Tout foutu !

L’été dernier, nous étions tout contents de manger nos premiers abricots, nos premières cerises et nos premières pêches. Petite récolte bien sûr, puisque ce n’était qu’un début pour nos jeunes arbres fruitiers plantés en janvier 2018. Mais c’est magique quand même de les voir grandir, puis commencer à donner. Nous attendions donc avec impatience les fruits de cette année, qui s’annonçaient bien plus nombreux, avec en plus des reines-claudes.

C’était sans compter avec la météo : trop favorable trop tôt. Tout vient de geler, en une nuit. Nous nous y attendions car ce coup de froid était annoncé par Météo France.

Dommage, vraiment. Mais c’est surtout un vrai coup dur pour les agriculteurs qui eux, vivent de leurs récoltes. Je partage avec vous le témoignage de deux d’entre eux entendus à la radio ce matin.

Transcription
– On voit donc des abricots, moi, j’appelle ça « à peau de crapaud ». Il est même visqueux, tellement il a été liquéfié par le gel. Et quand on l’ouvre, si on arrive à l’ouvrir, on voit la future amande marronisée (1) ou translucide, parce qu’elle a été explosée par le gel, en fait.
– C’est vraiment quelque chose d’inédit (2) et on n’a pas pu lutter, quoi. C’est ça qui est assez nouveau. En 2003, on avait pu sauver un peu, avec nos bougies, nos éoliennes, alors que là, on a tout fait, on a fait le boulot (4), et au resultat, c’est tout foutu (5).
Les agriculteurs ont investi dans des brûleurs dernière génération : On allume en bas, il y a un foyer (6), puis il y a une combustion qui se fait et ça… ça dégage de la chaleur. On a fait le pari. On a dit si jamais on sauve, eh bah on les paye la première année. Bon, bah c’est pari perdu.

C’est certain qu’il y a de quoi être dépité (7), même si les agriculteurs savent bien que la nature peut leur jouer des tours (8) et les priver de leurs ressources du jour au lendemain (9), qu’ils ne sont jamais à l’abri (10) des caprices de la météo (11) comme on dit. Mais en début de semaine, c’était vraiment une vague d’air polaire qui est descendue brutalement sur la France et les systèmes de lutte contre le gel n’ont pas suffi. Donc il y a de tels dégâts sur les arbres fruitiers mais aussi sur la vigne que le gouvernement va activer le régime de calamité naturelle qui devrait apporter des aides financières aux agriculteurs et aux viticulteurs victimes de cette vague de froid printanière. En tout cas, cela annonce des récoltes beaucoup plus faibles, donc un été avec moins de fruits, qui seront plus chers. Dommage pour nos jolis marchés d’été !

  1. marronisé : devenu marron
  2. inédit : qu’on n’a jamais vu, très surprenant
  3. une éolienne : ces machines antigel créent un courant d’air pour essayer d’empêcher le gel de se fixer sur les arbres.
  4. On a fait le boulot : on a fait tout ce qu’il fallait
  5. c’est tout foutu : c’est fichu, perdu. Tous les abricots sont morts. On dit souvent : C’est foutu, quandl n’y a plus aucun espoir dans une situation, quand on pense avoir perdu la bataille. (familier). On l’utilise aussi à propos des personnes : Il est foutu. = il n’a aucune chance de s’en sortir, il va mourir.
  6. un foyer : l’endroit où on fait le feu dans une cheminée par exemple. (C’est pour ça que par extension, ce nom désigne aussi le lieu où on habite : la maison/ le foyer, c’est là où nous avons en quelque sorte notre feu, notre cheminée.)
  7. être dépité : être très déçu
  8. jouer des tours à quelqu’un : tromper quelqu’un par manque de fiabilité. Par exemple, on dit souvent : Ma mémoire me joue des tours, pour dire qu’on a tendance à oublier des choses. Ou encore : Il est trop sûr de lui. Je pense que ça va lui jouer des tours.
  9. du jour au lendemain : très rapidement, presque instantanément
  10. ne pas être à l’abri de quelque chose : ne pas être protégé contre quelque chose = cela peut arriver
  11. les caprices de la météo : un caprice, c’est quand on a des envies changeantes, subites et passagères. Ici, cela exprime donc l’idée de changements de temps imprévisibles et fréquents.
  • un coup dur : un événement malheureux qui frappe quelqu’un brutalement, une épreuve.
    On utilise cette expression dans des phrases comme celles-ci : Il a connu / a eu pas mal de coups durs dans sa vie./ Cette épidémie de coronavirus, c’est un coup dur pour les cinémas.
  • C’était sans compter avec… : cela signifie qu’on avait en quelque sorte oublié que la météo pouvait jouer un rôle.


Une vie raisonnable avec ses vaches

Ce matin à la radio, pendant quelques minutes, on était dans le département des Hautes-Alpes, auprès d’un agriculteur qui parlait de fraises et de tomates, de ses vaches, de son travail et de ses idées sur son métier. Accent du sud-est, pour dire en filigrane les difficultés de ceux qui ne sont pas dans l’agriculture intensive et qui pourtant nous nourrissent et ne veulent plus massacrer le milieu dans lequel nous vivons.

Eleveur dans les Hautes-Alpes

Transcription:
– Votre micro baladeur (1), Hervé Pauchon, eh bien, il s’est posé dans une laiterie.
– Ah, vous entendez les trayeuses (2) ! Eh bah il s’appelle Bruno, il a cinquante et un ans, il est agriculteur dans les Hautes-Alpes et il a trente vaches à lait. On l’écoute !
– Si j’étais, eh beh, invité sur France Inter, ce que j’aimerais dire, c’est qu’en tant qu’agriculteur, aujourd’hui, beaucoup de… La fraise, la tomate, elles ne poussent plus dans la terre ! Alors ils nous font voir des serres où soi-disant (3), il y a pas de pesticides ni rien, mais la plante, elle ne pousse plus avec les oligoéléments du sol ! Souvent, elles prennent les racines dans un tuyau où il va circuler des… je sais pas moi, je pense que c’est plus ou moins des… que des engrais !
– Vous, vous êtes pas du genre à (4) manger des tomates pendant l’hiver, alors ?
– Ah non, pas du tout. Je suis (5) les saisons. Mais l’agriculture, je pense qu’on en a besoin pour entretenir le territoire. Parce que il faut savoir qu’en gros (6), pour produire un litre de lait, il y a… Les vaches vont, en liquide ou en solide, vont faire trois litres d’effluents.
– Pour un litre de lait, c’est trois litres de bouse et de pisse !
– Voilà.
– Il y a quelque temps, on a beaucoup parlé des problèmes de… des producteurs de lait justement comme vous. C’est réglé aujourd’hui ?
– Eh bien pas vraiment. Parce que le lait, à l’automne, il a ré-augmenté, soi-disant on manquait de beurre et tout, le prix du lait a remonté quatre, cinq mois et aujourd’hui, on nous dit qu’on a trop de lait et le prix du lait a rebaissé.
– Alors, il faut savoir qu’aujourd’hui, on lui achète son litre de lait, à Bruno, entre 35 et 38 centimes. Vous avez noté combien de litres de lait pour trois litres de pisse et de bouse, hein ?
– J’ai compris, ouais.
– Un litre de lait. La suite !
– Si j’étais sur France Inter, je suis agriculteur en montagne. Nous avons des contraintes mais on a encore la chance de manger, puis d’avoir un espace de vie.
– C’est quand la dernière fois que vous êtes parti en vacances ?
– Eh beh, j’ai pris trois jours malheureusement en 2014. Et après, depuis, je n’ai plus pris de vacances. Mais après, ce que je veux quand même dire, que je ne découragerai pas un jeune agriculteur de s’installer dans le métier, parce que les gens, il faudra toujours qu’ils mangent. Mais j’ai un conseil à leur donner, c’est de pas investir outre-mesure (7), de faire à son échelle (8), le matériel (9), tout ça, rester raisonnable et pas de se mettre la corde au cou (10) avec le banquier, parce que les banquiers, je dis pas que c’est des voleurs mais après, quand on n’arrive plus à rembourser ce qu’on doit, c’est la fuite en avant (11), l’agrandissement, et on… là, c’est le… le bout. Et il vaut mieux garder une maîtrise.

Des explications :
1. baladeur : qui se balade, qui se promène. (Ce journaliste va à la rencontre des gens sur le terrain.)
2. une trayeuse : un appareil qui permet de traire les vaches.
3. Soi-disant : à ce qu’on prétend. (On trouve souvent la faute d’orthographe : soit-disant)
4. ne pas être du genre à faire quelque chose : ne pas faire quelque chose habituellement. Par exemple : Je ne sais pas pourquoi il n’est pas là ! Il n’est pas du genre à oublier ses rendez-vous pourtant. C’est bizarre.
On peut l’employer à la forme affirmative : Ce que tu me racontes ne m’étonne pas. Il est bien du genre à se montrer grossier !
5. Je suis : du verbe suivre. Ce n’est pas le verbe être ici.
6. En gros : en simplifiant, en généralisant. On n’entre pas dans les détails.
7. Outre mesure : excessivement, trop.
8. Faire à son échelle : faire les choses sans se laisser dépasser, selon ses moyens. Ne pas vouloir grandir à tout prix.
9. Le matériel : c’est le matériel agricole : tracteurs, moissonneuses, etc.
10. se mettre la corde au cou : ne plus être libre. Ici, cela signifie se mettre dans une situation où on est obligé de travailler sans cesse pour rembourser ses emprunts, et donc se mettre dans une situation dangereuse.
11. La fuite en avant : pour sortir des problèmes, on continue dans la même direction, de la même manière, ce qui aggrave les problèmes déjà existants. On est coincé, prisonnier. Il veut dire que pour rembourser leurs dettes, les agriculteurs doivent travailler de plus en plus, grandir et donc emprunter encore pour acheter le matériel nécessaire à une exploitation plus grande. Mais cela ne résout pas les problèmes.

L’émission est ici.


Nos voisines les vaches (dans l’Aveyron ):
Elles font tous les jours le trajet sur la toute petite route entre leur pré et la ferme. On les croise le matin vers 9 heures quand elles partent se mettre au vert pour la journée. Et en fin de journée, elles rentrent à l’étable pour la traite et pour la nuit. J’aime bien savoir qu’elles mangent de la vraie herbe, au calme, entre copines !