Le loup, de Jean-Marc Rochette

J’ai lu cette bande dessinée en 2019 lors de sa parution et pensé dès ce moment-là à la partager avec vous, sans prendre le temps d’écrire ce billet, comme souvent ces derniers mois !
Mais voilà, comme je vous l’ai dit dans mon billet précédent, un séjour dans les Alpes, en juin dernier, nous a fait sentir d’un peu plus près la présence du loup. Puis, il y a quelques jours, j’ai entendu à la radio, dans un journal du matin, une brève mention concernant sa progression en France. Et avant-hier, tout à fait par hasard, en explorant un peu plus l’application de Radio France sur mon téléphone, je suis tombée sur une série de cinq courts reportages très intéressants diffusés le mois dernier sur France Bleu Alsace : Le retour du loup, l’enquête. Je n’ai aucune raison d’écouter France Bleu Alsace puisque ici, c’est France Bleu Provence que nous captons. Alors, c’est sans doute le signe qu’il était temps de vous parler de la BD de Jean-Marc Rochette ! Vous la connaissez ?

Ou juste le son ici :

Transcription :

Le Loup, c’est une très belle bande dessinée qui raconte le face-à-face d’un berger et d’un loup dans les Alpes, dans le Massif des Ecrins. Dès les premières pages, on est en plein coeur de la montagne et au coeur de cette cohabitation difficile entre les loups et les brebis de Gaspard. Gaspard, c’est un montagnard pas tout jeune. Avec son chien, Max, qui sait bien garder les troupeaux, il n’est jamais bien loin de ses bêtes, qui vivent l’été en liberté dans les alpages. C’est là qu’il se sent bien, parce que Gaspard, c’est un peu un ours (1), un sauvage, un chasseur aussi sur ce territoire qu’il partage, dans le fond, avec les autres animaux, un homme qui connaît comme sa poche (2) la nature qui l’entoure et vit à son rythme. Dans la montagne, il est dans son élément (3).

Dès le début de l’album, on est plongé dans ce conflit ancestral entre les hommes et les loups, en pleine nuit, avec le récit de l’attaque fondatrice, lorsqu’une louve s’en prend (4) aux brebis de Gaspard, parce que c’est une louve et parce qu’elle a un petit à nourrir. Peu de mots – et ça, ça me plaît bien, parce qu’on peut se laisser porter par les images – mais de très beaux dessins, au plus près du carnage – c’est le mot qu’emploie plus tard Gaspard, de passage au village, pour décrire la scène qu’il a vécue. Avec cette conclusion : « Tu ne feras plus chier (5) personne. »

C’est que Gaspard s’est débarrassé de la louve, ce qui est interdit puisque le loup est une espèce protégée et à plus forte raison (6) quand on est dans le Parc National des Ecrins. Il est donc doublement hors-là-loi. Mais pour lui, parc ou pas parc, « Le berger et le loup, c’est pas fait pour être ensemble. »

Sauf que la louve laisse derrière elle un louveteau orphelin, qui survit et va grandir. Et sauf que Gaspard éprouve des sentiments ambivalents, entre fascination, admiration d’un côté et colère et aversion pour les loups de l’autre. Voilà donc le point de départ d’un duel sans merci entre le vieux berger et le jeune loup – à qui, contre toute attente (7), Gaspard laisse plusieurs fois la vie sauve (8).

Cette histoire va crescendo au fil des pages. Et quand la tempête survient, franchement, avec les dessins de Rochette, moi, je me suis perdue avec Gaspard dans la neige, dans la nuit, dans la montagne sur les traces du loup. Ce dessinateur a l’art de donner le vertige (9), de nous faire éprouver la difficulté d’avancer dans la neige épaisse, de nous faire sentir le froid glacial et la solitude extrême au coeur du silence. C’est comme si on y était !

Je ne vous en dis pas plus, juste qu’on apprend aussi à connaître ce Gaspard bourru, par petites touches émouvantes. Et ça rajoute à cette histoire (10) qui prend des allures de fable, de conte merveilleux tout en restant un récit auquel on veut / peut croire dans le fond.

Et une fois ce récit terminé et la tension retombée, ce n’est pas fini, on découvre une postface inattendue, de Baptiste Morizot, écrivain et enseignant chercheur dans mon université, qui consacre son travail aux relations entre les hommes et les animaux, les hommes et le vivant. Je vous en lis trois petits passages : […]

Et donc bien évidemment, son analyse de cette histoire de loup m’a donné envie de découvrir ce qu’il a écrit par ailleurs. Je vais commencer par « Sur la piste animale ». Et en fait, je l’avais déjà entendu parler de son travail dans Boomerang l’année dernière, en me disant que j’avais bien envie d’aller voir de quoi il s’agisssait. La boucle est bouclée (11).

Et aussi, je vous parlerai bientôt de l’autre BD de Rochette, Ailefroide, que j’avais lue avant celle-ci et qui m’avait beaucoup marquée. Je continue à faire le tri des livres de la maison, mais ces deux albums font partie de ceux dont je ne me séparerai pas !

Des explications :

  1. c’est un peu un ours : cette expression signifie qu’il n’est pas très sociable et préfère la solitude.
  2. connaître un lieu comme sa poche : connaître parfaitement cet endroit
  3. être dans son élément : être parfaitement à l’aise dans une situation donnée.
  4. s’en prendre à quelqu’un : s’attaquer à quelqu’un (au sens propre ici, physiquement mais on emploie aussi cette expression au sens figuré)
  5. faire chier quelqu’un : nuire à quelqu’un, lui causer des problèmes. (terme vulgaire et fort)
  6. à plus forte raison : d’autant plus / surtout
  7. contre toute attente : de façon totalement inattendue
  8. laisser la vie sauve : épargner, ne pas tuer
  9. donner le vertige : causer cette sensation que beaucoup de gens ont quand ils sont au-dessus du vide.
  10. ça rajoute à cette histoire : ça la rend plus forte, ça lui ajoute une autre dimension
  11. La boucle est bouclée : c’est comme si tout concordait, pour en arriver finalement là.

La lettre bleue

Je voulais partager cette lecture avec vous le 11 novembre dernier – et même le 11 novembre de l’année précédente ! Mais je n’avais pas pris le temps de préparer ce petit billet. Le voici donc aujourd’hui quand même, parce que ce petit livre tout simple, dans son joli format carré, est magnifique et que dans le fond, il parle de toutes les guerres et de ce qu’elles font aux enfants, directement ou indirectement. Les vies ôtées, les vies bouleversées. La vie qui continue aussi, à jamais changée pour tous ces petits qui n’ont pas eu ou n’ont pas la chance de grandir dans un monde en paix.

On est en 1917, c’est l’automne, dans un village tranquille, loin des tranchées. Rosalie a cinq ans et demi, l’âge où on ne sait pas encore lire mais où on comprend tout. Elle grandit sans son père, envoyé au front comme des millions de jeunes hommes, dont la présence ne se manifeste qu’à travers les lettres qu’il envoie à sa femme et à sa fille.

Les mots de Timothée de Fombelle disent l’absence, le manque, la tristesse. Ils disent aussi, comme toujours, les espoirs et la vitalité propres à l’enfance, les petits bonheurs imprévus, le grand pouvoir de l’imagination. Et on comprend peu à peu ce qui anime cette petite fille très émouvante, entourée de sa mère, ouvrière, d’un instituteur revenu de la guerre amputé et du grand Edgar qui « n’écoute rien » en classe. Comme toujours avec cet auteur, le texte est très beau, entremêlé aux illustrations si justes d’Isabelle Arsenault. Et c’est tout ce monde d’un autre siècle qui surgit, par petites touches délicates.

Pour découvrir tout ça, vous n’avez plus qu’à aller feuilleter le début de ce livre ici et si ça vous dit, j’ai enregistré ces premières pages ( ainsi que ma présentation ) pour que vous puissiez suivre en même temps :

Et parce que Timothée de Fombelle est aussi agréable à écouter qu’à lire, voici sa courte présentation à lui de son histoire. (C’est bien sous-titré !)

En 2018, il en parlait aussi ici, à François Busnel, dans son émission la Grande Librairie. Il y était question de vérité, d’amour, du pouvoir de la lecture, des mots et de l’imagination, toujours au coeur de ce qu’écrit Timothée de Fombelle, livre après livre.

Les petits bonheurs

A bientôt !