Le Japon, les Français et le nucléaire

La vie est toujours bien difficile pour de nombreux Japonais, rescapés du tsunami. La situation à la centrale nucléaire de Fukushima est très préoccupante. En France, les journaux télévisés et les bulletins d’info à la radio en parlent tous les jours. Il paraît que ce n’est pas le cas dans de nombreux autres pays, où on trouve, depuis l’explosion des réacteurs, que les Français et leurs médias sont trop alarmistes.
Alors pourquoi cette approche en France ?

D’abord, quand un accident nucléaire se produit, les conséquences sont toujours désastreuses, à court et à long terme. Greenpeace vient de mesurer des taux de radioactivité bien trop élevés au-delà du périmètre défini par les autorités japonaises. La situation à Fukushima ne s’arrange pas du tout.

Ensuite, les Français sont sensibles au risque nucléaire car la France a fait le choix de cette énergie depuis des années. Résultat: 58 réacteurs, qui produisent 80 % de notre électricité. Autant dire qu’il y a des centrales nucléaires un peu partout sur notre territoire. Alors, ce qui se passe au Japon est loin mais nous touche de près.

Et puis, les Français n’ont pas oublié la catastrophe de Tchernobyl en avril 1986. Ils n’ont pas oublié la façon dont le gouvernement français et les autorités nucléaires ont menti sur les conséquences de l’accident et n’ont pris aucune mesure de protection dans les jours qui suivirent, contrairement aux autres pays européens. Il ne fallait pas remettre en question la place de l’industrie nucléaire. Trop d’intérêts en jeu, trop de certitudes. Bref, nous avons tous passé les journées qui ont suivi dehors car il faisait beau. Nous avons tous continué à consommer les jolis légumes de printemps de nos marchés. Comme si de rien n’était*, ou presque.

Voici donc quelques échos de ces problèmes, d’hier et d’aujourd’hui, avec d’abord ce qu’ont à en dire des enfants.


Transcription:
Ce matin, la maîtresse (1) a apporté des journaux adaptés à leur âge, histoire de (2) parler du drame japonais, histoire aussi d’évacuer le trop-plein d’émotions. Car ils ont 9 ans et ils ont vu à la télévision, le tsunami, la vague, le désarroi.
– Je voyais plein de gens qui essayaient d’éviter la vague en voiture.
– Je voyais des familles en pleurs, et ça me fait de la peine.
– Ça te fait penser à la guerre.
– Et tous les Japonais qui… qui sont disparus, qui… qui ont perdu des frères, des soeurs, des parents. C’est… c’est très choquant.
– Ça leur brise le coeur, ils pleurent. Moi… Moi aussi, parfois, ça me fait pleurer. Mais… C’est triste.
– C’est un peu bizarre que nous… nous… on soit bien à l’aise, mais eux, ils sont en danger, quoi, eux.
– Ils ont la chance d’en parler chez eux et je pense que les parents sont… leur expliquent ce qu’ils voient et qu’ils les laissent pas tout seuls face à l’image.
– Il y a eu deux usines nucléaires qui ont explosé. Si la radioactivité entre dans notre corps, on peut mourir.
– Ils vont essayer de… d’envoyer de l’eau de mer dans les réacteurs. C’est de mieux en mieux car on a réussi à stabiliser la… la chaleur du réacteur.

(Bulletin météo du journal télévisé fin avril 86)
Seule une petite partie du territoire pourrait être concernée:
« L’Italie, la Yougoslavie et le sud-est de la France qui sont beaucoup plus touchés. Les Alpes, Monaco, on a vu que le taux de radioactivité était un peu plus fort. Le reste de la France est pour le moment totalement protégé parce que, je vous le disais, cet anticyclone est en train de mourir. »
La réalité est bien différente.

Mon mari de l’époque était pilote d’avion. Et il revenait avec des informations comme quoi (3) les pays, que ce soit (4) l’Allemagne, que ce soit la Suisse, que ce soit l’Italie, prenaient des mesures, notamment de protection sur la consommation du lait, des aliments, etc… Donc on s’est dit: « Il faut absolument qu’on en ait le coeur net (5) », parce qu’on avait un doute sur cette information officielle. On a fait des prélèvements, notamment d’eau, de sol, de légumes, de lait. Et première chose, on s’adresse à la centrale nucléaire qui est en face de nous, qui est la centrale de Cruas. On nous dit: « On répond pas à la demande des particuliers (6). »
En fin de compte (7), c’est l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon qui, quelques jours plus tard, confirme la forte radioactivité de ces échantillons.
C’était complètement verrouillé (8). C’était des pressions d’abord, par l’intermédiaire des journaux, où le préfet (9) disait: »Mais la CRIIRAD (10), c’est mensonger ce qu’ils disent, ça n’a aucune valeur scientifique, etc… » Et puis il y a les agriculteurs qui nous menaçaient au téléphone en disant « On va brûler votre maison, on va kidnapper vos enfants, etc… » Et moi ici, j’avoue que j’étais pas tranquille (11) pendant quelques mois parce que… Et j’avais même confié mes enfants à mes parents qui sont à Montélimar en me disant « Si jamais (12) il arrive quelque chose, je veux absolument pas que mes enfants, si vous voulez, puissent en porter les conséquences ».

(Extrait des infos de 13h sur France Inter, 29 mars 2011)
La présence de plutonium confirme que les barres de combustible sont bien entrées en fusion et que l’enceinte de confinement des réacteurs 2 et 3 n’est plus étanche. L’Institut Français de Protection Nucléaire remarque qu’à l’intérieur, la pression est égale à la pression atmosphérique. Cela signifie que les fuites sont continues mais elles sont indétectables, noyées dans l’ambiance radioactive générale sur le site. Le plutonium en revanche a été détecté dans des prélèvements de sol effectués sur cinq endroits différents dans la centrale: du plutonium 238, 239 et 240. Ce dernier met plus de 24 000 ans pour perdre la moitié de sa radioactivité. Le plutonium est un élément lourd, peu volatile, il se disperse peu dans l’environnement. A Tchernobyl, il est resté dans ou juste à côté du réacteur accidenté. Mais sa présence à Fukushima prouve que la bataille est loin d’être gagnée pour les hommes de TEPCO qui travaillent dans un enfer radiocatif.

Quelques explications:
1. la maîtresse: l’institutrice.
2. histoire de parler: afin de parler
3. comme quoi: selon lesquelles / qui disaient que…
4. que ce soit l’Allemagne, la Suisse: cette construction signifie que tous ces pays qu’elle cite prenaient des précautions. C’est plus fort que de dire simplement: l’Allemagne, la Suisse…
5. il faut qu’on en ait le coeur net: il faut qu’on sache avec certitude.
6. les particuliers: les gens ordinaires, par opposition par exemple aux entreprises, aux professionnels.
7. en fin de compte: finalement
8. verrouillé: l’information était contrôlée et filtrée. Aucune autre voix que les communiqués de presse du gouvernement français ne pouvait se faire entendre.
9. le préfet: les départements français ont à leur tête un préfet qui représente le gouvernement de Paris.
10. la CRIIRAD: la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité, créée en 1986, juste après l’accident de Tchernobyl, « indépendante des exploitants du nucléaire, de l’Etat et de tous partis politiques ».
11. j’étais pas tranquille: je n’étais pas rassurée, j’étais inquiète.
12. si jamais: au cas où

* comme si de rien n’était: comme s’il ne s’était rien passé de spécial.

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