pour dire qu’on va passer les voir, qu’on va leur faire une petite visite pour leur dire bonjour. Le ton est surprenant de la part d’une ministre, même sur les réseaux sociaux.
    On est dans le coin. Est-ce qu’on peut passer vous faire un petit coucou ?
    – Tu as des nouvelles des enfants ?
     Oui, ils nous ont fait un petit coucou en sortant du cinéma.
  2. boucler une journée : terminer une journée chargée.
  3. super : très (style familier, oral)
  4. la passation : il s’agit du moment où le ministre en place passe officiellement, lors d’une petite cérémonie, les pouvoirs au nouveau ministre qui vient d’être nommé. On parle de passation des pouvoirs.
  5. le harcèlement : la lutte contre le harcèlement scolaire est un des thèmes du gouvernement, pour mettre fin à toutes ces situations où des collégiens ou des lycéens s’en prennent à certains élèves de leur entourage, les humilient, les insultent, les maltraitent physiquement et moralement, jusqu’à entraîner des suicides chez ces jeunes harcelés.
  6. avoir la boule au ventre : ressentir une grande angoisse (qui peut se traduire par des symptômes physiques). On emploie cette expression familière à propos des élèves angoissés par l’école pour diverses raisons mais aussi à propos des adultes angoissés par exemple à l’idée d’aller au travail s’ils y sont mal traités.

Voici ce que la ministre de l’Education Nationale a répondu pour justifier la scolarisation deses enfants dans l’enseignement privé. A pleurer !

Transcription

Alors, très bien, on va aller sur le champ du personnel (1). Je vais vous dire pourquoi nous avons scolarisé (2) nos enfants à l’école Stanislas, je vais vous raconter, brièvement, cette histoire, celle de notre aîné Vincent. Vincent, qui a commencé, comme sa maman, à l’école publique, à l’école Littré (3). Et puis, la frustration de ses parents, mon mari et moi, qui avons vu des paquets (4) d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées (5). A un moment, on en a eu marre (6), comme des centaines de milliers de familles qui, à un moment, ont fait un choix, voilà, d’aller chercher une solution différente (7).
On habitait rue Stanislas. Scolariser nos enfants à Stanislas était un choix de proximité (8). Et depuis, de manière continue, nous nous assurons que nos enfants sont non seulement bien formés, avec de l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux, qu’ils sont heureux, qu’ils sont épanouis (9), qu’ils ont des amis, qu’ils (10) sont bien, qu’ils se sentent en sécurité, en confiance.
Et c’est le cas pour mes trois petits garçons, mes trois enfants qui sont là-bas. Alors, je pense que, avant de stigmatiser les choix des parents d’élèves, il est important de rappeler que l’école, celle de la République (11) et que la République travaille avec tout le monde, dès lors que (12)… on est au rendez-vous (13), voilà, de cette exigence et de ses valeurs.

Des explications

  1. le champ du personnel : le domaine de sa vie privée.
  2. scolariser un enfant : l’envoyer à l’école, l’inscrire dans une école.
    Par exemple : Les enfants en France sont scolarisés dès l’âge de 3 ans à l’école maternelle.
  3. l’école Littré : les écoles portent toutes un nom. Littré (Emile) est le nom d’un lexicographe du 19è siècle connu entre autres pour son Dictionnaire de la Langue Française.
  4. un paquet d’heures : de très nombreuses heures ( familier)
  5. des heures pas remplacées : la Ministre fait référence au fait que l’Education Nationale manque de remplaçants professionnels et qualifiés pour prendre le relais dans les classes quand des enseignants sont malades, en congé de maternité, quand leurs propres enfants sont malades, etc. Il s’agit d’un choix des différents gouvernements depuis des années de rogner sur le budget de l’enseignement et de ne pas payer des enseignants qualifiés dont la spécialité est de remplacer au pied levé leurs collègues empêchés pour une raison ou une autre. Il existait un corps de professeurs titulaires remplaçants, donc affectés à une zone de remplacement. Ce corps a été supprimé pour faire des économies budgétaires.
  6. on en a eu marre : on en a eu assez (familier)
  7. chercher une solution différente : c’est-à-dire inscrire ses enfants dans l’enseignement privé, où des fonds sont débloqués par les directeurs en cas d’absence de leurs professeurs (puisque les parents payent directement la scolarité de leurs enfants)
  8. un choix de proximité : elle fait comme si ce choix était juste un choix lié à l’endroit où la famille habite, c’est-à-dire qu’on inscrit ses enfants dans l’école la plus proche du domicile familial.
  9. être épanoui : être parfaitement à l’aise et vivre une vie sereine
  10. qu’ils sont bien : on entend « qui sont bien », ce qui signifierait que ce sont les camarades de classe de ses fils qui sont des enfants « bien », c’est-à-dire fréquentables. Je pense que, quand même, elle dit « qu’ils sont bien », faisant référence à ses enfants et à leur bien-être.
  11. l’école de la République : cela renvoie aux valeurs développées pendant la 3è République, basées sur l’idée de donner une éducation à tous les enfants. La suite de la phrase n’est pas claire : je ne comprends pas comment elle est construite !
  12. dès lors que = dès que
  13. être au rendez-vous de ces exigences : respecter ces exigences, les mettre en application

Côté communication, voici une entrée en matière complètement ratée auprès d’une majorité d’enseignants !
Ou alors, ce n’est pas un hasard et c’est donc tout simplement inquiétant pour l’école publique.