Mémé

DSC_5022cVoici aujourd’hui une vieille dame qui m’avait bien plu quand je l’avais entendue à la radio. Pour ses 100 ans, pour sa vitalité, sa curiosité et sa lucidité. J’aime bien imaginer tout ce qu’elle a vécu, tous les changements qu’elle a vus. Elle a toute sa tête, Mémé, … et un ordinateur.

Je l’écoute et je me demande si je saurai être une Mémé un jour et, comme elle, vivre avec ce qui aura été inventé alors!

Mémé

Transcription :
– Je faisais… je faisais un jeu.
– Ah bon ? Oui, alors, c’est ça la question : vous faites quoi avec ? (1)
– Je… je reçois des mails (2), j’en envoie, j’ai des photos. J’ai une amie qui est partie en Pologne, elle m’en… Elle est très fidèle et elle m’envoie des… Elle m’envoie beaucoup de mails et j’ai des mails amusants, des choses très jolies à voir, des paysages, des… je visite des musées avec mon ordinateur ! L’ordinateur, je l’ai depuis cinq ans. On m’a offert ça pour mes quatre-vingt quinze ans !
– Aujourd’hui, il y a un thème dont on parle beaucoup dès qu’on parle des personnes âgées, c’est celui de la solitude. Est-ce que vous, vous vous sentez seule, à cent ans ?
– Je suis assez… Je suis assez contente de… d’être toute seule. Oui, oui, oui, oui. Je fais ce que je veux, c’est ça. Moi, il me faut… Faut pas d’entraves (3). Faut pas que (4)… Faut pas qu’on m’embête (5). Et pourtant, et pourtant, je suis seule. J’ai perdu maman très jeune, mon père, j’avais vingt-six ans, j’ai perdu mon mari très tôt, j’avais cinquante-sept ans. Et mes enfants, il y en a une qui est partie à quarante ans, et l’autre qui est partie à soixante-douze ans. Et Mémé (6), elle tient le coup ! (7) Elle est toujours là, je comprends pas ! Je pense à eux, je suis avec eux toute la journée, mais je ne m’ennuie pas. Et je pense à eux avec les bonnes choses, je…
– Sans tristesse.
– Quand je vois des… des gens qui pleurent, qui crient, qui « Ah…! ». Moi… Moi, j’ai mon chagrin (8), là, comme ça, mais ça s’ extériorise pas (9).
– Comme ça, vous dites ça, en vous touchant le cœur, la poitrine.
– C’est là, c’est ça.
– Je peux vous demander ce que vous faites pour le 31 décembre ?
– Je ne vais rien faire, je vais être toute seule. Je vais me préparer mon petit réveillon (10) à moi. Je vais me faire une bonne… un bon petit truc. Je vais m’acheter du saumon (11), et puis je vais rester jusqu’à… jusqu’à minuit, bien sûr, parce que alors là, j’ai tous mes coups de téléphone qui viennent après minuit ! J’ai tous mes petits-enfants qui m’appellent. Puis après, bah à une heure… une heure ou deux du matin, je vais me coucher.
– Quand on a cent ans aussi, alors malheureusement, vous avez perdu vos enfants, mais vous avez aussi, j’imagine, dû perdre vos amis.
– Ah bah, j’en ai plus !
– Bah oui !
– Ils sont tous partis, ça y est. Quand j’ai été à la retraite, là, quand j’ai perdu ma fille, je me suis occupée de mes petits-enfants. Après, bon bah quand les enfants ont été un peu plus grands, bon, j’ai… je suis restée là et puis je… Après ma fille, j’ai été épouvantablement (12) triste et seule pendant… pendant deux, trois ans. Puis j’ai dit : Bon bah je peux pas rester comme ça. C’est pas possible. Alors, j’ai été à la mairie (13), voir… faire faire de la gymnastique. Et là, j’ai eu de la chance de rencontrer des gens de mon âge, et puis alors, là, on se réunissait que nous, sept-huit (14), et puis on a fait des voyages, on a… C’était… On a passé de très bons moments. Bon bah tout ça… tout ça, c’est parti petit à petit. Je les ai perdus l’un… l’un après l’autre. Voyez, ce qui me manque beaucoup maintenant, c’est de la tendresse, de quelqu’un avec moi. Mais j’adore mes petits-enfants, mes petites-filles, tout ça, mais : « Bonjour Mémé ! » Allez hop, ça y est, ça va vite, hein ! J’aimerais qu’elles prennent un peu de temps. Eh bah voilà, là encore cent ans un mois ! Je pensais pas… Quand j’étais jeune, j’avais compté l’âge que j’aurais en l’an 2000.

Quelques détails :
1. Vous faites quoi avec ? : question orale = Qu’est-ce que vous faites avec ? Et on n’a pas besoin de pronom pour remplacer « ordinateur ». C’est comme ça avec les objets, mais pas avec les personnes. Par exemple : J’ai un ordinateur. Je fais des jeux, j’envoie des mails avec. Mais on dit: J’avais des amis. Je faisais des voyages avec eux.
2. Un mail, des mails : les Français n’utilisent que rarement le mot email. Ils n’utilisent pas souvent non plus le mot courriel.
3. Une entrave : quelque chose qui empêche de faire ce qu’on veut.
4. Faut pas que… : c’est uniquement oral, puisqu’il manque : Il ne…
5. Il ne faut pas qu’on m’embête = il faut qu’on me laisse tranquille. Embêter quelqu’un, c’est le déranger.
6. Mémé : c’était le nom qu’on donnait aux grand-mères. Aujourd’hui, on dit plutôt Mamie, ou d’autres choses. Donc Mémé est plutôt réservé aux très vieilles dames, aux arrière-grand-mère par exemple, pour faire la différence avec Mamie. Dans le sud, on emploie souvent un mot très proche, Mamé, qui bizarrement reste plus à la mode. Dans d’autres contextes, si on dit par exemple d’un vêtement que ça fait mémé, c’est péjoratif, puisque ça veut dire que ça fait très vieux : J’aime pas cette couleur, ça fait mémé !
7. Tenir le coup : ne pas flancher, rester solide, en bonne santé, résister. (familier)
8. le chagrin : la peine. (C’est plus fort que la tristesse.)
9. extérioriser ses sentiments : montrer ses sentiments, les exprimer. Elle, c’est le contraire, elle les garde pour elle.
10. Le réveillon : c’est la soirée de Noël ou du 31 décembre, avec un bon repas, plus tardif que d’habitude.
11. Du saumon : il s’agit de saumon fumé. C’est assez traditionnel chez les Français à ce moment-là de l’année, comme les huîtres.
12. Épouvantablement triste : horriblement triste. C’est très fort, car en français, on reste souvent plus sobre dans les mots qu’en anglais par exemple et on dit en général juste : très triste.
13. La mairie : c’est là où tout s’organise et où tout est géré dans la ville où on habite. En plus des services administratifs, on peut donc y trouver des activités de loisirs, pour toutes les catégories de la population.
14. Sept, huit : ils formaient un petit groupe de sept ou huit amis.

Vous me tutoyez, là, monsieur ?

Au cinéUn billet inspiré par un film sorti depuis peu et que, comme d’habitude, je n’ai pas vu. Une comédie dramatique à la française, comme on dit, adaptée du roman de David Foenkinos, Les Souvenirs.

Au hasard d’émissions à la télé, j’ai vu plusieurs scènes à propos desquelles je m’étais dit que j’en parlerais ici.

Voici l’une d’elle en cliquant ici.

Transcription :
– C’est ta grand-mère !
– Bah qu’est-ce qui se passe ?
– Elle a disparu.
– Comment c’est possible qu’elle soit partie comme ça ? Vous les surveillez pas ?
– Mais c’est pas une prison ici, monsieur.
– Non mais attendez, hein, pas…
– Alors effectivement, on a reçu un appel de la maison de retraite, mais bon, c’est pas la première fois, hein ! C’est une vraie passoire (1) là-bas.
– Mais du coup, enfin concrètement, vous pouvez faire quoi ?
– Ah concrètement, rien !
– On peut pas lancer un avis de recherche ? A la télé, ils passent leur temps avec leur « Alerte- Enlèvement » (2). On peut pas faire pareil ?
– Vous voulez qu’on lance l’ Alerte-Enlèvement pour votre mère ? Première question : est-ce que votre mère est majeure ? (3)
– Tu t’énerves pas, hein.
– Ah bah je m’énerve pas. Je ne m’énerve pas du tout, non, non, non !
– Je fais simplement mon travail, hein. On voit de tout (4), nous, ici.
– Et une mère plus jeune que son fils, tu as déjà vu ça, toi ? Hein vraiment ?
– Non mais vous me tutoyez, là, monsieur ?
– Oui, je vous tutoie ! Laisse-moi, toi ! Tout va bien, tout va bien. Tout va bien !

Quelques détails :
1. c’est une passoire : on utilise cette image à propos de lieux où on peut entrer et sortir sans difficulté.
2. Une Alerte-Enlèvement : c’est le dispositif mis en place depuis peu en France, sur le modèle des Etats-Unis, pour lancer l’alerte très vite et à grande échelle si un enfant ou un ado est enlevé.
3. Être majeur : on est majeur à partir de l’âge de 18 ans. Les alertes-enlèvement sont lancées seulement pour les mineurs.
4. On voit de tout : cette petite phrase indique que tout est possible, même les situations les plus inattendues. (familier)

Le tutoiement abolit la distance. Avec des effets opposés:
– il rapproche des autres, il met sur un pied d’égalité. Le Tu de la collaboration, ou du partage, ou de l’amitié, ou de l’amour.
– il permet de les dominer, de les insulter, de les humilier. Le Tu de l’impolitesse, ou du manque de respect, ou de l’agression verbale. Passer à Tu, c’est transgresser dans ces cas-là les règles de la sociabilité.

Dans cette scène, Michel Blanc s’inquiète, s’énerve et tutoie le commissaire : Une mère plus jeune que son fils, tu as déjà vu ça, toi ?
Mais on ne peut pas tutoyer un commissaire, ça peut avoir des conséquences : Vous me tutoyez, là, monsieur?
Et une fois son angoisse exprimée, il reprend le chemin de la politesse : Oui, je vous tutoie, dit-il… en vouvoyant le policier!
Fin du dérapage, retour au calme.

Mes codes : personnels mais bien sûr inséparables de mon milieu et de mon époque, avec l’idée qu’à mon âge, si on me tutoie, je tutoie aussi. (en version orale ou écrite, selon vos préférences)

Tu ou Vous, Catalogue personnel

– Je dis Vous à mes étudiants. Ce n’est pas le cas de tous mes collègues. Dans ce cas, le vouvoiement m’est très naturel, comme il l’est de la part des étudiants.
– Je tutoie tous mes collègues, parce que nous travaillons ensemble tous les jours. (Et à Marseille, on fait aussi la bise à ses collègues pour se dire bonjour.)
– Les jeunes collègues ont tendance à commencer par vouvoyer ceux qui sont plus âgés qu’eux et attendent le feu vert de leurs aînés pour les tutoyer. Je fais maintenant partie de ceux qui peuvent donner le feu vert. (ce qui a ses avantages et ses inconvénients.)
– Je dis Tu dans les commentaires que je laisse sur Instagram. Parfois en me disant que c’est un peu familier au tout début. Mais dans le fond, je suis surprise par ceux qui y vouvoient les autres.
– Je ne sais pas toujours quoi faire en répondant aux commentaires sur ce blog. Il me manque les repères d’âge, de « style », tout ce qu’on décrypte quand on voit les gens en chair et en os. J’ai tendance à dire Tu rapidement (ou immédiatement), sans doute pour gommer un peu la distance inhérente à ces échanges par blog interposé. Mais je fais souvent une remarque sur ce passage au tutoiement, comme pour m’excuser de cette familiarité trop précoce.
– Nous avons rencontré ce problème hier avec mes trois jeunes filles qui travaillent sur France Bienvenue cette année: pour répondre à une question posée par un visiteur, l’une n’envisageait pas de répondre en le tutoyant, la deuxième trouvait bizarre de le vouvoyer et la troisième n’arrivait pas à décider. Nous avons tranché en contournant le problème, dans une réponse où n’apparaissent ni Tu ni Vous ! (Mais c’est en général difficile de faire ce tour de passe-passe.)
– Il y a quelques personnes de mon entourage à qui je continue à dire Vous, même si nous sommes devenus plus proches au fil du temps. C’est difficile de changer des habitudes de longue date et ça ne gêne pas ces relations. C’est comme ça !
– Je dis Tu dans ma voiture à ceux qui conduisent comme des sauvages (d’après mes critères). Ce tutoiement va de pair avec des termes que je n’emploie pas habituellement. (Oui, des gros mots). Mais je suis dans ma voiture. Le Tu qui défoule.
– Si quelqu’un se permet de mal me parler et de me tutoyer d’une façon qui ne me plaît pas, je ne riposte pas en le tutoyant à mon tour. Du moins j’essaie. Tutoyer dans ce cas, c’est perdre son calme. Vouvoyer permet en quelque sorte de garder le contrôle, de maintenir la distance et d’éviter l’escalade. En général, c’est mieux d’éviter l’escalade.
– Mais ça peut avoir l’effet contraire et énerver encore plus celui qui vous énerve. Je repasse au Tu. Traduisez: je perds mon calme.

Donc deux petits mots et toute une palette de nuances…
D’un côté, comment ne pas penser aux Paroles de Jacques Prévert adressées à Barbara dans son poème :
Ne m’en veux pas si je te tutoie.
Je dis tu à tous ceux que j’aime.

Mais de l’autre, et sans poésie aucune, c’est plutôt :
Je dis tu à tous ceux qui m’agacent et que je n’aime pas !

Pour terminer, voici la bande annonce du film.
Les dialogues sont parfaits pour leur côté oral. Même s’ils sont légèrement surjoués et un peu trop « écrits », il y a ce débit de parole qui fait progresser quand on apprend le français. Et on entrevoit les falaises d’Etretat.

Bande annonce

La bande annonce est ici.

Transcription:
– Surprise !
(Chanson : Que reste-t-il de nos amours?)
– Et merci !
– Surprise !

– Bah tu manges pas ?
– Ils font des menus que pour les vieux.
– Tu as l’air en forme, toi ! Ça fait plaisir !

– C’est ta grand-mère !
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Elle a disparu.
– Comment c’est possible qu’elle soit partie comme ça ? Vous les surveillez pas ?
– Mais c’est pas une prison ici, monsieur.
– Non mais attendez, hein, pas…
– C’est déjà arrivé quelquefois mais enfin bon, c’est rare.
– C’est pas la première fois, hein, c’est une vraie passoire là-bas !
– On peut pas lancer un avis de recherche ? A la télé, ils passent leur temps avec leur « Alerte- enlèvement ». On peut pas faire pareil ?
– Euh… Première question : est-ce que votre mère est majeure ?
– Tu t’énerves pas, hein.
– On voit de tout, nous, ici.
– Une mère plus jeune que son fils, tu as déjà vu ça, toi ?

– Putain, j’ai reçu une carte postale de ma grand-mère !
– Ah ouais ? Faut que tu y ailles, faut que tu mènes l’enquête.

– Excusez-moi.
– Vous voulez vous suicider ?
– Euh… non.
– Parce qu’on a quand même le meilleur spot pour ça ici, hein. Alors écoutez, moi je veux pas m’immiscer dans votre vie privée (1), mais moi, en tant que professionnelle, je suis obligée de vous prévenir. Donc on longe la falaise comme ça, tac (2). On arrive ici, on saute, hein, on est venu pour ça. Sauf que en cas de vent, retour en arrière…
– Je compte pas (3) me suicider en fait. Je suis quelqu’un qui aime la vie et je…
– Ah bah il faudrait le dire à votre visage parce que là, on peut pas deviner, hein !

– J’en peux plus (4) qu’on décide tout pour moi. Tu comprends ?
– Elle a du caractère (5), ta mère. C’est bien le genre à (6) partir comme ça.
– Allez, à ta grand-mère !

Quelques détails :
1. s’immiscer dans la vie privée de quelqu’un : intervenir dans la vie de quelqu’un sans en avoir vraiment le droit.
2. Tac : c’est juste une onomatopée.
3. Je ne compte pas (faire quelque chose) : je n’ai pas l’intention de… On utilise souvent la question : Qu’est-ce que tu comptes faire ?
4. J’en peux plus : j’en ai assez, je ne supporte plus cette situation.
5. Avoir du caractère : avoir une forte personnalité.
6. C’est bien le genre à (faire quelque chose) : cela correspond bien à sa personnalité, ce n’est pas surprenant de sa part.

Tu et vous, ailleurs sur ce blog et sur France Bienvenue :
Tutoyer ou pas ?
Seule avec deux enfants
En rose et bleu
On se tutoie ou on se vouvoie ?

Et n’oubliez pas de lire les commentaires. Merci à Sabine et à Anne pour leurs éclairages !