L’année dernière, je n’avais pas remarqué cette folie des calendriers de l’Avent sur les réseaux sociaux ! Tout le monde y est allé de ses publications journalières, sites marchands, librairies, particuliers. J’avoue que je n’ai pas suivi de très près tous ces partages de produits, de photos, de recettes, de livres, de concours en tous genres. Drôles de calendriers de l’Avent ! Je ne suis plus très sensible à « la magie de Noël », comme on dit, et surtout pas quand le côté commercial l’emporte.
Cependant, j’ai fini par prêter attention à ce que publiait Marie-Aude Murail dans son « calendrier de l’Avent littéraire » et voilà qu’elle m’a réconciliée avec cet exercice, apparemment incontournable et souvent très artificiel. A partir du 1er décembre, elle a en effet publié chaque jour des extraits d’un ouvrage collectif, Un Amour d’enfance, paru en 2007, où des auteurs jeunesse lui avaient expliqué quel livre les avait marqués dans leur enfance au point de faire d’eux, plus tard, des écrivains. Ce livre, touchant et passionnant, ne se trouve plus très facilement, donc le calendrier de l’Avent de Marie-Aude Murail est un petit trésor d’émotions, de souvenirs et d’enfance. Voici deux extraits de ces textes, au milieu de tous les autres, tout aussi bien écrits et évocateurs. Et ensuite allez faire un petit tour chez Marie-Aude Murail ! Tintin, Jacques Rogy, le Club des Cinq, Arsène Lupin, Le Grand Maulnes, Sophie de Réan, Les Filles du Dr March, les héros de Jules Verne, ils sont tous là.
faire les quatre cents coups : faire des bêtises, se livrer à tous les excès imaginables. Par exemple : Dans sa jeunesse, il a fait les 400 coups. Puis il s’est assagi.
il y a belle lurette : il y a très longtemps (familier)
turlupiner : préoccuper, tourmenter sans cesse. (familier). Par exemple : Il y a une idée qui me turlupine. (c’est-à-dire : je n’arrête pas d’y penser.)
s’empêtrer dans quelque chose : être plongé dans une situation difficile dont on n’arrive pas à se sortir.
chahuter : faire du chahut, c’est-à-dire mettre le bazar, le désordre. (Par exemple pendant un cours) Les enfants, arrêtez de chahuter !
tendre l’oreille : se mettre à écouter très attentivement
peine perdue : c’est inutile, ça ne sert à rien
sic : ce terme latin placé entre parenthèses après un mot ou une phrase signifie qu’on cite ce qu’a dit quelqu’un sans corriger quoi que ce soit, même s’il y a des erreurs. Ici, cette écrivaine aurait dû écrire: « Je l’ai lu 5 fois. » Mais elle nous livre tel quel ce qu’elle avait écrit enfant dans ce livre qui l’a tant marquée.
* L’expression du titre : se donner le mot se mettre tous d’accord pour faire la même chose.
Tous ces auteurs ont donc retrouvé (et relu, parfois avec surprise) le livre qui leur avait laissé un souvenir indélébile. Autant de voyages en enfance dont voici à mon avis la plus belle conclusion :
« Qu’il est difficile de choisir ! Et puis, pourquoi le faire ? Mon amour d’enfance n’est pas un livre, c’est la lecture toute entière ! Un bel, un grand amour, qui dure et qui durera toujours. Merci papa, merci maman! » (Texte de Véronique Massenot, écrivain et illustratrice. Extrait d’« Un amour d’enfance »)
Je voulais partager cette lecture avec vous le 11 novembredernier – et même le 11 novembre de l’année précédente ! Mais je n’avais pas pris le temps de préparer ce petit billet. Le voici donc aujourd’hui quand même, parce que ce petit livre tout simple, dans son joli format carré, est magnifique et que dans le fond, il parle de toutes les guerres et de ce qu’elles font aux enfants, directement ou indirectement. Les vies ôtées, les vies bouleversées. La vie qui continue aussi, à jamais changée pour tous ces petits qui n’ont pas eu ou n’ont pas la chance de grandir dans un monde en paix.
On est en 1917, c’est l’automne, dans un village tranquille, loin des tranchées. Rosalie a cinq ans et demi, l’âge où on ne sait pas encore lire mais où on comprend tout. Elle grandit sans son père, envoyé au front comme des millions de jeunes hommes, dont la présence ne se manifeste qu’à travers les lettres qu’il envoie à sa femme et à sa fille.
Les mots de Timothée de Fombelle disent l’absence, le manque, la tristesse. Ils disent aussi, comme toujours, les espoirs et la vitalité propres à l’enfance, les petits bonheurs imprévus, le grand pouvoir de l’imagination. Et on comprend peu à peu ce qui anime cette petite fille très émouvante, entourée de sa mère, ouvrière, d’un instituteur revenu de la guerre amputé et du grand Edgar qui « n’écoute rien » en classe. Comme toujours avec cet auteur, le texte est très beau, entremêlé aux illustrations si justes d’Isabelle Arsenault. Et c’est tout ce monde d’un autre siècle qui surgit, par petites touches délicates.
Pour découvrir tout ça, vous n’avez plus qu’à allerfeuilleter le début de ce livre ici et si ça vous dit, j’ai enregistré ces premières pages ( ainsi que ma présentation ) pour que vous puissiez suivre en même temps :
Et parce que Timothée de Fombelle est aussi agréable à écouter qu’à lire, voici sa courte présentation à lui de son histoire. (C’est bien sous-titré !)
En 2018, il en parlait aussi ici, à François Busnel, dans son émission la Grande Librairie. Il y était question de vérité, d’amour, du pouvoir de la lecture, des mots et de l’imagination, toujours au coeur de ce qu’écrit Timothée de Fombelle, livre après livre.
Et voilà, je vous souhaite une très bonne nouvelle année.
Je vous souhaite d’aller bien, de prendre le temps de lire, regarder, admirer, fabriquer, marcher, courir, écouter, découvrir, apprendre, échanger, partager, rire. Dans ce monde qui peut être plein de bruit et de laideur, se remplir de tout ce qui rend humain et se réjouir de ce qui nous fait avancer!
Pour vous qui aimez le français, les mots, les histoires, les vies des autres, j’ai pensé à ces premiers partages de l’année, où vous vous régalerez peut-être autant que moi grâce à ce que certains fabriquent pour nous tous:
– cette émission à la radio, les Pieds sur terre, est passionnante par la variété des histoires racontées par ceux qui les ont vécues. Sa définition sur le site : « Tous les jours, une demi-heure de reportage sans commentaire. »
– le site de Gallica est un lieu où se perdre ! Une bibliothèque à portée de main, à portée de nos yeux émerveillés…
– un autre compte instagram, Nos histoires de France, où se croisent les parents, les grands-parents de tous ces Français, descendants d’immigrants, venus d’ailleurs à un moment de leur vie et de l’histoire de notre pays.
Dans cette conversation écoutée la semaine dernière, il est question de la mer, d’une correspondance singulière entre deux amis aux métiers si différents, d’attente et de don, du métier d’acteur, de l’enfance d’où l’on vient, dans une langue tour à tour maîtrisée et hachée par les hésitations, tour à tour recherchée et familière.
Cet acteur-écrivain raconte aussi le trac en ces mots dans son spectacle, Je parle à un homme qui ne tient pas en place** : J’ai la trouille, tu sais, avant de jouer tous les jours, et ça commence dès le matin. Je fais une sieste dans ma loge pour me calmer, et j’aimerais me réveiller en scène direct, sans passer par cette minute qui précède la mise à feu, la minute des insectes, ceux de la tombée du soir que je tente de chasser par de grands mouvements respiratoires, les insectes de la peur qui me ramollissent les guiboles*, quand la lumière inonde déjà le plateau, qui n’attend plus que moi. C’est à cette seconde-là que je vais chercher le courage pour le sortir de ses gonds. C’est à cette seconde que j’arrache les montagnes de leur socle pour simplement faire le métier que j’ai choisi. Je déteste cette seconde. Je voudrais que tout ait commencé depuis toujours.
– Est-ce qu’on cesse un jour d’avoir peur de l’échec, en vrai ?
– Malheureusement… enfin j’aimerais… j’en rêve, en fait. J’aimerais. J’aimerais être apaisé. Je le dis dans le spectacle : je veux vieillir avec le sourire, c’est mon projet, mon pote (1), mon projet non-violent. Cet apaisement, oui, il aurait cette conséquence, bien sûr. La peur de l’échec, c’est ce qui fait qu’un être humain est un être humain sans doute. Sans doute qu’il y a quelques… quelques grands sages qui y échappent.
– Il y a des échecs qui pour vous ont été des victoires ? Votre plus belle victoire à l’envers, tiens, ça aurait été quoi ?
– Mais toutes les… Tous les échecs sont des victoires à l’envers, avec un peu de temps. Toutes… Les ruptures amoureuses, les ruptures d’amitié, et dieu sait (2) s’il y en a eu et si elles ont été douloureuses ! Tout, les échecs, quels qu’ils soient, il y a toujours un moment… Parce que c’est toujours cette question : Qu’est-ce qu’on fait de ce qui nous arrive ? Sinon, on est cuit (3) ! Sinon, c’est la faute à l’autre. Sinon, c’est… Sinon, on est victime du pas de chance. Et ça m’emmerde (4), ce mot malchance qui doit absolument et urgemment tomber du dictionnaire. Parce que, oui, on n’est pas… On maîtrise pas tout ce qui nous arrive, c’est pas… tout n’est pas de notre faute. Mais qu’est-ce qu’on en fait ?
Dans votre métier, et vous le dites, d’ailleurs, dans le spectacle, pourquoi est-ce que vous avez choisi un métier dans lequel on s’expose constamment au risque de l’échec ?
Alors pourquoi ? Parce que… La passion est venue en faisant et puis voilà, je me suis trouvé à cet endroit-là, sans l’avoir vraiment prévu, inventé, désiré gamin (5). C’est les rencontres, c’est la disponibilité pour une rencontre. Et puis la découverte de ce métier très tôt, à dix-huit ans et demi, et être immédiatement dans le milieu professionnel, et puis être là, et puis me dire : mais je peux exprimer des choses, je peux être… Je peux recycler mon fleur de peau (6).
– Ouais ! Ouais !
– Je peux… j’ai la possibilité de raconter mon poil qui se dresse (7). C’est une chance incroyable !
– Vous dites : On choisit de se faire mal pour se justifier d’être là. Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Bah ça veut dire que la culpabilité qui nous habite, l’illégitimité… Moi, j’ai mis énormément de temps à me voir comme un écrivain, aussi, parce que… parce que, je sais pas, parce que je me sens… j’ai un gros complexe d’inculture, parce que j’ai pas de mémoire, donc je retiens pas ce que je vois, parce que je n’aime pas les livres, au fond, enfin je veux dire, je les aime – une maison sans livres, pour moi, est une maison inhabitée, sans âme – mais néanmoins (8), je les… j’ai du mal avec le livre, j’ai du mal avec tout ce qui… avec les modes d’emploi ! Non mais enfin voilà, j’ai… j’ai pas… je me sens… Ouais, tout ce qu’on n’apprend pas quand on est très jeune, c’est cuit (9). Enfin, c’est difficile comme le temps perdu, ça ne se rattrape pas. Donc moi, j’étais plus dehors quand j’étais gamin, plutôt que dans les bouquins (10) et l’école m’emmerdait (11), etc., etc. Et du coup, j’ai…j’ai… Il y a des tas de choses que j’ai ratées, quoi, et toute cette culture dont on croit que les acteurs et le gens qui en fabriquent, de la culture, en sont pétris (12), bah moi je… Bah, moi non ! Alors donc je me suis construit une autre culture, avec laquelle je me débrouille très bien, mais j’ai toujours un peu honte, comme ça, de… quand on me parle de références, qu’on me parle avec des tas de références et tout ça, je sais jamais quoi en faire, et donc… Je ne sais plus quelle était votre question !
– Vous y avez bien répondu en tout cas. Moi non plus ! On va continuer à se sentir vivant ensemble, parce que c’est le cas ce matin.
Des explications
1. mon pote : mon ami (familier)
2. dieu sait si… : on emploie cette expression pour insister sur quelque chose. Ici, cela signifie que ces ruptures ont été très douloureuses.
Par exemple : Dieu sait si j’ai essayé de trouver une solution ! = J’ai vraiment tout tenté. / Dieu sait si nous avions tout préparé! Et pourtant, ça n’a pas marché.
3. On est cuit : on est fichu, c’est l’échec complet. (familier)
4. ça m’emmerde : ça me contrarie, je ne supporte pas ça. (très familier)
5. sans l’avoir désiré gamin : quand j’étais gamin, enfant. Gamin est familier. On n’est donc pas obligé d’employer « quand j’étais gamin / quand il était gamin ». On dit juste : Enfant / Gamin, il était très timide. / Gamins, on jouait beaucoup dehors.
6. Recycler mon fleur de peau : normalement, on emploie l’expression « à fleur de peau » pour décrire des gens qui ont une grande sensibilité et qui ne peuvent cacher leurs émotions.
Ici, avec cette façon personnelle d’utiliser cette expression, il veut dire qu’être acteur lui permet de faire quelque chose de sa sensibilité, de ses émotions. C’est joliment dit, je trouve.
7. Mon poil qui se dresse : c’est aussi une façon très personnelle de parler de sa sensibilité !
8. Néanmoins : malgré tout (style soutenu)
9. c’est cuit: c’est raté, c’est fini, c’est fichu. (familier). Aujourd’hui, on entend aussi plus souvent: C’est mort.
Par exemple : On devait aller au bord de la mer. Mais c’est cuit à cause du mauvais temps.
10. Les bouquins : les livres (familier)
11. l’école m’emmerdait : l’école m’ennuyait. (très familier)
12. être pétri de culture : être très cultivé, parce qu’on a baigné dans un univers qui permettait d’avoir accès aux livres, à l’art. (langue soutenue)
* les guiboles : les jambes (argot)
** ne pas tenir en place : cette expression s’applique aux gens qui aiment partir, voyager, être en mouvement tout le temps. Et aussi quand on est impatient de faire quelque chose, ou qu’on s’agite.
Par exemple :
– Comment pourrait-il travailler dans un bureau ? Il ne tient pas en place!
– Depuis qu’il sait qu’il va partir en stage aux Etats-Unis, il ne tient plus en place !
Je ne suis pas très en avance pour revenir sur le mois de mai écoulé !
Du travail, des piles de copies à corriger, d’autres activités, et voilà le mois de juin déjà bien entamé.
Voici donc mon enregistrement du mois, avec d’abord des photos qui vous feront sans doute deviner ce dont je vous parle aujourd’hui.
Transcription
Bonjour. Alors, pour faire un petit point sur le mois de mai, en fait, je voulais vous parler d’un problème qu’on rencontre de plus en plus dans les études, en tant que prof et bien sûr pour les étudiants aussi, c’est le problème de la fraude aux examens, aux tests, qui a tendance vraiment à se généraliser, et ça devient, comme on dit, un sport national (1) en France, c’est-à-dire que de plus en plus d’élèves, d’étudiants trichent et… pour avoir des résultats, pour avoir des résultats corrects, alors, peut-être parce que la France attache une très grande importance aux notes, mais parce que aussi, voilà, certains étudiants, au lieu de mettre beaucoup d’énergie à apprendre, s’entraîner, travailler, se préparer à faire des… certains exercices, résoudre des problèmes et autres, ont tendance à essayer de tricher avec des documents, des choses comme ça et ça devient, à mon avis, quand même un peu critique (2). Lire la suite →
Alors, aujourd’hui, on va jouer à l’école:
Prenez une feuille et un stylo. On va commencer par une petite dictée.
Dictée du jour
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C’est bon? Vous vous êtes bien relu ?
Bon, maintenant, posez vos stylos. On ne joue plus. On est sur internet et on tombe sur de vrais commentaires laissés sur des sites ou des réseaux sociaux. Et voici ce qu’on lit : – Il va sans sortir.
– Sa femme qu’il attend soutenu.
– Quand pensez-vous ?
* Il va sans sortir.
Alors, ça veut dire qu’il reste à la maison ?
* Sa femme qu’il attend soutenu.
C’est bien connu, les femmes se font toujours attendre !
* Quand pensez-vous ?
Euh, jamais en fait. (Surtout quand j’écris.)
C’est plutôt drôle. C’est presque poétique !
Le problème, c’est que
– ça n’est pas volontaire.
– ça n’est pas un usage poétique des mots par leurs auteurs.
– c’est écrit par des Français, dans leur langue maternelle.
– ça devient presque incompréhensible.
Il faut quasiment se dire ces phrases à voix haute, et elles redeviennent alors pleines de sens : = Il va s’en sortir.
(Il a beaucoup de travail, ou bien la situation est compliquée mais il va y arriver.)
= Sa femme, qu’il a tant soutenue…
(comme il s’y est engagé, en termes équivalents, par les voeux prononcés lors de leur mariage religieux.)
= Qu’en penses-tu ?
(Allez, donne-moi ton avis, ta position sur cette question ou sur ce que je te propose.)
La prononciation est exactement la même, c’est vrai. D’où ces erreurs.
Mais quand même !
Le remède se trouve peut-être – en partie – là :
Cette publicité joue sur les mots, des mots qui sont normalement écrits sur les paquets de cigarettes et associés à des photos peu poétiques des maladies causées par le tabagisme : Fumer nuit gravement à la santé. Avertissement solennel. Tentative de disuasion. (assez hypocrite, il faut bien le dire !)
En lisant, je crois moi aussi qu’on a davantage de chance de devenir moins ignorant en orthographe et en grammaire, de ne pas être un âne ! (Petite parenthèse : pauvres ânes ! En français, être un âne n’est pas flatteur.)
Lire, donc. Pas simplement pour le plaisir d’être bon en orthographe ou en grammaire, mais pour comprendre et se faire comprendre ! Et pour accéder au monde.
Parce que voilà, comme c’est écrit sur ce trottoir de Montmartre :
Connaissez-vous ce compte instagram ?
Allez jouer avec les mots de son auteure, tracés à la craie dans la rue !
Syntaxe et orthographe bousculées.
Poésie, humour et vérité.