La vie de Jacominus

« Tu dois te demander ce que signifient Les Riches Heures ? Comme je suis là pour l’instant, je vais te répondre: c’est une façon poétique et raffinée de parler de la vie de quelqu’un ». […] C’est la vie de Jacominus que tu vas découvrir dans ce livre. Pourquoi LUI ? me demanderas-tu encore. Eh bien parce que comme Jacominus l’a dit lui-même : sa vie valait la peine d’être vécue. Alors je trouve qu’elle vaut aussi la peine d’être racontée. » R.D.(prologue)

Oui, mille fois oui, cette vie vaut la peine d’être racontée, dans ce si bel album. Cette rencontre avec Jacominus Gainsborough est de celles qu’on n’oublie plus.
Des illustrations magnifiques, à regarder aussi minutieusement qu’elles ont été dessinées par Rebecca Dautremer.
Une poésie des mots, portée par l’emploi de ce si beau passé simple qui donne aux histoires les plus simples la dimension intemporelle des contes.
C’est le récit d’une vie entière, avec ses joies, ses difficultés, sa simplicité à la fois ordinaire et merveilleuse.

Voici Jacominus, le petit lapin dans la lune, qui, enfant, a pris « une petite bûche », en tombant du haut de quatre marches et en a gardé, sans jamais se plaindre, une petite béquille toute sa vie.
Jacominus, qui a appris à parler sept ou huit langues, lui qui parlait peu, qui a rêvé sa vie et vécu certains de ses rêves. Il a connu des guerres, pris des grands bateaux, habité des villes, marché sur des sentiers de montagne, respiré le parfum des amandiers en fleurs.
Jacominus qui a tellement aimé Beatrix, sa grand-mère « bilingue, loquace et philosophe », ainsi que Douce, l’amour de sa vie, et June, Nils et Mona, ses trois enfants à qui il a donné son temps et son énergie. Jacominus qui a aussi beaucoup aimé ses amis aux prénoms singuliers.
Il a cheminé à travers le monde et les jours, vers la patience, la sagesse et le sentiment tout simple d’avoir vécu « une bonne petite vie, vaillante et remplie ».

Il faut que vous lisiez Les riches heures de Jacominus, que vous le cherchiez dans la peinture et dans la langue raffinée de Rebecca Dautremer. Et que vous le lisiez avec les enfants de votre entourage, en n’oubliant pas le superbe prologue, adressé aux grandes personnes et aux petits. Tout est dit. C’est magique.

En voici juste quelques pages pour achever de vous convaincre !


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Une vie est faite de rencontres. Comment ne pas se retrouver dans celles de Jacominus ?

A bientôt !

La danse et le temps

Danse

Une émission de radio comme une petite vignette, où un danseur qui a beaucoup dansé raconte ses rapports avec le temps qui passe.

Parce qu’on ne peut pas être danseur toute sa vie, ou en tout cas pas de la même façon à cinquante ans qu’à vingt.

Voici un extrait de cette jolie conversation:

La danse et le temps qui passe

Transcription :
– J’ai fait de la danse un peu par hasard suite à… après avoir vu un film. On m’a donc inscrit à un cours de danse. Je dois dire que j’ai pas aimé ça du tout ! Et puis bon voilà, enfin il y avait une carte de dix cours, il fallait la finir, ça s’est étalé dans le temps. Et puis un jour, sur le coup de (1) sept ans et demi, quelque chose comme ça, le professeur a dit : « Tiens, il se réveille, il se passe quelque chose. Il est doué. Est-ce qu’il voudrait en faire son métier et rentrer à l’Opéra (2) ? » Tout d’un coup, on s’intéressait à moi, on me trouvait… Voilà, j’ai dit oui. Mais en fait, j’aimais pas ça. C’était un gros mensonge. J’ai su que j’aimais vraiment ça, j’avais quatorze ans, quatorze ans et demi, au cours de spectacles de l’Ecole, où j’étais un Mousquetaire, je séduisais une jeune fille. Tout d’un coup, j’ai été grisé (3) par la scène, la musique et puis ce… ce jeu. Et donc là, je me rappelle très bien que je suis rentré en loge (4) et je me suis dit : « Je peux ne plus mentir. J’aime vraiment ça, quoi.» Et puis, si, j’aimais beaucoup la musique et l’effort physique. Il y avait… J’avais quand même des émotions comme ça. Mais enfin, aller regarder un ballet, ça m’emmerdait (5), hein ! Je préférais aller regarder un film, vous voyez ce que je veux dire. C’était pas… Puis j’étais pas fana (6) de danse. Je le suis toujours pas d’ailleurs. Mais par contre, quand ça me touche, ça me touche plus que n’importe quel art.
– Comment est-ce que ça façonne une personnalité, d’être danseur ?
– Déjà, c’est l’exigence si petit. Chaque jour sur le même geste, j’en redemande plus, d’autres sensations, qu’on peut toujours aller plus loin. C’est toujours ce décalage entre ce qu’on vous demande et votre maturité. Le paradoxe, c’est que danseur, faut aller très vite. Mais en même temps, ça demande du temps et il y a que le temps qui fait les choses, voilà, c’est tout. Donc le problème du danseur, c’est ça. Puis c’est au moment où il possède son truc, c’est là que physiquement, il commence à plus pouvoir. A trente-cinq ans, vous êtes plus un jeune, hein ! Moi, c’était plutôt une période très heureuse parce que justement, c’est une période de la maturité, de la plénitude. On va dire au contraire, on a moins peur, le trac (7) est un peu parti, on maîtrise son truc, puis on commence à vraiment comprendre ce qu’on fait, quoi, à vraiment… Voilà, les gestes sont érodés mais dans le bons sens du terme, vous voyez ce que je veux dire, on a tellement usé les gestes qu’ils font partie de nous.
Le rapport au temps est très spécial, quoi. Et toujours cette impression d’être en retard, parce que la course contre ce temps, contre le temps de monter, les blessures, les moments où vous êtes dans le doute et tout pour profiter pleinement des spectacles, voilà.
– Du coup, le jour où on arrête, les adieux à la scène, ça se passe comment ?
– Bah après, ça fait un drôle d’effet (8), quoi. Du jour au lendemain (9), ploum (10), bah voilà, plus rien. Bon j’avais des projets de danse, de théâtre et tout, donc je savais que la scène allait continuer. Non, bah il y a un moment un peu de vide, et en même temps, une… On pose un peu les valises, comme on dit, c’est-à-dire qu’il y a un moment de relâchement qui était pas désagréable parce que voilà, parce que c’est sous pression pendant des années et des années et des années. Vous faites des adieux ici à l’Opéra Bastille, moi, ça c’est passé ici, voilà, avec la salle pleine, vingt minutes de rappels (11), enfin bon, c’est un moment incroyable. Et puis trois mois après, pof (12), vous vous retrouvez avec des bambins (13) de douze ans et demi. Le choc est rude, je dois dire ! Je peux pas vous dire que ça a été un moment… Ce premier cours a pas été spécialement agréable. Puis vous passez d’une vie de compagnie – parce qu’il y a ça aussi – vous passez d’une vie de compagnie qui moi, me lassait un peu, hein, beaucoup de monde, toujours les uns sur les autres et tout. Mais enfin bon, voilà, vous voyez du monde, vous avez des potes (14) depuis l’enfance, vous… voilà. Puis du jour au lendemain, vous vous retrouvez… vous avez vu l’ambiance de l’Ecole, bah il y a… il y a douze profs, et c’est toujours les mêmes personnes en vase clos (15). Donc oui, ça fait… ça fait un drôle d’effet. Et en fait, il y a quelque chose qui est en train de se passer qui me fait très plaisir, moi qui avais tellement peur de m’ennuyer, je me rends compte quand je les vois comme ça, que je vois ces mômes (16) grandir, changer, etc. , finalement, une vie, c’est ça, quoi. C’est cet échange comme ça. Qu’est-ce qu’on peut amener (17) à l’autre pour le faire changer, pour en faire quelqu’un, entre guillemets, sans prétention, hein, mais quelqu’un de mieux. Voilà.

Quelques détails :
1. sur le coup de : vers. (plutôt familier) On peut l’employer aussi avec des horaires : Il est arrivé sur le coup de 7 heures.
2. L’Opéra de Paris, où les futurs danseurs entrent à l’Ecole de Danse comme petits rats.
3. Être grisé par quelque chose : trouver quelque chose vraiment passionnant et excitant.
4. Une loge : c’est la pièce où se préparent les acteurs, les danseurs, les artistes dans une salle de spectacle, un théâtre.
5. Ça m’emmerdait : ça ne m’intéressait pas du tout, je m’y ennuyais vraiment. (très, très familier et seulement oral)
6. fana de quelque chose : abréviation de fanatique, donc passionné de quelque chose.
7. Le trac : c’est le sentiment de peur ou d’apprehension qu’ont les gens qui montent sur scène. On dit qu’on a le trac. Par exetension, on peut aussi avoir le trac avant un examen, avant un entretien d’embauche.
8. Ça fait un drôle d’effet : ça fait bizarre, ça procure une sensation étrange.
9. Du jour au lendemain : très rapidement, sans transition.
10. Ploum : c’est une onomatopée, qui exprime ici le côté brutal du changement.
11. Un rappel : c’est quand les spectateurs continuent à applaudir pour faire revenir les artistes sur scène à la fin du spectacle.
12. Pof : autre onomatopée qui exprime aussi le côté sans transition de ce changement.
13. Un bambin : un enfant. (On ne l’emploie pas très souvent.)
14. Un pote : un ami (familier)
15. en vase clos : avec très peu de contact avec le monde extérieur, en compagnie des mêmes personnes dans le même milieu. On dit qu’on vit en vase clos.
16. Un môme : un enfant (familier)
17. amener : ici, les puristes diront qu’il vaudrait mieux utiliser le verbe apporter.

L’émission en entier est ici.

Mémé

DSC_5022cVoici aujourd’hui une vieille dame qui m’avait bien plu quand je l’avais entendue à la radio. Pour ses 100 ans, pour sa vitalité, sa curiosité et sa lucidité. J’aime bien imaginer tout ce qu’elle a vécu, tous les changements qu’elle a vus. Elle a toute sa tête, Mémé, … et un ordinateur.

Je l’écoute et je me demande si je saurai être une Mémé un jour et, comme elle, vivre avec ce qui aura été inventé alors!

Mémé

Transcription :
– Je faisais… je faisais un jeu.
– Ah bon ? Oui, alors, c’est ça la question : vous faites quoi avec ? (1)
– Je… je reçois des mails (2), j’en envoie, j’ai des photos. J’ai une amie qui est partie en Pologne, elle m’en… Elle est très fidèle et elle m’envoie des… Elle m’envoie beaucoup de mails et j’ai des mails amusants, des choses très jolies à voir, des paysages, des… je visite des musées avec mon ordinateur ! L’ordinateur, je l’ai depuis cinq ans. On m’a offert ça pour mes quatre-vingt quinze ans !
– Aujourd’hui, il y a un thème dont on parle beaucoup dès qu’on parle des personnes âgées, c’est celui de la solitude. Est-ce que vous, vous vous sentez seule, à cent ans ?
– Je suis assez… Je suis assez contente de… d’être toute seule. Oui, oui, oui, oui. Je fais ce que je veux, c’est ça. Moi, il me faut… Faut pas d’entraves (3). Faut pas que (4)… Faut pas qu’on m’embête (5). Et pourtant, et pourtant, je suis seule. J’ai perdu maman très jeune, mon père, j’avais vingt-six ans, j’ai perdu mon mari très tôt, j’avais cinquante-sept ans. Et mes enfants, il y en a une qui est partie à quarante ans, et l’autre qui est partie à soixante-douze ans. Et Mémé (6), elle tient le coup ! (7) Elle est toujours là, je comprends pas ! Je pense à eux, je suis avec eux toute la journée, mais je ne m’ennuie pas. Et je pense à eux avec les bonnes choses, je…
– Sans tristesse.
– Quand je vois des… des gens qui pleurent, qui crient, qui « Ah…! ». Moi… Moi, j’ai mon chagrin (8), là, comme ça, mais ça s’ extériorise pas (9).
– Comme ça, vous dites ça, en vous touchant le cœur, la poitrine.
– C’est là, c’est ça.
– Je peux vous demander ce que vous faites pour le 31 décembre ?
– Je ne vais rien faire, je vais être toute seule. Je vais me préparer mon petit réveillon (10) à moi. Je vais me faire une bonne… un bon petit truc. Je vais m’acheter du saumon (11), et puis je vais rester jusqu’à… jusqu’à minuit, bien sûr, parce que alors là, j’ai tous mes coups de téléphone qui viennent après minuit ! J’ai tous mes petits-enfants qui m’appellent. Puis après, bah à une heure… une heure ou deux du matin, je vais me coucher.
– Quand on a cent ans aussi, alors malheureusement, vous avez perdu vos enfants, mais vous avez aussi, j’imagine, dû perdre vos amis.
– Ah bah, j’en ai plus !
– Bah oui !
– Ils sont tous partis, ça y est. Quand j’ai été à la retraite, là, quand j’ai perdu ma fille, je me suis occupée de mes petits-enfants. Après, bon bah quand les enfants ont été un peu plus grands, bon, j’ai… je suis restée là et puis je… Après ma fille, j’ai été épouvantablement (12) triste et seule pendant… pendant deux, trois ans. Puis j’ai dit : Bon bah je peux pas rester comme ça. C’est pas possible. Alors, j’ai été à la mairie (13), voir… faire faire de la gymnastique. Et là, j’ai eu de la chance de rencontrer des gens de mon âge, et puis alors, là, on se réunissait que nous, sept-huit (14), et puis on a fait des voyages, on a… C’était… On a passé de très bons moments. Bon bah tout ça… tout ça, c’est parti petit à petit. Je les ai perdus l’un… l’un après l’autre. Voyez, ce qui me manque beaucoup maintenant, c’est de la tendresse, de quelqu’un avec moi. Mais j’adore mes petits-enfants, mes petites-filles, tout ça, mais : « Bonjour Mémé ! » Allez hop, ça y est, ça va vite, hein ! J’aimerais qu’elles prennent un peu de temps. Eh bah voilà, là encore cent ans un mois ! Je pensais pas… Quand j’étais jeune, j’avais compté l’âge que j’aurais en l’an 2000.

Quelques détails :
1. Vous faites quoi avec ? : question orale = Qu’est-ce que vous faites avec ? Et on n’a pas besoin de pronom pour remplacer « ordinateur ». C’est comme ça avec les objets, mais pas avec les personnes. Par exemple : J’ai un ordinateur. Je fais des jeux, j’envoie des mails avec. Mais on dit: J’avais des amis. Je faisais des voyages avec eux.
2. Un mail, des mails : les Français n’utilisent que rarement le mot email. Ils n’utilisent pas souvent non plus le mot courriel.
3. Une entrave : quelque chose qui empêche de faire ce qu’on veut.
4. Faut pas que… : c’est uniquement oral, puisqu’il manque : Il ne…
5. Il ne faut pas qu’on m’embête = il faut qu’on me laisse tranquille. Embêter quelqu’un, c’est le déranger.
6. Mémé : c’était le nom qu’on donnait aux grand-mères. Aujourd’hui, on dit plutôt Mamie, ou d’autres choses. Donc Mémé est plutôt réservé aux très vieilles dames, aux arrière-grand-mère par exemple, pour faire la différence avec Mamie. Dans le sud, on emploie souvent un mot très proche, Mamé, qui bizarrement reste plus à la mode. Dans d’autres contextes, si on dit par exemple d’un vêtement que ça fait mémé, c’est péjoratif, puisque ça veut dire que ça fait très vieux : J’aime pas cette couleur, ça fait mémé !
7. Tenir le coup : ne pas flancher, rester solide, en bonne santé, résister. (familier)
8. le chagrin : la peine. (C’est plus fort que la tristesse.)
9. extérioriser ses sentiments : montrer ses sentiments, les exprimer. Elle, c’est le contraire, elle les garde pour elle.
10. Le réveillon : c’est la soirée de Noël ou du 31 décembre, avec un bon repas, plus tardif que d’habitude.
11. Du saumon : il s’agit de saumon fumé. C’est assez traditionnel chez les Français à ce moment-là de l’année, comme les huîtres.
12. Épouvantablement triste : horriblement triste. C’est très fort, car en français, on reste souvent plus sobre dans les mots qu’en anglais par exemple et on dit en général juste : très triste.
13. La mairie : c’est là où tout s’organise et où tout est géré dans la ville où on habite. En plus des services administratifs, on peut donc y trouver des activités de loisirs, pour toutes les catégories de la population.
14. Sept, huit : ils formaient un petit groupe de sept ou huit amis.

Vous me tutoyez, là, monsieur ?

Au cinéUn billet inspiré par un film sorti depuis peu et que, comme d’habitude, je n’ai pas vu. Une comédie dramatique à la française, comme on dit, adaptée du roman de David Foenkinos, Les Souvenirs.

Au hasard d’émissions à la télé, j’ai vu plusieurs scènes à propos desquelles je m’étais dit que j’en parlerais ici.

Voici l’une d’elle en cliquant ici.

Transcription :
– C’est ta grand-mère !
– Bah qu’est-ce qui se passe ?
– Elle a disparu.
– Comment c’est possible qu’elle soit partie comme ça ? Vous les surveillez pas ?
– Mais c’est pas une prison ici, monsieur.
– Non mais attendez, hein, pas…
– Alors effectivement, on a reçu un appel de la maison de retraite, mais bon, c’est pas la première fois, hein ! C’est une vraie passoire (1) là-bas.
– Mais du coup, enfin concrètement, vous pouvez faire quoi ?
– Ah concrètement, rien !
– On peut pas lancer un avis de recherche ? A la télé, ils passent leur temps avec leur « Alerte- Enlèvement » (2). On peut pas faire pareil ?
– Vous voulez qu’on lance l’ Alerte-Enlèvement pour votre mère ? Première question : est-ce que votre mère est majeure ? (3)
– Tu t’énerves pas, hein.
– Ah bah je m’énerve pas. Je ne m’énerve pas du tout, non, non, non !
– Je fais simplement mon travail, hein. On voit de tout (4), nous, ici.
– Et une mère plus jeune que son fils, tu as déjà vu ça, toi ? Hein vraiment ?
– Non mais vous me tutoyez, là, monsieur ?
– Oui, je vous tutoie ! Laisse-moi, toi ! Tout va bien, tout va bien. Tout va bien !

Quelques détails :
1. c’est une passoire : on utilise cette image à propos de lieux où on peut entrer et sortir sans difficulté.
2. Une Alerte-Enlèvement : c’est le dispositif mis en place depuis peu en France, sur le modèle des Etats-Unis, pour lancer l’alerte très vite et à grande échelle si un enfant ou un ado est enlevé.
3. Être majeur : on est majeur à partir de l’âge de 18 ans. Les alertes-enlèvement sont lancées seulement pour les mineurs.
4. On voit de tout : cette petite phrase indique que tout est possible, même les situations les plus inattendues. (familier)

Le tutoiement abolit la distance. Avec des effets opposés:
– il rapproche des autres, il met sur un pied d’égalité. Le Tu de la collaboration, ou du partage, ou de l’amitié, ou de l’amour.
– il permet de les dominer, de les insulter, de les humilier. Le Tu de l’impolitesse, ou du manque de respect, ou de l’agression verbale. Passer à Tu, c’est transgresser dans ces cas-là les règles de la sociabilité.

Dans cette scène, Michel Blanc s’inquiète, s’énerve et tutoie le commissaire : Une mère plus jeune que son fils, tu as déjà vu ça, toi ?
Mais on ne peut pas tutoyer un commissaire, ça peut avoir des conséquences : Vous me tutoyez, là, monsieur?
Et une fois son angoisse exprimée, il reprend le chemin de la politesse : Oui, je vous tutoie, dit-il… en vouvoyant le policier!
Fin du dérapage, retour au calme.

Mes codes : personnels mais bien sûr inséparables de mon milieu et de mon époque, avec l’idée qu’à mon âge, si on me tutoie, je tutoie aussi. (en version orale ou écrite, selon vos préférences)

Tu ou Vous, Catalogue personnel

– Je dis Vous à mes étudiants. Ce n’est pas le cas de tous mes collègues. Dans ce cas, le vouvoiement m’est très naturel, comme il l’est de la part des étudiants.
– Je tutoie tous mes collègues, parce que nous travaillons ensemble tous les jours. (Et à Marseille, on fait aussi la bise à ses collègues pour se dire bonjour.)
– Les jeunes collègues ont tendance à commencer par vouvoyer ceux qui sont plus âgés qu’eux et attendent le feu vert de leurs aînés pour les tutoyer. Je fais maintenant partie de ceux qui peuvent donner le feu vert. (ce qui a ses avantages et ses inconvénients.)
– Je dis Tu dans les commentaires que je laisse sur Instagram. Parfois en me disant que c’est un peu familier au tout début. Mais dans le fond, je suis surprise par ceux qui y vouvoient les autres.
– Je ne sais pas toujours quoi faire en répondant aux commentaires sur ce blog. Il me manque les repères d’âge, de « style », tout ce qu’on décrypte quand on voit les gens en chair et en os. J’ai tendance à dire Tu rapidement (ou immédiatement), sans doute pour gommer un peu la distance inhérente à ces échanges par blog interposé. Mais je fais souvent une remarque sur ce passage au tutoiement, comme pour m’excuser de cette familiarité trop précoce.
– Nous avons rencontré ce problème hier avec mes trois jeunes filles qui travaillent sur France Bienvenue cette année: pour répondre à une question posée par un visiteur, l’une n’envisageait pas de répondre en le tutoyant, la deuxième trouvait bizarre de le vouvoyer et la troisième n’arrivait pas à décider. Nous avons tranché en contournant le problème, dans une réponse où n’apparaissent ni Tu ni Vous ! (Mais c’est en général difficile de faire ce tour de passe-passe.)
– Il y a quelques personnes de mon entourage à qui je continue à dire Vous, même si nous sommes devenus plus proches au fil du temps. C’est difficile de changer des habitudes de longue date et ça ne gêne pas ces relations. C’est comme ça !
– Je dis Tu dans ma voiture à ceux qui conduisent comme des sauvages (d’après mes critères). Ce tutoiement va de pair avec des termes que je n’emploie pas habituellement. (Oui, des gros mots). Mais je suis dans ma voiture. Le Tu qui défoule.
– Si quelqu’un se permet de mal me parler et de me tutoyer d’une façon qui ne me plaît pas, je ne riposte pas en le tutoyant à mon tour. Du moins j’essaie. Tutoyer dans ce cas, c’est perdre son calme. Vouvoyer permet en quelque sorte de garder le contrôle, de maintenir la distance et d’éviter l’escalade. En général, c’est mieux d’éviter l’escalade.
– Mais ça peut avoir l’effet contraire et énerver encore plus celui qui vous énerve. Je repasse au Tu. Traduisez: je perds mon calme.

Donc deux petits mots et toute une palette de nuances…
D’un côté, comment ne pas penser aux Paroles de Jacques Prévert adressées à Barbara dans son poème :
Ne m’en veux pas si je te tutoie.
Je dis tu à tous ceux que j’aime.

Mais de l’autre, et sans poésie aucune, c’est plutôt :
Je dis tu à tous ceux qui m’agacent et que je n’aime pas !

Pour terminer, voici la bande annonce du film.
Les dialogues sont parfaits pour leur côté oral. Même s’ils sont légèrement surjoués et un peu trop « écrits », il y a ce débit de parole qui fait progresser quand on apprend le français. Et on entrevoit les falaises d’Etretat.

Bande annonce

La bande annonce est ici.

Transcription:
– Surprise !
(Chanson : Que reste-t-il de nos amours?)
– Et merci !
– Surprise !

– Bah tu manges pas ?
– Ils font des menus que pour les vieux.
– Tu as l’air en forme, toi ! Ça fait plaisir !

– C’est ta grand-mère !
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Elle a disparu.
– Comment c’est possible qu’elle soit partie comme ça ? Vous les surveillez pas ?
– Mais c’est pas une prison ici, monsieur.
– Non mais attendez, hein, pas…
– C’est déjà arrivé quelquefois mais enfin bon, c’est rare.
– C’est pas la première fois, hein, c’est une vraie passoire là-bas !
– On peut pas lancer un avis de recherche ? A la télé, ils passent leur temps avec leur « Alerte- enlèvement ». On peut pas faire pareil ?
– Euh… Première question : est-ce que votre mère est majeure ?
– Tu t’énerves pas, hein.
– On voit de tout, nous, ici.
– Une mère plus jeune que son fils, tu as déjà vu ça, toi ?

– Putain, j’ai reçu une carte postale de ma grand-mère !
– Ah ouais ? Faut que tu y ailles, faut que tu mènes l’enquête.

– Excusez-moi.
– Vous voulez vous suicider ?
– Euh… non.
– Parce qu’on a quand même le meilleur spot pour ça ici, hein. Alors écoutez, moi je veux pas m’immiscer dans votre vie privée (1), mais moi, en tant que professionnelle, je suis obligée de vous prévenir. Donc on longe la falaise comme ça, tac (2). On arrive ici, on saute, hein, on est venu pour ça. Sauf que en cas de vent, retour en arrière…
– Je compte pas (3) me suicider en fait. Je suis quelqu’un qui aime la vie et je…
– Ah bah il faudrait le dire à votre visage parce que là, on peut pas deviner, hein !

– J’en peux plus (4) qu’on décide tout pour moi. Tu comprends ?
– Elle a du caractère (5), ta mère. C’est bien le genre à (6) partir comme ça.
– Allez, à ta grand-mère !

Quelques détails :
1. s’immiscer dans la vie privée de quelqu’un : intervenir dans la vie de quelqu’un sans en avoir vraiment le droit.
2. Tac : c’est juste une onomatopée.
3. Je ne compte pas (faire quelque chose) : je n’ai pas l’intention de… On utilise souvent la question : Qu’est-ce que tu comptes faire ?
4. J’en peux plus : j’en ai assez, je ne supporte plus cette situation.
5. Avoir du caractère : avoir une forte personnalité.
6. C’est bien le genre à (faire quelque chose) : cela correspond bien à sa personnalité, ce n’est pas surprenant de sa part.

Tu et vous, ailleurs sur ce blog et sur France Bienvenue :
Tutoyer ou pas ?
Seule avec deux enfants
En rose et bleu
On se tutoie ou on se vouvoie ?

Et n’oubliez pas de lire les commentaires. Merci à Sabine et à Anne pour leurs éclairages !

Parce qu’elle était souriante

Un temps de PCette dame, je l’imagine petite, peut-être parce qu’elle est âgée, peut-être parce qu’elle me rappelle une de mes tantes qui a le même âge.
Cette petite conversation m’a accrochée jusqu’au bout:
Pour l’énergie de cette vieille dame, pour la façon si simple et digne dont elle parle de cette longue vie qu’on sent parsemée d’épreuves, pour sa curiosité encore, pour ses valeurs, pour son côté « les pieds sur terre ». Parce qu’elle s’étonne qu’on lui pose des questions.
Pour le tour parfois inattendu que prennent ses réponses.
Pour la façon dont les questions sont posées. J’aime Hervé Pauchon, qui écoute et sait susciter la parole des autres. Discret avec personnalité en quelque sorte, sans chercher à faire le beau, avec ses répliques un peu abruptes !
Et aussi parce que cette conversation se passe dans une bibliothèque de quartier et j’aime les bibliothèques depuis toujours.

J’ai beaucoup travaillé

Transcription :
– Bonjour Madame. Qu’est-ce que vous faites alors, là ?
– Je fais rien.
– C’est super, ça !
– Oh oui, alors vous pouvez le dire. J’ai beaucoup travaillé dans ma vie, alors de ne rien faire, c’est… c’est le rêve.
– C’est le bonheur, mais vous venez quand même devant un ordinateur pour rien faire, quoi.
– Non. Déjà (1), j’ai essayé de comprendre comment ça fonctionnait, Wikipedia, parce que je suis… J’étais très perplexe (2).
– Pourquoi vous étiez perplexe ?
– Parce que je me demandais… C’est pas une encyclopédie ordinaire, Wikipedia, et je me demandais si ça correspondait vraiment à des valeurs exactes, quoi, si c’était… s’il n’y avait pas… Mais j’ai appris que oui. Enfin…
– Il y a beaucoup d’erreurs, quand même, hein. On dit souvent…
– Oui, il y a des erreurs mais… Et j’ai su par exemple qu’on les… qu’on les sanctionnait, ces erreurs en quelque sorte.
– Ah oui. Comment ?
– Avec des personnes qui sont là pour ça, parce qu’ils travaillent pour savoir si c’est justifié en quelque sorte, ce qui est annoncé.
– Et vous, vous avez fait quoi ? Vous m’avez dit que vous avez beaucoup travaillé, que maintenant vous étiez contente de vous reposer ? Oui, vous… Vous avez fait quoi avant ?
– Déjà , j’ai élevé trois enfants, dont un fils qui a un handicap très grave. Donc je suis restée comme son ombre derrière lui. J’ai… J’ai quitté trois départements (3) pour le suivre. Donc déjà, ça m’a fait beaucoup (4). J’ai eu deux autres enfants. J’ai six petits-enfants. J’étais dans l’enseignement. Mon mari aussi. Et ça, vous savez, ça a été très lourd, parce que c’est quelque chose qui ne… qu’on n’imagine pas avant de l’avoir vécu. C’est quelque chose qui vous domine et qui vous prend tout entier. J’ai eu de la chance parce que j’avais une bonne santé.
– Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il est devenu, votre enfant ? […] handicapé.
– Oh, il a beaucoup travaillé et il a un très haut niveau, disons… C’est un intellectuel déjà. Et puis c’est quelqu’un qui a une certaine philosophie. Alors il a fini par (5) supporter le handicap, parce que tout le monde n’est pas comme ça. Par l’admettre, si vous voulez. Et puis il a utilisé toutes les ressources de son esprit pour travailler. C’est pas méchant, mais je pense qu’il n’avait plus rien d’autre à faire, qu’à faire travailler sa cervelle (6) puisque ses membres (7) ne marchaient pas. Je sais pas si c’est… si c’est… si on peut comprendre ça.
– Si. Moi je comprends ce que vous voulez dire. Mais ça veut dire qu’aujourd’hui, vous êtes plus derrière lui (8), ça veut dire qu’il…
– Oh pas du tout ! Puis il s’est marié. Il a soixante ans, mon fils ! C’est un… C’est presque un vieux monsieur. Pas aussi vieux que moi mais… Mais donc.. Et par dessus le marché (9), il a une femme qui le soigne et qui l’aime. Et ça, c’est quelque chose que l’on trouve rarement chez les gens qui ont un handicap, quel qu’il soit. Un handicap moteur (10) aussi, parce que le handicap moteur, c’est très lourd aussi pour ceux qui sont autour.
– Vous, vous avez pas regretté de porter ce fardeau (11) comme vous avez dit ?
– Pas du tout ! Non seulement je l’ai pas regretté mais je crois que j’ai fait quelque chose de mon existence. Parce que j’étais une femme ordinaire.
– Là, aujourd’hui, c’est le Festival du domaine public (12).
– Oui.
– Ça vous inspire quelque chose ?
– Moi j’ai pas de… Non, j’ai pas d’idée là-dessus mais… mais je crois que c’est intéressant. Et puis j’ai de l’estime pour tous les gens qui sont ici, parce que c’est une très petite bibliothèque mais elle fonctionne très bien. Et elle se met vraiment à la portée de (13) ceux qui sont autour, du quartier en particulier. C’est surprenant parce que moi, j’ai fréquenté des grandes bibliothèques, y compris à Paris, et c’est pas ça du tout (14)! Pourquoi est-ce que vous m’interrogez comme ça ?
– Parce que vous êtes souriante.
– Oh, oh, oh ! Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? C’est une bibliothèque où on est toujours bien accueilli, je vais pas vous faire… me mettre à faire… Déjà, je ne suis pas très compétente devant un ordinateur, alors j’avais peur de gêner la collectivité (15).
– Vous avez quel âge ?
– 82 ans.
– Bah dites-donc, vous les faites pas, hein ! (16)
– Peut-être mais enfin je les ai, et la fatigue avec.
– Par rapport au festival du domaine public, vous avez appris quelque chose aujourd’hui ?
– Non, je n’ai pas appris.
– Vous êtes pas déçue de pas avoir appris quelque chose ?
– Non, je ne suis pas déçue, et puis vous savez à mon âge, on a tellement à apprendre aussi dans une vie que… Mon beau-père disait toujours : La vieille ne voulait pas mourir parce qu’elle avait toujours quelque chose à apprendre. Etje trouve que c’est une très bonne formule.
– C’était qui, la vieille ?
– N’importe qui ! C’est anonyme.
– Moi je pensais qu’il parlait de sa femme ou…
– Ah non, non ! Non, il parlait pas de sa femme, c’est pas le style quand même ! Non. Non. C’est un… Je sais pas, c’est un dicton (17) je crois, qu’il avait chez lui. J’ai jamais entendu ça que par lui. Mais je trouvais que c’était très bien vu (18).
– Et votre prénom ?
– Je m’appelle Gilberte. Qu’est-ce que ça a à voir avec moi ?
– Bah c’est votre prénom !
– Oui. On m’appelle… Mais Gilberte, moi, ça me fait toujours bizarre.
– Pourquoi ? On vous appelle comment ?
– Je sais pas, mon mari m’appelle… Il m’appelle Mimi, mais je sais pas pourquoi il m’appelle Mimi !
– Bah faudrait peut-être lui poser la question quand même !
– Non. C’est pas la peine. Je m’en contente. Je suis… C’est bien comme ça.
– Gilberte, je vous remercie d’avoir répondu à mes questions.
– Oh, c’était pas des questions extraordinaires, de toutes les façons (19), hein.
– Je suis désolé ! Qu’est-ce que j’aurais pu vous poser comme questions extraordinaires ?
– Non, non, rien, rien ! Ça m’amuse, vous savez. Maintenant, je suis trop âgée pour me faire du souci pour des idioties.
– Oh bah non. Il y a pas d’âge ! Faut jamais se faire du souci…
– J’ai appris, j’ai appris, au fur et à mesure qu’il y avait des choses importantes et les autres. Les choses importantes sont pas tellement nombreuses mais… mais par contre, elles sont… Elles ont beaucoup d’intérêt.
– C’est quoi, ces choses importantes ?
– Par exemple, d’être en bonne santé, de pouvoir travailler, de pouvoir aider autrui (20), d’écouter les autres. Voilà, ça, c’est très important, je crois.
– Bah c’est ce que je fais, je vous écoute.
– Oui. C’est votre métier. Normal.
– Non, c’est mon plaisir.
– Ah bah, tant mieux ! (21)

Quelques détails :
1. déjà : ici, cela signifie Premièrement / Tout d’abord.
2. Être perplexe : se poser des questions parce qu’on ne comprend pas une situation.
3. un département : la France est divisée en départements. Donc elle veut dire qu’elle a dû déménager plusieurs fois.
4. Ça m’a fait beaucoup : c’est une phrase très orale, qui signifie que ces déménagements lui ont demandé beaucoup d’efforts, de temps, d’énergie. Par exemple, si on veut vous donner du travail, vous pouvez dire familièrement : Je ne sais pas si je vais y arriver. Ça me fait beaucoup.
5. Il a fini par… : il a mis du temps, il a suivi tout un processus avant d’accepter.
6. Faire travailler sa cervelle : c’est une façon familière de dire qu’il a fait travailler son cerveau, son intelligence. Quand on dit de quelqu’un qu’il n’a pas de cervelle, cela veut dire que cette personne agit sans réfléchir.
7. Ses membres : les bras et les jambes.
8. Derrière lui : être derrière quelqu’un, c’est être obligé de s’en occuper, de vérifier sans cesse qu’il fait bien les choses, le surveiller. Par exemple : Cet enfant n’est pas très mûr ! Il faut tout le temps que ses parents soient derrière lui.
9. Par dessus le marché : de plus, en plus de tout ça. (expression familière) Par exemple : Il est arrivé en retard. Et par dessus le marché, il avait oublié de faire son travail !
10. Un handicap moteur : c’est un handicap qui affecte la mobilité physique. Ce n’est pas un handicap mental.
11. Un fardeau : un poids très lourd, qui empêche d’avancer, de marcher, de vivre normalement.
12. Le domaine public : c’est le contraire des droits d’auteur pour une œuvre. On dit par exemple d’un livre qu’il est tombé dans le domaine public, ce qui autorise tout le monde à le reproduire, le diffuser, etc.
13. se mettre à la portée de quelqu’un : s’adapter pour que cette personne comprenne, puisse suivre ce qui se passe, etc.
14. c’est pas ça du tout ! : c’est totalement différent.
15. La collectivité : les autres, en tant que groupe.
16. Vous les faites pas ! : On ne dirait pas que vous avez 82 ans. (« Les » renvoie aux 82 ans)
17. un dicton : un proverbe
18. C’est très bien vu : c’est très juste, ça correspond bien à la réalité.
19. De toutes les façons = de toute façon
20. autrui : c’est une façon un peu plus soutenue de dire : Les autres.
21. Tant mieux : c’est ce qu’on dit quand on est satisfait de quelque chose, ou quand on est content pour quelqu’un. C’est un peu comme dire : C’est bien.

L’émission est ici.

Quand on n’a plus vingt ans

Dans les pays riches, nous vivons de plus en plus vieux. Et pourtant, tout est fait pour qu’accepter son âge ne soit pas chose facile.
D’ailleurs, pendant longtemps, c’est comme si on ne vieillissait pas, ou tout au moins, cela reste de l’ordre de l’abstrait, tant on est occupé à autre chose. Puis on devient mortel. Le temps passe vraiment. Et on continue à vivre, avec cette conscience et une autre acuité.
J’aime bien écouter les gens qui ont déjà vécu longtemps et qui savourent leur présent, avec sagesse.
Transcription :
– On a au téléphone Régine, qui nous appelle de Meudon (1). Régine, bonjour. Je peux donner votre âge, Régine ?
– Oui, bien sûr.
– Bon, je le fais, allez, de toute façon.
– Au contraire.
– Vous avez 74 ans.
– Oui.
– Et vous nous dites depuis tout à l’heure : « Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous ! Je dois partir puisqu’il est bientôt 10 heures et demie. » Vous êtes donc une retraitée de 74 ans active.
– Absolument, absolument ! Tant que je le peux, absolument !
– Vous nous expliquez, Régine… enfin, c’est ce que vous disiez aux standardistes que la vieillesse a pour vous plein d’avantages. Pourquoi ?
– Eh bien, je trouve qu’elle a un avantage, c’est que tout le monde est plus gentil avec moi que quand j’avais 50 ans. Je sais pas… Je suis en bonne santé mais je me balade (2) avec une canne parapluie, et je trouve que dans les transports en commun, dans les musées, partout, tout le monde est aux petits soins (3), voilà, d’une part. D’autre part, je rencontre beaucoup de gens de ma génération qui sont un peu tristounets (4)… enfin, bon. Et alors je leur dis : « Ecoutez, on a, nous, un avantage, même deux, nous ne serons plus au chômage et nous ne mourrons pas jeunes. » Et ça a du mal à détendre l’atmosphère (5) parce que je crois que beaucoup courent après des éléments de jeunesse. Et moi, je pense qu’il y a des éléments de vieillesse qui sont pas inintéressants.
– Qu’il faut savoir accepter aussi, peut-être.
– Oui. Le temps, la disponibilité, je trouve. Par contre, je suis… j’étais intéressée par ce qu’a dit votre journaliste tout à l’heure… enfin, la journaliste tout à l’heure. Je me suis sentie vieille le jour où j’ai perdu ma mère et j’ai perdu ma mère, j’avais 69 ans. Donc je n’étais plus la fille de quelqu’un.
– D’accord.
– Voilà. Mais je ne suis pas encore arrière-grand-mère. Donc peut-être que ça m’aide à tenir le coup (6) aussi.
– Est-ce que pour vous, l’important, c’est plus du côté du médical ou plus du côté des relations sociales ?
– Ah, des relations, des relations ! Je… je fuis le médical ! Je ne sais pas si on doit le dire.
– Vous avez le droit de dire tout ce que vous voulez !
– Voilà, je fuis un peu le côté… Comment appelle-t-on ça… non pas prévention mais détection. Je suis plus pour la prévention que pour la détection. Et le fait d’avoir vu mes… vivre mes grand-mères d’une manière simple et en même temps active, ça m’aide beaucoup. Voilà.
– Bah je vous… je vous remercie, Régine. Je peux vous demander où vous devez filer (7), donc, à 10 heures et demie ?
– Dans une école maternelle où je vais lire à la récréation (8) auprès des petits enfants, voilà.
– Et quelque chose qui vous fait du bien aussi, j’imagine.
– Absolument ! Je suis mamie (9) de plusieurs petits enfants, voilà.

Quelques détails :
1. Meudon : c’est une ville de la banlieue parisienne.
2. Se balader : se promener (familier). Ici, elle veut dire qu’elle a une canne dès qu’elle sort. Par exemple, on peut dire : Il se balade toujours avec un couteau dans sa poche. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il se promène, mais juste qu’il a toujours un couteau dans sa poche.
3. être aux petits soins : être très attentionné vis-à-vis de quelqu’un et traiter cette personne avec beaucoup d’égards.
4. Tristounet : triste. On emploie cet adjectif un plus familier pour adoucir un peu cette idée de tristesse. Etre tristounet / tristounette, ce n’est pas le grand désespoir, c’est ne pas être très gai.
5. Détendre l’atmosphère : rendre la situation plus légère, faire en sorte que les gens soient plus détendus, en racontant quelque chose de léger, de drôle, etc…
6. Tenir le coup : résister, rester solide, ne pas se laisser atteindre par les difficultés. On peut l’employer aussi pour des objets, du matériel.
7. Filer (quelque part) : courir, se dépêcher d’aller quelque part. (familier) Si on dit à quelqu’un: Je file !, c’est qu’on est pressé parce qu’on a autre chose à faire et qu’on ne peut pas rester.
8. La récréation: c’est la pause de la matinée et de l’après-midi pour les enfants à l’école primaire et à l’école maternelle. En général, ils vont jouer dans la cour de récréation.
9. Mamie : c’est comme ça que beaucoup d’enfants appellent leur grand-mère.