J’aime qu’on me raconte comment naît un livre, un film, une chorégraphie, un tableau, une photo dans la tête de son créateur. C’est ce qu’ Angelin Preljocaj faisait hier à la radio.
Il est chorégraphe et travaille avec les corps, la musique, l’espace et ce qu’il disait de son chemin fait partie de ces petits moments sur lesquels on tombe comme par inadvertance, au détour des heures et au hasard des jours, et qu’on garde ensuite avec soi.
Transcription :
– Qu’est-ce qui arrive d’abord quand vous créez ? Vous avez des images, des gestes, des… ? C’est l’espace, la notion de l’espace ? Qu’est-ce qui vient d’abord ?
– Bah, des intuitions, des images, des choses très… presque comme dans un… dans un rêve, des choses… des fulgurances (1) qui passent et on se dit, voilà, ces fulgurances ont l’air d’indiquer un chemin qui peut… qui pourrait se faire. Après, évidemment, le chemin, il faut le faire. C’est pas… C’est justement là où… où après, c’est… c’est la création elle-même qui devient plus intéressante que l’idée.
– Il y a des fausses pistes (2)?
– Oui. La vraie fausse piste, c’est de rester à l’idée, c’est-à-dire que vous avez une idée, vous réalisez l’idée, c’est-à-dire mot à mot (3). Comme dit Picasso, si je sais quel tableau je vais peindre, alors pourquoi le peindre ? Donc ça veut dire qu’il y a pas d’aventure artistique.
– Ouais. Ça veut dire, c’est… Vous cherchez.
– Bah c’est-à-dire que j’ai une idée, et plutôt que de l’appliquer bêtement (4), de faire exactement l’idée que j’ai, je me mets en route (5)et c’est… c’est l’experience de faire ce travail qui m’amène ailleurs. Et quand je regarde mon idée a posteriori (6), je la trouve parfois même simpliste ou banale, alors que là où je suis arrivé, j’aurais jamais imaginé que je puisse arriver là.
– Et donc vous découvrez des choses que vous ignoriez en démarrant, forcément, sinon…
– Exactement. Voilà.
– Et ça… ça peut être surprenant, ce que vous découvrez ?
– Oui, oui, heureusement, oui. Oui, oui il faut que ce soit surprenant. Ouais.
Quelques détails :
1. une fulgurance : un éclair, quelque chose qui tout d’un coup vous paraît évident mais de façon fugitive.
2. une fausse piste : un chemin qui n’est pas le bon. C’est ne pas partir dans la bonne direction (au sens figuré), se tromper.
3. Mot à mot : normalement, on emploie cette expression à propos d’une traduction, quand on reste trop près de la langue à traduire et qu’on ne réussit pas à trouver son équivalent dans l’autre langue. La traduction est donc lourde, laborieuse et fausse.
4. Bêtement : stupidement, sans intelligence.
5. Se mettre en route : démarrer (un voyage)
6. a posteriori : après coup, plus tard, une fois que tout est terminé