Cent deux bougies à souffler !

Cent deux ans… C’est l’âge de Marguerite qui vient de fêter son anniversaire. Elle fait partie de ces gens qui ont traversé le XXe siècle et vécu tant de bouleversements. A cent ans et des poussières*, elle en parle avec beaucoup de bonheur, de simplicité et de vitalité.

Transcription:
– Racontez-moi un petit peu, Mme Le Bihan. Vous êtes née quand ?
– Je suis née à Nantes, alors je sais pas, le 17 mai mille neuf cent… Bah je sais plus.
– Huit.
– Huit. Voilà.
– 1908.
– Oui.
– Ça vous fait cent… cent deux ans bientôt.
– 102 ans que je vais avoir au mois de mai, là, le 17 mai.
– D’accord. Ça vous fait quoi de… d’avoir dépassé les 100 ans ?
– Eh ben, je m’en suis jamais aperçue. Je peux pas croire, je dis, que j’ai dépassé cet âge-là. Pour moi, j’ai toujours mes… J’ai toujours mes quarante ans, vous savez, 40 ans.
– Mais quand vous voyez votre reflet dans la glace, vous vous dites quoi ?
– Oh bah je dis : « Marguerite, tu commences à vieillir. » C’est tout. C’est tout. Je dis pas: « Je suis malheureuse ». J’ai toujours été heureuse. Alors je peux pas dire que je suis malheureuse.
– Est-ce que c’est de la chance d’atteindre cet âge de 102 ans ?
– Oui, je crois. Oui.
– Le plus lointain souvenir que vous ayez ? Vous vous souvenez de quoi ?
– Pendant la guerre. Quarante. Non, quarante. Non, la guerre 14-18. J’étais à Pornichet. J’ai vu tous les blessés. C’est ça qui me… Ça, je les vois tout le temps, hein. J’étais dans les dunes, toujours dans les dunes. Et j’étais gosse (1). Mais je vois toujours ces jeunes gars, là, blessés qui venaient toujours se faire soigner, qui revenaient de la guerre.
– Vous êtes allée à l’école jusqu’à quelle classe ?
– Jusque… au Certificat (2), j’ai passé. J’ai été collée. J’ai été collée. (3)
– Pourquoi ? Parce que vous étiez mauvaise élève ?
– Mais j’ai voulu copier sur une fille à côté de moi ! J’ai pas été reçue, forcément !
– Madame Le Bihan, votre mari, il est mort en quelle année ?
– En quelle année il est mort, Papi ?
– Comme Bob Marley. 81.
– 81.
– Et c’est pas dur d’être veuve depuis… ?
– Non, j’ai eu quelqu’un. J’ai eu un monsieur… Combien de temps, Raymond ?
– Ah bah après , elle a eu des…
– Des quoi ?
– Des flirts.
– Je me suis jamais ennuyée. J’ai toujours trouvé quelqu’un avec moi.
– Ah bon ?
– J’ai toujours été heureuse, oui.
– Et le dernier flirt, il remonte à quand ?
– C’est Raymond.
– Ouais, bah…
– Il était gentil.
– Oh il avait ton âge à peu près, hein.
– Il était dans mes âges.
– Ah il… C’était bien là, ouais.
– Mais il était gentil.
– Bah il est mort, ouais… Tu es restée combien de temps avec lui ? Dix ans, dix-quinze ans ?
– Oui, dix ans, oui.
– Donc vous aviez encore un amoureux à 90 ans.
– Ouais.
– Oui. J’ai toujours aimé quelqu’un.
– A 102 ans, vous regardez encore les messieurs de la maison de retraite ?
-Oh non ! Non. Ils sont pas intér(essants)… Ils sont pas beaux. C’est… Ça vaut pas le coup.(4)
– Dis pas ça ! (5)

Quelques détails :
1. j’étais gosse : j’étais enfant. (familier)
2. Le Certificat d’Etudes (Primaires) : c’était l’examen qui marquait la fin des études obligatoires. (Créé en 1866) Il y avait beaucoup d’épreuves et ce n’était pas facile de l’avoir.
3. être collé (à un examen) : rater un examen / ne pas être reçu.
4. ça vaut pas le coup : ça ne vaut pas la peine / ça ne sert à rien. (familier)
5. Dis pas ça : Il manque « ne » : Ne dis pas ça. C’est fréquent à l’oral, dans un style familier.
* … et des poussières : et un peu plus. (familier)

Le temps qui passe

Marina est actrice.
Marina voit défiler les années, comme tout un chacun.
Marina pense au temps qui passe.
Marina en parle avec ses mots directs, très directs comme toujours.


Transcription:
Alors, est-ce que j’ai peur de vieillir ? J’ai peur de plus pouvoir faire certaines choses, ça va me faire chier !(1) Mais au-delà de ça, je préfère nettement la personne que je suis aujourd’hui que celle que j’étais, ne serait-ce que il y a dix ans, pour plein de raisons. On se libère de plein de trucs en vieillissant, j’ai l’impression.

Vous avez quel âge, vous ?
Moi, j’ai eu quarante ans cette année. Ça m’a foutu une tarte !(2) Ce qui est complètement contradictoire avec ce que je vous ai dit précédemment. Mais en fait, mais c’est pas ça. C’est juste l’objectivité du chiffre. Je trouve ça dingue (3) que ce soit arrivé si vite et sans qu’on me prévienne ! Ça m’a hallucinée (4). Mais bon, c’est comme ça. Et j’aimais bien Signoret (5). On lui disait la question sur la jeunesse intérieure, tout ça. Elle disait : « Ah oui, enfin bon, la jeunesse intérieure… C’est quand même dommage de loger tant de jeunesse dans ce vieux tas de débris. » Voilà… Vous voulez pas qu’on rentre ? On se caille (6).
D’ac ! (7)

Quelques détails :
1. ça va me faire chier : ça va m’embêter, m’ennuyer. Mais c’est la version très peu polie ! A utiliser avec précaution. Marina a son franc-parler.
2. une tarte : une claque, une gifle en argot. Normalement, on met une claque à quelqu’un. Ici, Marina emploie encore de l’argot et parle très familièrement : foutre une tarte. Elle veut dire que ça a été comme un gifle quand elle a réalisé quel âge elle avait. Un vrai choc !
3. dingue : fou. (Terme plus familier).
4. ça m’a hallucinée : cette expression familière est apparue il y a quelques années pour dire qu’on est compètement surpris, stupéfait. On entend aussi beaucoup : « J’hallucine !», pour exprimer une grande surprise.
5. Simone Signoret : actrice française.(1921-1985)
6. se cailler : se geler /avoir très froid = on se gèle. ( très familier)
7. D’ac’ : D’accord. (abréviation orale uniquement)