ça ne sent pas très bon

La France et son luxe… La France et ses grands parfums… Chanel, Dior, Lancôme, Guerlain…
Mais voilà, ça ne sent pas très bon du côté de Jean-Paul Guerlain, interviewé il y a quelques jours sur France 2 par Elise Lucet. Relents certains de racisme dans sa petite remarque incidemment prononcée sur les « nègres ». Un ange passe *. Elise Lucet laisse filer sans relever…
Audrey Pulvar, grande journaliste sur France Inter et sur France 3 n’a pas laissé passer, elle, dans une réponse très claire et cinglante.


Transcription:….Comme elle ne se parfumait pas. Mais elle avait mis du Chamade et du Fête de Molineux. Ça, je m’en souviens. Et un jour, je lui ai dit – je l’appelais encore Madame – « Qu’est-ce qui vous séduirait si on devait vous faire un parfum ? » Et elle m’a dit : « J’aime le jasmin, la rose et le santal. » Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre*. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… Et au bout du trente-troisième essai, j’ai trouvé que ça sentait assez bon pour lui présenter. Et elle l’a tout de suite adopté. J’ai continué à travailler d’ailleurs.

Et voici la réponse d’Audrey Pulvar:


Transcription
Nègre je suis, nègre je resterai.
L’arabe menteur, l’arabe voleur, le chinois travailleur mais sale, le juif cupide, la française sexuellement libre, le latino chaud lapin *, la négresse panthère, la négresse lascive, le nègre danseur, le nègre rieur, le nègre footballeur, le nègre paresseux… Bingo ! En cherchant un peu, on pourrait en trouver d’autres, des idées à fournir à monsieur Jean-Paul Guerlain pour son petit précis de clichés racistes. C’est donc celui du nègre fainéant, bon à rien, qu’il aura choisi de nous servir, dans un silence sidérant (1), sur le plateau du 13 heures  (2) de France 2  vendredi dernier.
« J’ai travaillé comme un nègre, je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… ». C’est la deuxième partie de cette phrase, 13 mots, qui lui valent… quoi au juste ? On a bien cherché, on a bien attendu pendant tout le week-end, dans la bouche de tous ces responsables politiques, un début de condamnation, d’émoi, d’indignation. Seule Christine Lagarde a réagi. Pour les autres, on attend encore. En France, on peut donc prononcer des paroles racistes à une heure de grande écoute, sur un média national (3) sans qu’aucune grande voix, politique, intellectuelle ou artistique ne s’en émeuve. Oh, les associations font leur job, qui menacent de porter plainte. Mais qui parle de racaille ? De scandale ? De honte ? D’obscénité ? Ou de crachat ? Le crachat, que ce très distingué Monsieur Guerlain a jeté  à la figure non pas seulement de tous les Noirs d’aujourd’hui, mais surtout, cher Monsieur Guerlain, sur la dépouille des millions de morts, à fond de cale, à fond d’océan, déportés de leur terre natale vers le nouveau monde. Ces millions de personnes asservies, avilies, déshumanisées, pendant quatre siècles, réduites au rang de bras et de mains destinées aux champs de coton, aux champs de canne, à la morsure du fouet ou celle du molosse (4) , tous ces esclaves, vendus comme une force de… travail ! Tiens, tiens ! Pas des hommes, non, ni des pères, ni des mères à qui l’on arrachait leurs enfants pour en faire d’autres bêtes de somme (5), pas des humains, mais des outils, du matériel, des marchandises.
Cher monsieur Guerlain, vous dont l’un des parfums suffisait, à lui seul, à rassurer l’enfant que j’étais quand sa mère s’absentait, vous dont le nom m’a accompagnée, de mère en fille, de sœur en sœur, aussi loin que remontent mes souvenirs et dont je ne pourrai plus, jamais, porter la moindre fragrance, moi négresse, je vous relis, je vous dédie ces quelques lignes, signées Aimé Césaire : «Vibre… vibre essence même de l’ombre, en aile en gosier, c’est à forces de périr, le mot nègre, sorti tout armé du hurlement d’une fleur vénéneuse, le mot nègre, tout pouacre de parasites… le mot nègre, tout plein de brigands qui rôdent, de mères qui crient, d’enfants qui pleurent, le mot nègre, un grésillement de chairs qui brûlent, âcre et de corne, le mot nègre, comme le soleil qui saigne de la griffe, sur le trottoir des nuages, le mot nègre, comme le dernier rire vêlé de l’innocence, entre les crocs du tigre, et comme le mot soleil est un claquement de balle, et comme le mot nuit, un taffetas qu’on déchire… le mot nègre, dru savez-vous, du tonnerre d’un été que s’arrogent des libertés incrédules ».Aimé Césaire qui, à l’insulte, répondit aussi un jour : « Eh bien le nègre, il t’emmerde* ! ».
© Audrey Pulvar
Extraits du poème « Mots », du recueil Cadastres, d’Aimé Césaire.
Nègre je suis, nègre je resterai,
Aimé Césaire, entretiens avec Françoise Vergès
éditions Albin Michel, 2005

Quelques détails :
1. un silence sidérant : un silence stupéfiant et révoltant.
2. Le 13 heures : le journal télévisé de 13 heures. En France, les deux JT sur les deux chaînes les plus regardées – TF1 et France 2 – sont à  13 h et 20 h.
3. un média national : France 2 est la chaîne publique la plus regardée, après TF1 qui a été privatisée il y a plusieurs années.
4. un molosse : un chien très puissant et dangereux
5. une bête de somme : un animal utilisé pour porter des charges très lourdes.

* un ange passe : cette expression s’emploie quand il y a un silence gêné dans une conversation à cause de ce que vient de dire quelqu’un.
* travailler comme un nègre : travailler très dur, en référence au fait que les esclaves noirs devaient travailler très dur pour les blancs. On n’emploie plus vraiment cette expression parce qu’on évite d’utiliser le mot « nègre ».
* un chaud lapin : un homme très intéressé par les femmes, qui passe son temps à avoir des aventures.
* Le nègre, il t’emmerde : expression de mépris et de défi. (insulte) C’est comme : »Le nègre, il te dit merde. »

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