Les richesses du web (6) : l’INA

L’Institut National de l’Audiovisuel nous offre l’accès aux archives de l’audiovisuel public et c’est une immense richesse. Chaque jour, on découvre des extraits d’émissions, de reportages, de documentaires passés qui font écho à ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. La plupart du temps, ces passages sont sous-titrés, ce qui est bien pratique quand on apprend le français. Ce qui est intéressant aussi, c’est d’entendre et se rappeler comment on parlait avant – il n’y a pas si longtemps de ça ! Nos façons de parler évoluent en fait très vite, imperceptiblement et on se retrouve quelques années plus tard à considérer comme presque bizarres et en tout cas très datés les termes utilisés, le phrasé, le timbre des voix.

Les sujets sont très variés. On redécouvre aussi des publicités qui ont fait date. Nostalgie… et étude sociologique !

J’ai choisi de vous emmener faire un petit tour en compagnie de Lucienne. C’était en 1972, elle n’était pas toute jeune. Mais ce dont elle parle est d’une surprenante fraÎcheur, avec cette diction et cette façon de rouler les R qu’ont encore aujourd’hui certaines personnes âgées dans nos campagnes.

Des explications

  1. le saindoux : de la graisse de porc
  2. avoir quelque chose sous la main : avoir quelque chose (ou parfois quelqu’un) qui est nous accessible immédiatement.
    – Je n’ai pas mon téléphone sous la main. Tu pourrais les appeler, toi ?
    – Pendant que je t’ai sous la main, tu veux bien m’aider à porter cette table ?
    Elle est un peu trop lourde pour moi. (familier)
  3. la Sologne : région du centre de la France, entre la Loire et le Cher, très connue pour ses belles forêts et ses étangs
  4. Oh non, pensez-vous ! : Oh non, bien sûr !
    Cette expression sert à nier ce que quelqu’un vient de dire. On peut l’utiliser aussi en tutoyant quelqu’un. Par exemple :
    Il va venir te voir bientôt ?
    – Penses-tu !
    On se voit juste une fois par an. ( = Bien sûr que non.)
  5. soigner les bêtes : s’occuper des animaux
  6. rapporter quelque chose : rapporter de l’argent. Quand on dit d’une activité qu’elle ne rapporte pas grand-chose, cela signifie qu’elle ne permet pas de gagner beaucoup d’argent.
  7. j’en ai des légions : j’en ai énormément.
    On peut employer ce nom dans des phrases comme celles-ci, souvent avec le verbe être. (Mais dans ce cas, légion reste au singulier) :
    Les gens vraiment motivés pour faire ce travail ne sont pas légion, je te le dis !
    Les fautes d’orthographe sont légion sur les réseaux sociaux.
  8. au petit jour : très tôt le matin, quand le jour se lève à peine
  9. une volière : une grande cage à oiseaux
  10. si je puis dire : formule polie, dans un style plutôt soutenu, pour adoucir et nuancer ce qu’on vient de dire. Cette forme du verbe pouvoir s’emploie à la première personne du singulier. On la trouve aussi dans certaines questions : Puis-je vous demander un petit service ? C’est plus soutenu que : Est-ce que je peux vous demander un petit service ?
  11. Oh et comment ! : Bien sûr ! / Evidemment !
    Cette expression indique qu’on est vraiment d’accord avec ce qui vient d’être dit. Par exemple :
    – Tu comptes prendre des vacances bientôt ?
    – Et comment !

    Dans le sud-ouest de la France, on entend, avec la même signification : Pardi !
  12. j’ai pas l’air : on ne dirait pas.
    « J’étais plutôt une révoltée. J’ai pas l’air, hein ! » = ça ne se voit pas immédiatement. On ajoute souvent « comme ça » juste après cette expression.
    Par exemple : J’ai pas l’air, comme ça, mais je suis quelqu’un de très têtu. On peut l’employer pour parler des autres : Il a pas l’air, comme ça, mais dans le fond, c’est un grand émotif !
    Il faut faire attention à la façon dont on place la voix et faire une très légère pause juste avant « comme ça » car cela signifie autre chose :
    – Tu crois qu’il va être fâché si je ne viens pas ?
    – Mais non, il n’est pas comme ça.
    Ne t’inquiète pas, il comprendra.
  13. je répondais : répondre, c’est répliquer en s’opposant. Par exemple, un enfant qui répond à ses parents est un enfant qui n’accepte pas de leur obéir sans rien dire.
  14. on peut déborder un peu : s’écarter des chemins autorisés
  15. sans tambour ni trompettes : sans se faire remarquer, discrètement, sans attirer l’attention
  16. j’ai pas mal trimbalé : normalement, on dit : se trimbaler = se déplacer, voyager (familier, et un peu vieilli)
  17. les pays où qu’il y a pas de bois : rajouter « que » après est bien sûr incorrect.
  18. je n’y resterai pas : dans les sous-titres, ils utilisent le conditionnel présent (resterais), alors qu’il faut le futur (resterai) à cause de ce qui précède : « J’espère qu’au paradis, il y aura des bois, parce que sans ça (= s’il n’y en a pas / s’il n’y a pas de bois), j’y resterai pas. »
    On met le conditionnel dans des phrases comme celles-ci : S’il n’y avait pas de bois au paradis, je n’y resterais pas.
    Pour faire la différence, cela peut aider de conjuguer à la 3è personne du singulier :
    S’il n’y a pas de bois au paradis, Lucienne n’y restera pas. (futur)
    S’il n’y avait pas de bois au paradis, Lucienne n’y resterait pas.
    (conditionnel présent)

J’ai enregistré certains des exemples ci-dessus, notamment quand l’intonation est importante :

Le site de l’INA est ici. (On prononce ce sigle comme un mot, pas lettre par lettre).
Personnellement, je suis abonnée à leur compte Instagram, ce qui est très pratique. Mais c’est juste une porte d’entrée pour le site complet qui vaut vraiment le détour !

La lionne

La lionne 1Couverture

Je ne connaissais que des bribes de la vie de Karen Blixen, à travers Out of Africa, lu il y a longtemps. J’ai lu d’une traite ce bel album, dont le sous-titre est Portrait de Karen Blixen. J’y ai découvert une vie étonnante, une vie de femme en un temps qui leur faisait la vie dure parce que nées femmes. Je me suis plongée dans cette vie racontée et dessinée avec beaucoup de poésie, de créativité et de talent.
Mais rien à voir avec une biographie ordinaire. A travers les mots et les aquarelles des auteurs, cette vie devient une histoire qu’on nous raconte comme un conte et où tous les détails prennent peu à peu leur sens, celui qu’y a mis Anne Caroline Pandolfo. Un beau livre (avec juste la petite frustration, comme toujours avec les BD et leurs pages lisses, de n’avoir sous les yeux qu’un reflet des aquarelles originales du dessinateur, Terkel Risbjerg.)

Un livre qui célèbre la puissance libératrice de la lecture :

La lionne 3 Lire

Un livre où certaines jeunes femmes se rebellent pour vivre autre chose que ce que la société avait prévu pour elles:

La lionne 4 Besoin d'air

LGL Karen BlixenUn livre d’aventure, d’amour, de voyage, de malheurs et de bonheurs. Ses auteurs en parlent ici, dans une émission qui passe le jeudi soir à la télévision et qui donne des tas d’idées de lecture. François Busnel sait y faire parler les écrivains qu’il invite, parce qu’il lit en profondeur leurs oeuvres. Il ne bouscule pas ceux qui ne sont pas des bavards mais rebondit sur leurs silences avec beaucoup de justesse. C’était le cas avec Anne Caroline Pandolfo.
Allez les regarder autant que les écouter!

La lionne LGL

Voici la transcription du début de cet entretien:
– Alors là, c’est le coup de cœur (1) ! J’adore les autres, mais là, je vous assure que j’ai été absolument scotché (2) quand j’ai lu – et relu d’ailleurs – La Lionne, le portrait de Karen Blixen, Anne Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg. Vous signez tous les deux cet album donc, La Lionne, un portrait de Karen Blixen. C’est aux Editions Sarbacane. Scénario, c’est vous, Anne Caroline Pandolfo, et puis le dessin,Terkel Risbjerg. Alors je dis « dessin », je devrais peut-être dire plutôt les aquarelles.
– Aussi, mais il y a quand même du dessin derrière.
– C’est plus un livre adapté en bande dessinée, c’est une BD biographique. Pour quelle raison avez-vous choisi Karen Blixen, cette romancière danoise, dont la vie a été une succession d’aventures ?
– Déjà, c’est pas… Pour moi, c’est pas vraiment une biographie. Je suis pas sa biographe. C’est un portrait que j’ai fait de Karen Blixen, un portrait intuitif. Et j’ai dû passer par la biographie parce qu’elle a un parcours exceptionnel. Et pourquoi elle ? C’est un hasard, c’est le hasard d’une rencontre. Je dessinais, j’écoutais une émission de radio qui parlait d’elle, la journaliste visitait Rungstellund, sa maison qui est devenue un musée près… dans la banlieue de Copenhague et racontait à grands traits (3) ce… ce parcours incroyable d’une femme qui… que la société a essayé d’étouffer finalement depuis le début, qui était complètement enfermée et…
– Rafraîchissez-nous un peu la mémoire (4), Anne Caroline Pandolfo.
– Danemark.
– On est à la toute fin (5) du dix-neuvième – début du vingtième siècle, au moment où elle est adolescente, au Danemark.
– Un Danemark…
Vous écrivez à un moment (6) : « C’est un pays replié sur lui-même. »
– Oui.
– « Et une famille repliée sur elle-même. »
– Religieuse, protestante, luthérienne, qui a la morale en tête comme… Elle a…. Bon, c’était une femme aussi à une époque où les femmes étaient des pots de fleurs (7). Donc elle était…
– Famille nombreuse (8).
– Famille nombreuse. On lui apprenait la musique, le dessin, le chant, pour faire un beau mariage. Et… Et puis, elle s’est dit très vite : A quoi bon ? (9) Et elle a eu envie de vivre, de s’exprimer et…
– Alors, vous avez raison de dire que c’est un portrait plus qu’une biographie. Ce qui m’a beaucoup, beaucoup intéressé, c’est ce que l’on voit là, magnifiquement dessiné, c’est-à-dire que pour raconter sa vie, vous passez par ses fées (10), les fées qui se penchent sur son berceau. C’est vrai qu’on pourrait pas dire ça dans une biographie très sérieuse, universitaire. Mais non, là, en bande dessinée, on peut tout s’autoriser ! Les fées s’appellent, regardez, William Shakespeare, Frédéric Nietzsche, ah, le Diable ! Eh oui, je vois le Diable ici. Et puis un lion bien sûr, l’Afrique, l’Afrique encore et une cigogne. Comment est venue…
– Et Shéhérazade.
– Et Shéhérazade, bien sûr. La raconteuse d’histoires. Comment avez-vous eu l’idée… j’allais dire de transgresser un petit peu les codes, pour en faire un monde onirique (11) ?
– Je crois que c’est un personnage qui a été très seul, enfin, une personne qui a été très seule, Karen Blixen, et qui avait une vie intérieure très riche. Et elle a eu des influences littéraires, philosophiques, mais pas seulement. Elle a eu aussi une passion nourrie pour la nature, une passion pour son père qu’elle a perdu tôt et qui n’est pas une fée mais qui l’accompagne comme un fantôme tout au long de sa vie (12).
– Qui se suicide, hein. Alors c’est un suicide non dit. Personne n’ose raconter la vérité. Elle l’apprendra (13) bien plus tard.

Quelques détails :
1. un coup de cœur : c’est lorsqu’on découvre quelque chose et qu’on trouve ça magnifique. On dit qu’on a / on a eu un coup de cœur pour quelque chose, ou que C’est / ça a été un coup de cœur, un vrai coup de cœur.
2. être scotché : cette expression signifie qu’on est totalement surpris et qu’on ne peut plus arrêter de lire ou de regarder quelque chose qui nous plaît. (Au sens propre, scotcher signifie qu’on colle quelque chose avec du scotch, c’est-à-dire du ruban adhésif.)
3. Raconter quelque chose à grands traits : c’est raconter quelque chose dans les grandes lignes, sans entrer dans tous les détails. Mais ça suffit pour donner une idée de ce que c’est, comme un dessin esquissé.
4. Rafraîchir la mémoire de quelqu’un : c’est lui rappeler quelque chose, lui remettre un événement en mémoire.
5. À la toute fin : complètement à la fin. On dit plus souvent: tout à la fin.
6. à un moment : quelque part dans le livre, à un moment donné du récit
7. un pot de fleurs : les femmes étaient en quelque sorte juste décoratives. On dit aussi : une potiche.
8. Une famille nombreuse : une famille dans laquelle il y a beaucoup d’enfants. Elle venait d’une famille de cinq enfants.
9. A quoi bon ? = A quoi ça sert de faire tout ça ? Cette expression exprime le découragement, un sentiment d’impuissance.
10. Ses fées : ou Ces fées. Je ne sais pas quelle orthographe choisir car on ne peut pas savoir ce qu’il veut dire : soit les fées de Karen Blixen (ses fées) ou les fées qu’il est en train de montrer, dont il parle (ces fées).
11. Un monde onirique : un monde irréel, comme dans un rêve, pas réaliste.
12. Tout au long de sa vie = pendant toute sa vie
13. elle l’apprendra : en français, on peut utiliser le futur pour faire un récit historique, au lieu d’employer un temps du passé, comme le passé composé ou le passé simple.

Pour avoir un avant-goût de ce bel album, allez le feuilleter ici.

La lionne 2Titre

Madame ou Mademoiselle ?

Faire des démarches administratives en France tient souvent du parcours du combattant, même si des efforts de simplification ont été faits récemment. (Mais c’est vraiment très récent.)
Et souvent, vous vous demandez bien pourquoi on exige tel ou tel papier, tel ou tel renseignement qui n’a rien à voir avec ce que vous essayez d’obtenir. Rites hérités d’un autre âge, petits pouvoirs de l’administration et de ses représentants…

Parmi ces drôles de renseignements exigés, il y a la sempiternelle case à cocher dans la rubrique qu’on appelle « civilité »: Monsieur, Madame, Mademoiselle.
Une seule catégorie pour les hommes, deux pour les femmes, selon qu’elles sont mariées ou pas. Et les hommes? Mariés ? Pas mariés ? Si ça n’a aucune importance pour eux, pourquoi cela en aurait-il une pour elles ? Qui a besoin de savoir si vous êtes mariée ou pas ? Et quelle case cocher quand vous vivez maritalement depuis toujours, comme c’est le cas pour beaucoup de Françaises ? La France était donc en retard sur le plan des mots. Mais les mots reflètent quelque chose de notre société, non ? Et en retour, ils ont un impact sur la façon dont nous nous construisons.

Transcription:
– Allez, ne m’appelez plus jamais « Mademoiselle ». Je dis ça de façon générale. C’est une nouvelle victoire pour les féministes qui se battaient pour la suppression du terme « Mademoiselle » et autre « Nom de jeune fille » ou « Nom d’épouse », toujours demandés sur les formulaires (1). Une circulaire (2) de Matignon (3) stipule qu’une fois les stocks (4) épuisés bien sûr, les documents administratifs n’aient plus que deux cases: « Monsieur » ou « Madame » et ne demandent plus que le nom de famille ou le nom d’usage (5).

– On s’en félicite (6), on est contentes. Maintenant évidemment, il faut qu’elle soit appliquée, puisqu’il y avait déjà eu des circulaires qui n’avaient pas été appliquées. Et donc on demande aujourd’hui au gouvernement et aux services administratifs concernés de veiller à l’application de cette circulaire. Evidemment, on n’est pas là pour se satisfaire de simples déclarations. Il faut maintenant que sur le sujet, il y ait des résultats concrets.
Ce que ça change, c’est qu’on arrête de catégoriser (7) les femmes en fonction de leur statut marital et on arrête de faire du mariage un… un élément de définition de la place des femmes dans la société. La suppression du « mademoiselle », du « nom de jeune fille », du « nom d’épouse » dans les formulaires administratifs, c’est un élément important pour faire plier (8) le sexisme ordinaire et qu’on arrête de faire des catégories pour les femmes qu’on ne fait pas pour les hommes. Ce qu’on souhaite, c’est que ça fasse tache d’huile (9). Aujourd’hui, quand on veut commander un billet de train ou acheter un CD en ligne par exemple, on nous demande Madame ou Mademoiselle. Je vois pas vraiment l’intérêt (10). Et donc maintenant, il faut que les entreprises privées, elles suivent également le mouvement (11).

Quelques détails:
1. un formulaire: un document administratif qu’il faut remplir.
2. une circulaire: une note, une lettre administrative envoyée dans différents services pour faire appliquer une décision.
3. Matignon: c’est une image pour parler des services du Premier Ministre français qui a ses bureaux dans cet hôtel particulier, rue de Varennes à Paris.
4. les stocks: ce sont les stocks d’anciens formulaires, avec les trois cases: monsieur, madame, mademoiselle.
5. le nom de famille ou le nom d’usage: une femme mariée peut prendre le nom de son mari ou pas. (Beaucoup de femmes continuent à adopter le nom du mari.) Le seul nom valable pour une femme reste de toute façon le nom de famille qu’elle a eu à sa naissance. Quand elle prend le nom de son mari, on appelle ça son nom d’usage.
6. se féliciter de quelque chose: se réjouir de quelque chose, être content.
7. catégoriser: ce verbe n’est pas français. Elle veut dire « classer« , « placer dans des catégories« . On observe l’utilisation de verbes inventés, en général sous l’influence de l’anglais, notamment par les journalistes: par exemple, le verbe « impacter« , très à la mode, au lieu de « avoir un impact sur… ». Ce qui se passe, c’est que le français a souvent besoin d’expressions avec des noms au lieu d’avoir juste un verbe. C’est évidemment plus long, donc créér ces verbes est « efficace ». Et en plus, ceux qui les emploient au début ont l’impression d’être à l’avant-garde des choses en utilisant ce jargon qui fait moderne parce que venu des Etats-Unis !
8. faire plier: vaincre
9. faire tache d’huile: gagner du terrain, se développer, se propager.
10. Je ne vois pas l’intérêt: je ne comprends pas à quoi ça sert / ça me paraît inutile.
11. suivre le mouvement: agir de la même façon, se rallier à un changement.

Un heureux événement

Petite scène de la vie quotidienne.
Enfin, pas trop quotidienne, j’espère.
Mais s’il est nécessaire de faire ce genre de publicité, c’est que ça arrive plus souvent qu’on ne pense.
Mais d’où les hommes croient-ils qu’ils viennent ?

Transcription:
– (Ne quittez pas.)(1)
– Marie ! Marie, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu fais comme tête(2)? Qu’est-ce qui se passe (3) ?
– Mais rien ! Laisse tomber (4). Rien.
– Faut que j’emmène ça à la Direction. Viens avec moi. C’est… c’est pressé.
– Ouais, bah justement, j’en sors du bureau de la Direction.
– Et… ?
– Je me suis fait licencier.
– C’est n’importe quoi (5) ! On licencie pas les gens comme ça ! Raconte-moi. Qu’est-ce que tu as fait ? Il y a eu un problème ?
– Mais rien. Mais… Je pense que j’aurais dû être beaucoup plus discrète hier quand j’ai appris la nouvelle.
– Mais quelle nouvelle ?
– Je suis enceinte.

Cette femme est licenciée à la fin de sa période d’essai parce qu’elle est enceinte. C’est une discrimination, un délit puni par la loi. Si vous êtes vous aussi victime de discrimination, la HALDE (6) est là pour défendre vos droits.

Quelques détails:
1. ne quittez pas: c’est ce qu’on dit à quelqu’un au téléphone pour le faire patienter. On dit ça aussi à quelqu’un qu’on tutoie: Ne quitte pas.
2. Qu’est-ce que tu fais comme tête ? : on demande ça quand on voit que la personne a l’air contrariée ou que ça n’a pas l’air d’aller bien. (familier) Souvent, on dit aussi: « Tu fais une drôle de tête. Qu’est-ce qu’il y a ? / Qu’est-ce que tu as ? »
3. Qu’est-ce qui se passe ? : on pose cette question quand on voit ou sent qu’il se passe quelque chose de plutôt inhabituel.
4. Laisse tomber: On dit ça quand on ne veut pas donner d’explication. (familier et direct)
5. c’est n’importe quoi ! : C’est ce qu’on dit quand on pense que ce qui se passe est nul et injustifié.
6.La HALDE : c’était la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité. Elle est remplacée depuis le mois de mai par Le Défenseur des Droits.

Un heureux événement: c’est une façon de parler d’une future naissance. On dit d’une femme qu’elle attend un heureux événement, pour dire qu’elle est enceinte, qu’elle attend un bébé.

Potiche

Potiche, c’est le titre du film de François Ozon qui vient juste de sortir et dont on entend beaucoup parler. Les critiques sont plutôt bonnes, ne serait-ce que pour les acteurs réunis par le cinéaste. Pensez donc ! Catherine Deneuve, en potiche pas si potiche que ça, Gérard Depardieu en syndicaliste grande gueule, Fabrice Luchini en mari plus que macho.

En tout cas, la bande annonce de cette comédie donne un avant-goût réussi de ce tableau des années 70.
Quelques répliques devraient entrer dans la mémoire collective !


Pour regarder, c’est ici. (après la pub)

Transcription:
Nous sommes en 1977.
La place des femmes, c’est au foyer, c’est pas au travail.
Mais aujourd’hui, elles veulent être reconnues comme de vraies partenaires.

– Coucou !(1) Ça s’est bien passé hier soir avec ton acheteur allemand ?
– Oh, fous-moi la paix (2), Suzanne !
– Si tu veux mon avis…
– Ton avis ? Quel avis ? Tu as un avis ?
– Mais Robert….
– Ce que je te demande, c’est de partager le mien. Sinon, tout le reste, c’est des paroles et de l’énergie perdue. Allez, tais-toi un peu.

– Ma pauvre maman, tu ne comprends rien. Mais il faut penser à l’avenir et se moderniser.

– Cite-moi des femmes aussi gâtées que toi après trente ans de mariage.
– Ah ça, pour ce qui est de l’électro-ménager, je suis une petite reine.
– Ah tu vois, tu es comblée. Tu es obligée de l’admettre.

– Comment ça va, Nadège ?
– Pas touche ! (3)

– Madame, c’est horrible.
– Une grève ?
– Oui.

– A défaut de négociations rapidement entamées, il y aura un durcissement de la grève.
– Un infarctus ! Je l’avais prédit.
– Je pense que Monsieur votre père devrait se faire remplacer. Et pourquoi pas vous, madame Pujol ?
– Maman ? Mais c’est une blague ! (4)

– Je représente un patronat juste, chaleureux.
– Une bourgeoise nymphomane.
– Excusez-le, il est un peu rude. Il est communiste.
– C’est typique !
– C’est une autre femme.
– Allez, il y a une quiche qui t’attend au frigo (5). Pilar pourra te la réchauffer.
– La salope ! (6) C’est un cauchemar, hein !

– Pourrions-nous nous voir dans un endroit plus discret ?
– Nous pouvons aller dans mon bureau si vous voulez.
– Moi, je préfèrerais dans ma voiture.

– Ça suffit. J’ai changé. Je suis une nouvelle femme. Et ça, grâce à la patronne.

– Tu vas dans le sens de l’histoire, maman. Partout les femmes prennent le pouvoir.

– Oh, mais ta gueule (7), toi !
– Qui c’est le patron ici, nom de Dieu (8)?
– Moi.
– Si je comprends bien, c’est moi maintenant la potiche.
– En quelque sorte.
– J’ai pas dit mon dernier mot.

Quelques explications :
1. Coucou : façon familière de dire bonjour, plutôt utilisée par les femmes.
2. Fous-moi la paix : Laisse-moi tranquille. (très familier et plutôt grossier)
3. Pas touche ! : C’est interdit de toucher. (familier)
4. une blague : une plaisanterie (familier)
5. le frigo : abréviation de frigidaire. ( qui était le nom de la marque, passé aujourd’hui dans la langue de tous les jours.) (familier)
6. La salope : insulte pour une femme. (féminin de salaud)
7. Ta gueule ! : insulte pour faire taire quelqu’un
8. Nom de dieu ! : c’est un juron. Les jurons sont la plupart du temps liés à la religion ou au sexe. On peut dire aussi « Nom d’un chien ! » pour éviter de mentionner « dieu ». D’autres diraient « Putain ! ».

* une potiche : une femme qui a un rôle juste « décoratif » auprès de son mari par exemple. Pas très valorisant ! On peut jouer les potiches, mais on peut aussi être une potiche, et là, c’est encore plus négatif.

Je n’ai pas vu ce film. Je regarderai le DVD quand il sortira !
Mais si vous voulez entendre Christophe et Gabrielle en parler, allez chez GABFLE.

Féministe pour la vie

Les femmes françaises ont eu le droit de vote seulement en 1944 et ont voté en 1945 pour la première fois.
Les femmes mariées ont obtenu le droit de travailler sans avoir à demander l’autorisation de leur mari en 1966.
Le principe de l’égalité des salaires hommes-femmes a été affirmé en 1972.
Elles ont gagné le droit à la contraception à la fin des années 60 et à l’IVG* en 1975.

Tout cela a été obtenu parce que des femmes (et des hommes) ont bataillé sans relâche. C’est ce que Benoîte Groult rappelait l’autre jour à la radio. Benoîte Groult a 90 ans. Elle sait la valeur de ces droits, et leur fragilité aussi si on n’y prend pas garde.


Transcription :
Et bonjour Benoîte Groult.
Bonjour.
En ce 8 mars, Journée Internationale de la Femme, c’est la centième, est-ce que vous diriez que le fait qu’on ait toujours besoin d’une journée de la femme, c’est décourageant pour la féministe que vous êtes ?
Oui, mais de toute façon, je sais très bien que le féminisme n’est plus à la mode, que je suis ringarde (1) et que c’est une mauvaise bannière. Bon. Moi je la trouve toujours valable et je trouve ça encore très important même en France.
Pourquoi, vous vous avez l’impression que c’est ringard aujourd’hui d’être féministe, Benoîte Groult ?
Parce que je vois les jeunes générations, j’ai trois filles, trois petites-filles, une arrière petite-fille, donc le féminisme va très loin, vous voyez… Eh bien, je vois que pour elles, le mot féminisme, ça ne se dit plus. On dirait que ça leur enlève leur sex-appeal…
Ah carrément (2)!
…de dire qu’elles sont féministes. « Non, non, je suis pas féministe », quitte à (3) mener des vies féministes, très indépendantes, travailler. Mais le mot est usé, parti, démodé, complètement.
Et elles n’ont pas conscience que si elles ont cette liberté-là, c’est grâce à votre combat…
Non !
Le vôtre et celui d’autres femmes ? Non ?
Elle croient que c’est le Moyen-Age (4). Elles sont nées avec tous les droits dans leur berceau, alors que moi, je suis née avec zéro droits. J’étais professeur de latin, j’avais toujours pas le droit de vote à vingt-cinq ans et elles n’imaginent pas que j’ai vu arriver au compte-gouttes (5) nos droits, donc je sais qu’ils sont précieux, difficiles, fragiles.

Quelques détails :
1. ringard : démodé (familier)
2. Ah carrément : complètement. (= Vous allez jusqu’à dire ça.)
3. quitte à faire quelque chose : ici = même si / au risque de…
4. Le Moyen-Age : période avant l’époque moderne, qui paraît lointaine et qui avait la réputation d’être une période obscure, pas progressiste.
5. au compte-gouttes : en très petite quantité, et lentement.
* une IVG : une interruption volontaire de grossesse.