Au bout du rouleau

Les publicités jouent souvent avec les mots.
Avec celle-ci, le lavage des voitures perdrait presque son côté très terre à terre !

L’été qui vient de se terminer a été placé sous le signe de la sécheresse et du manque d’eau. Il était donc interdit de laver sa voiture… sauf pour certaines professions, qui continuaient à avoir accès aux stations de lavage. Chez Wash – un nom anglais, ça rend les choses plus « glamour » ! – comme chez ses concurrents, nos voitures sont nettoyées par des rouleaux qui vont et viennent sous nos yeux distraits. Oui, tout se fait sans se fatiguer, une fois notre paiement effectué. Les rouleaux se mettent en route, vont jusqu’au bout du rail et reviennent au point de départ. Et au bout du rouleau, la promesse d’une voiture pimpante et étincelante !

L’humour de cette publicité repose sur une expression qui n’a rien à voir avec le lavage des voitures. En effet, être au bout du rouleau, c’est être épuisé, moralement et physiquement, et complètement découragé. C’est ne plus avoir les ressources nécessaires pour faire face :
– Il a trop de responsabilités. Il est au bout du rouleau. Il ferait mieux de se mettre en congé maladie et de se reposer.
– Beaucoup d’infirmiers et d’infirmières ont démissionné dans les hôpitaux car ils étaient au bout du rouleau après deux ans de crise covid.

Beaucoup de parents, eux aussi, se sont plaints, ces deux dernières années, d’être au bout du rouleau pendant les confinements successifs, obligés de jongler entre télétravail et école à la maison. Cette expression est donc d’actualité. Mais il me semble qu’elle est souvent remplacée aujourd’hui par un emprunt à l’anglais : on entend beaucoup de gens dire qu’ils sont en burn-out. Et si on est jeune, on dit carrément : Je suis au bout de ma vie. (ce qui est plutôt paradoxal pour des ados qui ont la vie devant eux !)

Allez, j’espère que vous avez bien profité du weekend, pour ne surtout pas vous retrouver au bout du rouleau !

A écouter si vous préférez :

Faites-lui du pied, c’est permis

En deux ans de pandémie, combien de fois nous sommes-nous passé du gel hydroalcoolique sur les mains ? Au début, c’était une denrée (1) rare et convoitée ! Aujourd’hui, il y en a à l’entrée de tous les magasins : du simple flacon posé sur une table de fortune (2) à des systèmes sans contact qui détectent nos mains tendues, tout est possible. Et entre les deux, il y a les distributeurs qu’on actionne grâce à un petit levier ou mieux, en appuyant du pied sur une pédale.

Et maintenant, on fait même de l’humour pour expliquer la marche à suivre (3). Je suis tombée hier sur ce jeu de mots qui donne le mode d’emploi à ceux qui, l’espace d’un instant (4), cherchent comment faire pour se servir : Ici, il faut faire du pied pour se frotter les mains.

Cela nous fait sourire, comme l’émoji masqué qui nous accueille, parce que faire du pied à quelqu’un, c’est toucher volontairement le pied de quelqu’un sous une table, à l’insu de (5) tous les autres invités, pour lui faire des avances (6). C’est plutôt lourd si la personne draguée (7) de cette manière n’est pas vraiment d’accord ! Mais là, au contraire, à l’entrée de ce magasin, nous sommes tous autorisés à faire du pied… à ce gentil distributeur.

Ensuite, vous pourrez vous frotter les mains avec ce gel, au sens propre du terme. Et voici un autre jeu de mots puisque au sens figuré, se frotter les mains, c’est montrer sa satisfaction, en faisant ce geste ou pas. Il suffit souvent de dire juste : Je m’en frotte les mains / Il s’en frotte les mains pour dire qu’on est satisfait d’une situation, d’une décision.

De l’art de nous rappeler, avec plus de légèreté que les habituelles formules « Gel hydroalcoolique obligatoire » que nous ne devons pas encore baisser la garde (8), même si beaucoup en ont par dessus la tête (9) de ces contraintes.

Quelques explications :

  1. une denrée : un produit
  2. une table de fortune : une table improvisée, qui n’est pas réellement faite pour ça. On parle souvent par exemple d’un abri de fortune.
  3. la marche à suivre : les explications sur comment faire quelque chose, étape par étape
  4. l’espace d’un instant : pendant un très court instant
  5. à l’insu de quelqu’un : en cachette, sans que cette personne le sache
  6. faire des avances à quelqu’un : essayer de séduire quelqu’un de façon assez explicite
  7. draguer quelqu’un : c’est la même chose que précédemment. Un dragueur, c’est un homme qui passe son temps à essayer de séduire les femmes.
  8. baisser la garde : devenir moins prudent, relâcher sa vigilance
  9. en avoir par dessus la tête (de quelque chose, de quelqu’un de faire quelque chose) : en avoir vraiment assez, ne plus supporter quelqu’un ou quelque chose. Par exemple : J’en ai par dessus la tête de ses bêtises. / Il en a par dessus la tête de finir aussi tard le soir.

Non, Obélix, non ! Tu es tombé dedans petit

Je reviens aujourd’hui sur la genèse de cette expression, ou en tout cas sur ce qu’elle évoque chez tous ceux qui ont grandi avec les albums de Goscinny et Uderzo, c’est-à-dire beaucoup de monde – si ce n’est pas par la lecture, c’est au travers des dessins animés ou des films à grand succès tirés des exploits d’Astérix et Obélix. Et en relisant ces albums tellement drôles qui nous ont accompagnés dès notre enfance, je suis impressionnée par deux choses que je ne remarquais pas à l’époque :
– il y a vraiment beaucoup à lire sur chaque page.
– le vocabulaire est riche.

Rétrospectivement, cela rend encore plus incompréhensible ce que beaucoup d’adultes pensaient de ces BD que nous lisions et relisions : ça ne comptait pas comme lecture ! Lire, c’était lire autre chose, lire de « vrais » livres. Les choses ont bien changé, avec la bande dessinée qui a définitivement acquis ses lettres de noblesse.

Juste l’enregistrement :

Transcription

J’avais déjà évoqué cette expression il y a quelques années, dans un article où il y avait deux jeunes agriculteurs, éleveurs, qui racontaient leur passion pour leur métier. Et l’un d’entre eux avait dit : Je suis tombé dedans, quand j’étais petit, comme Obélix dans la marmite.
Donc pour les Français, en fait, à l’origine de cette expression, il y a une histoire d’Obélix et Astérix, un album d’Astérix, et donc il y a cette histoire de druide, une marmite, une potion magique, un petit Gaulois, donc Astérix, qui devient très fort après son bol de potion régulier et un autre Gaulois, super costaud en permanence, Obélix, qui en voudrait bien mais à qui on dit toujours non. Et voilà pourquoi : (voir l’extrait de l’album dans le petit montage ci-dessus) […]

Pour finir, cette histoire d’être tombé dedans quand on était petit revient très, très régulièrement dans les aventures d’Astérix et d’Obélix. Et d’ailleurs, on la trouve aussi évoquée plus brièvement sur les pages de garde des albums, pages de garde, c’est-à-dire au dos de la couverture, donc page de garde avant et page de garde arrière, au début et à la fin des albums. Et donc à chaque fois, Obélix se plaint d’être un peu faible ce qui fait rire évidemment parce qu’il a une force colossale, et donc à chaque fois, le druide refuse, en disant : Je t’ai dit mille fois que tu étais tombé dedans étant petit, ce qui fait qu’on a vraiment l’habitude d’entendre et de lire cette expression et qu’elle est donc passée dans notre langage courant.

Tous les albums : il y en a un paquet !

Ne croyez pas tout ce qu’on vous raconte !

Et vérifiez vos sources ! Parce que ça peut vite devenir comme dans cette vidéo (bien sous-titrée), où on termine dans un délire très drôle. C’est drôle mais on n’est pas très loin de la réalité. « Quand tu piges rien au déconfinement », ou comment passer, en juste cinq conversations téléphoniques, des mesures réelles annoncées la semaine dernière par le gouvernement aux rumeurs les plus folles. Excellent !

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Le lien est ici, si ça ne marche pas. C’est sur Youtube aussi, mais les sous-titres ne sont pas bons.

Des explications:
1. Quand tu piges rien au déconfinement : piger signifie comprendre. (C’est de l’argot, donc familier). Effectivement, il y a tellement de points particuliers évoqués par Macron dans son allocution télévisée qu’à la fin, on se demande presque si on a compris.
2. T’inquiète : Ne t’inquiète pas. (très familier, oral uniquement)
3. c’est la galère : c’est très compliqué
4. la bamboche : la fête. Personne n’emploie plus ce terme familier, sauf le préfet de la région Centre…
5. C’est chiant : c’est pénible (très, très familier)
6. super vénère = très énervé, en verlan (donc en mettant les syllabes à l’envers). De plus en plus de gens emploient ce terme d’argot.
7. c’est mort : ça ne se fera pas. Par exemple : Pour ton voyage à Noël, c’est mort = ton voyage n’aura pas lieu.
7. péter un câble : devenir complètement fou, raconter ou faire n’importe quoi. (argot)
8. taré : complètement fou (très familier, et insultant)
9. les dinosaures au gouvernement : cela renvoie bien sûr à l’âge des gouvernants, des hommes politiques et qui semblent tout droit sortis d’une autre époque, de la préhistoire.
10. Ils font n’importe quoi ! : Ils prennent des mesures totalement ridicules
11. C’est carrément flippant : ça fait vraiment peur (familier)
12. Coupe tif : les tifs, ce sont les cheveux, en argot.
13. à la con : complètement stupide, débile (argot)
14. un pote : un copain (familier)

Je déforme, tu déformes, il déforme…
Ce qui est drôle, c’est de suivre comment les différentes mesures, annoncées le 24 novembre solennellement par le président de la république à 20 heures (heure des grands journaux télévisés en France) se déforment très rapidement, au fil des appels téléphoniques de cette bande de copains. Il faut dire qu’il y en avait beaucoup et qu’elles varient en fonction des dates, puisqu’il y a celles du 27 novembre à mi-décembre, puis des changements mi-décembre et d’autres en janvier et en février. De quoi s’y perdre !

Les 20 km et les 3 heures : jusqu’à la semaine dernière et depuis le 30 octobre, les sorties pour prendre l’air ou faire un peu de sport en plein air étaient limitées à 1 km et 1 heure par jour autour de chez soi. Maintenant, on peu faire ces balades en n’allant pas plus loin que 20 km autour de son domicile et donc on a droit à 3 heures par jour.

Créteil : comme on peut faire 20 km pour aller se balader, pour ces Parisiens, c’est comme si en gros on pouvait aller à Créteil, banlieue à une quinzaine de km au sud-est de Paris et qui dans notre imaginaire, n’a pas la réputation d’être un endroit où on a envie d’aller pour se promener. De simple exemple pour illustrer la limite des 20 km, ce nom devient l’objet de rumeurs !

les librairies : Elles ont été fermées en novembre car vendant des produits « non essentiels », et summum du ridicule, pour empêcher la concurrence déloyale, les supermarchés ont dû interdire l’accès de leurs rayons livres… C’était assez surréaliste.

les dates : on passe de : « le soir de Noël et celui du 31 décembre » à « du 24 au 31 décembre ». Un grand classique de la déformation.

les bars et les restos : au centre de toutes les préoccupations car ils n’ont pas le droit de rouvrir avant janvier au mieux. Dans les appels téléphoniques de la vidéo, on passe de « C’est mort » à « il y a un mort à Créteil »…

les coiffeurs : ça avait déjà été le grand sujet du 1er confinement, avec la ruée des clients quand ils avaient pu ouvrir de nouveau en mai.

les stations de ski : les remontées mécaniques ne peuvent pas fonctionner, alors que la neige vient d’arriver et que des milliers de travailleurs saisonniers se demandent comment survivre. Et comme il est question de stations de ski, la jeune femme parle de son « flocon », c’est-à-dire cette sorte de diplôme que les enfants – petits – qui débutent le ski obtiennent quand ils savent faire du chasse-neige entre autre.

– Et pour finir, la bamboche : c’est un écho direct aux paroles d’un haut fonctionnaire français : « La bamboche, c’est terminé », sur un ton très moralisateur, accusant certains Français de ne pas respecter les mesures de confinement et de distanciation sociale. Mot que personne n’emploie plus, familier et qui a bien fait rire!
Ecoutez et regardez Thomas VDB sur France Inter. La réponse est parfaite et très drôle elle aussi :

La bamboche, Thomas VDB

Et les étudiants dans tout ça ?
On ne sait toujours pas bien quand les universités vont pouvoir rouvrir. Pas avant début février apparemment… C’est long, très long. Alors, on continue les cours en visioconférence et on essaye de garder les troupes motivées. Ils sont courageux, nos étudiants ! Vivement qu’ils puissent retrouver une jeunesse plus normale !

Registres de langue

Les kilos de publicités que nous recevons dans nos boîtes aux lettres sont vraiment une plaie ! Encombrantes, très laides en général – photos d’escalopes de veau, de flacons de lessive, de rouleaux de PQ, etc. – et un immense gâchis de papier et de tout ce qui sert à les produire, puis à les distribuer, puisque souvent, elles vont directement à la poubelle. C’est ce qui explique les petits messages collés sur certaines boîtes aux lettres, à l’intention du facteur ou des gens payés au lance-pierre pour nous déposer ces catalogues ou prospectus.
Mais les styles varient !

Option 1 : un message direct, épuré et courtois juste ce qu’il faut.
Pas de réelle implication du « refuseur » de pub. Impersonnel, neutre et passe-partout.

Option 2 : un message plus détaillé, pédagogique. Poli aussi.
Rédigé après une étude personnelle plus fouillée de ce qui atterrit dans nos boîtes tous les jours.

Option 3 : Très direct. Parfaitement clair (même s’il suppose aussi une connaissance de l’anglais de base!). Légèrement moins poli, dirons-nous.
Le message de celui qui a dû essayer les options 1 et 2 sans résultat. Alors, ça finit par énerver !

Le tutoiement :
Autant il peut être le signe qu’on est proche de la personne à qui on s’adresse, autant il peut être aussi une marque d’irrespect. C’est le cas ici.
Quand on s’insulte, on se tutoie en général.

Ne t’en fais pas, tu vas t’y faire

Comme le dit la chanson,
Dans la vie, faut pas s’en faire !
Moi, je ne m’en fais pas
Les petites misères
Seront passagères
Tout ça s’arrangera

C’est une chanson célèbre de Maurice Chevalier, connue de nous tous et reprise par Eddy Mitchell dans des publicités des années 90. Je suppose que vous devinez ce qui va se passer dans la pub en question !

Comme le climat est plutôt tendu en ce moment, on va adopter ce petit refrain pour garder foi dans la capacité des hommes à construire un monde plus harmonieux !

Et c’est l’occasion pour moi de continuer à évoquer toutes nos expressions avec en et y.
Dans ce billet, voici donc : s’en faire, à ne pas confondre avec s’y faire.

1- S’en faire : s’inquiéter, se faire du souci.
C’est le sens le plus courant. C’est une expression familière.
On l’emploie au présent très souvent.
Elle s’en fait énormément pour ses enfants. Du coup, c’est une mère un peu étouffante.
– Ce n’est pas nécessaire de t’en faire à l’avance. Tu verras bien !

Ne t’en fais pas, tu vas y arriver. Aie confiance en toi. (A l’oral et de façon familière, on dit : T’en fais pas.
Ne vous en faites pas. On va vous aider.Tout va bien se passer.

Cette expression peut avoir une autre signification à la forme négative, dérivée de la première: ne pas se gêner (c’est-à-dire ne pas avoir d’inquiétude alors qu’on fait quelque chose de gênant, d’inacceptable par exemple): C’est une critique, vis-à-vis d’une personne sans-gêne.
– Eh bien, ne t’en fais pas ! / Ne t’en fais surtout pas ! (à quelqu’un qui est en train de fouiller dans vos affaires par exemple.)
– Tu ne t’en fais pas, à ce que je vois !

Utilisée à propos d’une situation passée, cette expression marche à l’imparfait, mais pas au passé composé.
Il s’en faisait beaucoup quand il était étudiant en prépa. Maintenant il est moins stressé.
– Elle ne s’en faisait pas trop parce que ses parents s’occupaient de tout!

Alors, si on veut raconter quelque chose de ponctuel, donc au passé composé, on est obligé d’employer des expressions moins familières: se faire du souci, s’inquiéter
Elle s’est fait beaucoup de souci / Elle s’est beaucoup inquiétée pour lui quand il était petit parce qu’il était souvent malade.

Pour écouter ces exemples :

2- S’y faire : cette expression signifie s’habituer à quelque chose, au point que cela ne nous dérange plus. (C’est la situation tout entière qui est sous-entendue par Y)
On peut l’employer à tous les temps.
Le climat est totalement différent ici. Il fait chaud et humide. Mais nous allons nous y faire !
– Il faut que tu t’y fasses ! Il ne changera jamais d’attitude. C’est sa personnalité.
– Les gens conduisent n’importe comment ici. Je ne m’y ferai jamais ! / Je n’arrive pas à m’y faire.

Pour écouter ces phrases:

Donc aujourd’hui, n’oubliez pas qu’il s’agissait de verbes pronominaux (avec se). Je dis ça parce que nous avons aussi des expressions avec simplement :
en faire
– y faire

Et bien sûr, elles ne signifient pas la même chose que s’en faire ou s’y faire.
A suivre !