Le hip-hop, la boxe, Schubert, Ravel et les autres

Boxe boxe, ou comment mélanger hip-hop, combats de boxe et une musique essentiellement classique, comment mettre sur une même scène – et mettre en scène – des danseurs et un quatuor à cordes. C’est un magnifique spectacle, plein d’émotion, d’humour, où la beauté visuelle du décor et des corps, où les punching balls, les gants de boxe et les cordes du ring créent une atmosphère de rêve, au graphisme de film muet transposé dans l’énergie du hip-hop. Tout cela est né de l’imagination de Mourad Merzouki et du travail de sa compagnie de danse.
J’ai passé une très belle soirée hier, au milieu d’un public varié et conquis. Si vous avez l’occasion de croiser leur chemin, au hasard de leurs tournées, n’hésitez pas un instant !

J’aime beaucoup écouter ce que les chorégraphes ont à dire de leur travail. J’aime beaucoup les regarder travailler.
Voici ce que Mourad Merzouki veut partager avec nous.

Et à la fin de ce billet, une seconde vidéo qui présente davantage d’extraits de ce spectacle en particulier, juste pour le plaisir des yeux et des oreilles.
Comme ce serait bien si tous les spectacles de danse étaient filmés pour qu’on puisse ensuite les revoir comme on revoit un film !


Transcription:
Je suis Mourad Merzouki. Je suis chorégraphe et danseur depuis 1987-88. Et j’ai créé la compagnie Käfig (1) en 1996.
Avant d’être danseur, j’étais dans une école de cirque. En fait, j’étais acrobate à l’âge de sept ans et petits, en fait, on faisait des numéros (2) devant… devant le public. Donc j’étais d’abord passionné par le spectacle. Et la danse, je l’ai… j’ai commencé à… à la pratiquer par l’émission Hip-Hop qui passait les dimanches à l’époque de Sidney (3), c’est-à-dire qu’en fait, cétait pécher (4) de pas danser à cette époque-là. Tout le monde dansait, tout le monde le… Enfin, c’était quelque chose qui… qui faisait partie de… de notre vie. Et donc j’ai… j’ai commencé à mélanger l’acrobatie, la danse. Je m’exprimais, j’allais à la rencontre des autres et ça m’aidait, moi qui suis né à Lyon mais avec des origines d’Afrique du Nord. Donc c’était important pour moi de trouver ma place dans la société française. Et la danse m’a… m’a aidé à ça.
Au début, le hip-hop, quand il était dans la rue, il y avait une espèce de spontanéité, il y avait une espèce de… d’énergie qui était… qui était là, qui… qui est liée à la rue, que… à l’espace dans lequel on pratiquait la danse, sauf que si on était restés dans la rue, je pense qu’on serait pas là aujourd’hui à parler de la danse hip-hop, c’est-à-dire qu’à un moment donné, il fallait aller un peu plus loin avec cette… cette énergie, avec cette gestuelle: qu’est-ce qu’on en fait ? Donc j’ai commencé à… à travailler dans des studios de danse, à rentrer dans des théâtres, mais ce parcours-là était intéressant pour le hip-hop parce que du coup, ça nous a permis de bousculer cette danse et de construire cette danse avec de la lumière, des costumes, de la musique, etc…, etc…
Je crois que le hip-hop, il a sa force là-dedans, entre ces allers-retours entre l’art urbain, la rue, le spontané. Tout ce qui est lié à la société, au quotidien, ça, il faut qu’il y ait… il faut que ça continue. Et puis après, il y a ce qu’il y a sur scène et ce qu’on défend en tant qu’artiste. Et l’erreur que je ferais, c’est que je m’enferme dans ma bulle (5) en disant: »Je me contente de (6) ma gestuelle, de ma musique et point (7). »
Quand j’ai rencontré par exemple le Quatuor de… Debussy (8), moi j’ai été très franchement touché, interpellé (9), tu vois. Pour la première fois de ma vie, je vois quatre mecs (10) à un mètre devant moi avec des instruments que j’avais jamais vus de ma vie en vrai comme ça. Bien sûr, je… j’adhère pas à tout mais je… je suis interpellé et je me dis: « Qu’est-ce que moi, je peux renvoyer comme…. comme échange avec ces gens-là qui sont pas de ma génération, qui sont.. qui ont pas mon histoire? » Eh ben j’invente un dialogue avec eux et ce dialogue que j’ai inventé avec eux va donner quelque chose. Alors après, on aime ou on n’aime pas. Mais j’aurai au moins eu le mérite de… d’avoir essayé ça. Et c’est tout en… à… à l’honneur de… du hip-hop d’avoir cet état d’esprit.
Le hip-hop au départ, c’était quand même vu comme quelque chose de… de… d’éphémère, c’était une mode. Et finalement, quand on parle de la danse hip-hop aujourd’hui, on parle… on parle de la danse… de la Danse avec un grand D (11). Il y a des danseurs hip-hop aujourd’hui qui… qui sont grands-pères, qui dansent encore, et… et voilà. Quand on voit ces mecs-là encore présents à leur âge, celui qui dira que la danse hip-hop est éphémère, le mot éphémère, on aura… ça résonne pas pareil.
C’est aujourd’hui le premier lieu (12) qui est com[…]… complètement consacré au hip-hop, le premier, je pense, au monde. C’est un lieu aussi de… de transmission où on… Il y a des cours qui sont donnés régulièrement ici, des master classes, où on invite des chorégraphes ou des danseurs de renom (13), qui viennent partager leur danse, et puis on fait tout un tas de…. de travail sur le territoire avec les habitants, avec le public amateur. C’est une façon de… d’ouvrir l’art, la danse à… à un public qui va pas forcément voir de la danse.
Lyon est capitale de la danse: tous ces théâtres qui sont voués à la danse à Lyon, bah c’est un bel exemple. C’est ce qui fait qu’à un moment donné, la danse a cette force et rayonne de cette manière-là. Tout ça crée un réseau, crée une dynamique, je pense que ça s’explique que pour ça, pour le rap, je serais incapable de dire pourquoi. C’est vrai que si tu me dis « Cite-moi un rappeur lyonnais », enfin moi, j’étais resté à l’époque sur les IPM qui venaient de Saint-Priest, je crois, ou… Je sais pas si ils existent toujours. Après, pour… Tu vois, là, j’ai… j’ai… d’un coup, je fais un flop (14) dans ma réponse mais je… Ouais, je reconnais que pour le rap, c’est peut-être lié à l’histoire de cette ville, mais en tout cas, pour la danse, si j’avais grandi à Marseille ou à Lille, peut-être aussi que j’en serais pas là aujourd’hui.
Je faisais partie de… de ces jeunes du parvis (15) de l’Opéra. Donc je peux complètement imaginer ce qui se passe dans leur tête au moment où ils se balancent (16) sur le marbre de l’Opéra et ce que j’ai envie de leur dire, c’est que toute cette énergie qu’ils mettent dans la danse, il faut qu’ils continuent à la… à la mettre à la fois dans la danse mais qu’ils la… qu’ils la portent aussi dans leur… leur vie de tous les jours. Donc moi, je leur souhaite vraiment de continuer à danser, de rêver aussi, d’avoir l’espoir un jour de passer du parvis de l’Opéra au plateau à l’intérieur de l’Opéra comme… comme l’ont fait les.. les Pokémon (17).

Quelques détails:
1. Käfig: ce nom signifie « la cage » en arabe.
2. un numéro: dans le domaine du cirque, c’est une petite partie d’un spectacle. (Un numéro de clowns, un numéro de dressage, etc…)
3. Hip-Hop: c’était le nom d’une émission très populaire dans les années 80 à la télévision, animée par Sidney (sur une des grandes chaînes françaises, très regardée) et qui a contribué largement à faire connaître ce type de danse. En fait, on prononçait le nom en épelant chaque lettre: H.I.P  H.O.P.
4. pécher: commettre un péché.
5. s’enfermer dans sa bulle: rester dans son monde, sans s’ouvrir aux influences extérieures.
6. se contenter de quelque chose: se satisfaire de quelque chose, sans aller plus loin, sans chercher autre chose.
7. et point = et c’est tout. (C’est comme mettre un point à la fin d’une phrase, qui donc s’arrête.)
8. le quatuor Debussy: c’est un quatuor à cordes classique.
9. j’ai été interpellé: cela a suscité ma curiosité, je ne suis pas resté indifférent, je me suis posé des questions, etc…
10. un mec: un homme (familier)
11. la danse avec un grand D: c’est-à-dire le mot danse écrit avec une lettre majuscule au début, un D majuscule, pour montrer qu’il ne s’agit pas de quelque chose de mineur, qu’il s’agit d’un vrai art, que c’est vraiment de la danse.
12. Ce lieu = l’espace Pole Pik, qui est un atelier chorégraphique dans la banlieue de Lyon.
13. de renom: qui sont renommés, connus.
14. faire un flop: c’est un anglicisme pour dire que quelque chose a échoué, a raté.
15. un parvis: c’est une grande esplanade devant un bâtiment public, comme une gare, un théâtre, etc… ou devant une église.
16. se balancer: se jeter. (ici, cela signifie commencer à danser)
17. les Pokémon: nom d’un groupe de hip-hop.

Voici des extraits de Boxe Boxe. Laissez-vous surprendre, que vous aimiez la musique de Schubert et de Philip Glass, ou le hip hop, ou la danse en général, ou la boxe !

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