Le terme autoportrait faisait sans doute un peu ringard ! Ou trop ambitieux, ou trop sérieux.
Le mot anglais s’est donc immédiatement imposé – parfois même, pour certains, sans la moindre idée de son origine. (Quand on vous dit que les Français sont mauvais en anglais !)
Alors voici l’autoportrait réinventé, au bout de nos bras et de nos téléphones portables.
Transcription:
– Si on se faisait un selfie, tous les deux ?
– Qu’est-ce que c’est que ça ? (1)
– Un selfie, c’est un autoportrait.
– Ah ouais, d’accord !
– On s’en fait un (2), tous les deux ?
– Vous le faites pas, vous ?
– Bah si. Si, si. Je l’ai déjà fait plein de fois (3). Ça sert à voir comment on est coiffé ou comment on est maquillé.
– C’est de l’ego !
– Un besoin… Comment dire… de s’exprimer aux yeux des gens. Les réseaux sociaux, tout ça. On vit pas sans, en fait, c’est ça. C’est une habitude qui en devient une obsession.
– On se regarde tous le nombril (4) et…
– Ouais, c’est ça.
– On se rassure aussi, en fait. On se rassure bêtement. Dans le sens, bah on a passé un sale (5) weekend , on met une photo, on est content, il y a des like et… et on se dit : Ah mais en fait, non ! Les gens adorent ce que j’ai fait alors que c’était de la merde (6) ! C’est ça, on a des amis, ils font plein de voyages, ils voyagent tout le temps. Toi, tu dis: non, moi, j’ai rien fait depuis un mois. Eh bah voilà, allez, moi aussi, je vais dire que j’ai une vie ! Et voilà ! Peut-être qu’il y a ça aussi. On entretient aussi une image, quoi.
– L’image qu’on produit est devenue très importante. Enfin, beaucoup de gens sont un peu focalisés (7) là-dessus quand même.
– Ouais. Mais même ceux qui font des tests, hein, à partir (8) en weekend sans portable, ils galèrent (9), hein !
– C’est très nombriliste (10), donc… Et souvent, on passe finalement beaucoup de temps sur Facebook pour voir des photos pas si (11) intéressantes que ça. Mais il y a des gens qui disent que du coup, comme on regarde les photos des autres, bah on prend plus de nouvelles de ces personnes. On regarde juste les photos, on se dit : OK, la personne va bien, donc c’est pas la peine (12) que je lui envoie un message. Et… Puis on va exposer des parties de notre vie alors que pourtant, ça devrait être que nos vrais amis qui devraient voir ces photos-là. Donc je trouve plutôt que ça nous met dans quelque chose de superficiel. Surtout on sait plus… enfin quelles sont les vraies personnes avec qui on a envie de partager des choses. Ouais.
– On se rassure.
– On fait tous des selfies. Obama aussi l’a fait, voilà. Obama aussi l’a fait. Un président de la République qui fait même ça aussi, oui, c’est vrai, c’est…
– Pendant les obsèques.
– Ouais, c’est moyen (13). C’est moyen. Mais c’est moyen et c’est peut-être aussi adapté à la… à l’actualité. Tout ça, c’est nouveau, ce qu’on fait aujourd’hui, en fait. Chacun crée sa petite image, c’est vrai que c’est nouveau. Je pense pas que De Gaulle (14) jouait sur son image comme ça auprès des gens.
– Voilà.
– Bon, on va se le faire, ce petit selfie ? Je vais en faire un avec vous, ça vous embête pas (15) ?
– Oh bah non ! Allez !
– Allez.
– Oh p[…] (16) C’est pas la plus jolie photo du monde, je pense.
– Ça passera très bien…
– Mais ça ira !
– Ça ira très bien.
Quelques explications :
1. Qu’est-ce que c’est que ça ? : Normalement, on dit juste: Qu’est-ce que c’est ? Le fait de rajouter « que ça » rend la question plus orale et exprime davantage la surprise.
2. On s’en fait un: on ne peut pas juste dire : On se fait un. A cause de « un », on est obligé d’utiliser « en », qui est un petit mot souvent compliqué pour ceux qui apprennent le français !
3. Plein de fois : cette expression est plutôt familière. La forme plus soutenue serait : de nombreuses fois.
4. Se regarder le nombril : cette expression familière signifie qu’on se considère comme le centre du monde, symbolisé par ce qui serait en quelque sorte le centre de notre corps, c’est-à-dire notre nombril.
5. Sale : ici, cet adjectif a son sens de « mauvais ». Par exemple, on dit : Il fait un sale temps sur la France en ce moment. / C’est un sale type.
6. C’est de la merde = c’est nul, ça ne vaut rien. (très familier)
7. être focalisé sur quelque chose : être concentré sur quelque chose, y attacher une grande importance et ne plus voir le reste.
8. à partir = comme partir… ( « à » introduit un exemple des tests dont parle cette jeune fille.)
9. galérer : avoir beaucoup de difficultés, beaucoup de mal à faire quelque chose, se retrouver dans une situation compliquée.
10. Nombriliste : centré exclusivement sur soi-même
11. pas si intéressantes : elle fait une liaison impossible, en ajoutant un « s » entre si et intéressantes. Ce genre d’erreur à l’oral se produit lorsque qu’un mot terminé par une voyelle est suivi par un autre qui commence par une voyelle.
12. ce n’est pas la peine que (+ verbe au subjonctif) : ce n’est pas nécessaire / utile que…
13. c’est moyen : ici, cela signifie que ce n’est pas bien. Il s’agit d’un commentaire négatif, qui exprime la désapprobation.
14. De Gaulle : il a été président de la France après la seconde guerre mondiale. Pour cette jeune femme, il incarne probablement la tradition, l’absence de modernité.
15. Ça ne vous embête pas ? = ça ne vous dérange pas ? (familier)
16. Oh p[…] : on entend juste le début du mot, soit parce que ça a été coupé, soit parce qu’elle se retient au dernier moment. Il peut s’agir de l’exclamation « Putain ! » ou de sa version plus édulcorée, moins vulgaire : « Punaise ! »
Bonjour Anne!
Dites-moi svp, « C’est de l’ego »=C’est moi? Sinon,quelle est la différence?
Les expressions familières sont très difficile à comprendre. Trop d’interjections, peu d’informations. Sans vos explications – c’est du gàchis.
Merci.
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Bonsoir Svetlana, l’ego est normalement un terme de psychologie qui désigne le moi, notre personne. Ici, en fait, cela signifie que se photographier est très egocentrique: on n’est pas tourné vers les autres comme quand on photographie ce qui nous est extérieur. On est tourné vers soi-même. C’est ne regarder que soi. C’est la même idée que quand elle parle plus tard de se regarder le nombril.
Oui, c’est difficile à comprendre ! C’est pour ça aussi que j’ai choisi ça. Mais plus on écoute, avec la transcription sous les yeux quand c’est trop dur, puis à nouveau sans rien, plus on s’habitue et on apprend à reconnaître tous ces mots et ces façons de parler très naturelles. ça prend un peu de temps mais ça marche ! Il faut écouter le plus souvent possible, régulièrement, un peu à chaque fois et on progresse tranquillement, même si on ne vit pas dans le pays. A bientôt.
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C’est clair.
Merci Anne.
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Bonjour Anne,
J’ai remarqué que sur le site France Inter, on voit « À bout de bras », alors que dans ce passage en haut, c’est « AU bout de nos bras », avec un article qui procède le mot « bout ».
J’ai beau avoir l’impression qu’ici, la différence peut-être n’a aucune d’importance, je dois avouer que quand je m’exprime, 6 fois sur 10 où j’ai une espèce de moment de flottement, mal assuré de la grammaire, c’est à cause des articles ! Alors, c’est des, de, du, ou le, la, les…
Franchement ça me ronge ! Et ce qui le rend de plus en plus compliqué, c’est lorsqu’entre le préposition « de »!
Dans « Le voile noir » par Anny Duperey par exemple, j’ai noté les passages suivants:
« Il contenait les négatifs des photos de mon père, rangés dans DE petites boîtes…. »
mais,
« Mon fils faisait rouler DES petites voitures sur la commode. »
Je cherche encore la nuance ici…
J’ai déjà fait appel à plusieurs manuels de grammaire. Ce qui est triste, c’est que ils se ressemblent tous les uns les autres, ils parlent un peu de la base, c’est tout, et ils n’enlèvent aucune ambiguïté pour moi. À quoi ça sert de publier un nouveau manuel quand on en a déjà trop là?
Aujourd’hui, je souligne presque tous les « de, des, de, les, la, le » que j’ai croisés pour que j’y revienne de temps en temps re-vérifier, j’espère qu’après un peu de temps, mon cerveau s’y adapte naturellement et voilà!
Bonne journée!
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Bonjour Jianjing,
– à bout de bras est une expression figée. En disant volontairement « Au bout de nos bras », j’ai joué sur cette expression et voulu donner l’impression plus concrète que les téléphones sont comme greffés au bout des bras des gens.
– Oui, les articles sont compliqués. Mais pour nous, c’est tellement intuitif que je t’avoue que je ne sais pas toujours expliquer comment ça marche ! Nous n’avons pas appris de règles de grammaire là-dessus, alors que nous apprenons beaucoup d’autres règles de grammaire dans notre enfance. Mais les articles font tellement partie de tout ce que nous disons que cela vient très tôt dans notre langage en écoutant simplement nos parents et notre entourage.
– Pour te rassurer, il y a beaucoup d’exemples où ce n’est pas si rigide que ça avec « de ». Par exemple, « rangés dans DE petites boîtes » marcherait aussi avec « rangés dans DES petites boîtes« . La seule différence à mon avis, c’est que le premier exemple est considéré comme parfait par les puristes, donc cela donne un style plus littéraire. Mais dans la vie courante, et à l’oral notamment, tu entendras sans problème: rangés dans des petites boîtes. En fait, on met « de » quand il y a un adjectif juste après: dans DES boîtes / dans DE PETITES boîtes / dans DES boîtes JAUNES / dans DE GRANDES boîtes. Et comme on dit: dans DES boîtes, dans DES petites boîtes ne nous paraît pas si bizarre que ça aujourd’hui.
Donc je pense que tu as la bonne démarche en observant et en retenant ce que nous disons car à mon avis, les nuances sont souvent très subtiles. Des linguistes les expliquent mais nous sommes beaucoup à ne pas / ne plus y faire attention (et ce ne sont pas / plus tout à fait des fautes), ce qui anéantit ces explications !
Si tu veux, tu peux me donner les exemples sur lesquels tu t’arrêtes, et je te dirai s’il me semble qu’il y a une différence de sens ou de style, si c’est acceptable ou pas.
A bientôt
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Merci Anne, oui, j’ai vais mettre un peu de temps pour collecter des exemples sur lesquels je me trouve peu sûr, je vais vous l’envoyer dans quelques semaines
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