Willy Ronis a photographié toute sa vie, une longue vie (99 ans) passée à regarder Paris, les bords de la Marne, le sud et ailleurs. A regarder les gens vivre.
Dans ce très beau petit livre, des années plus tard, il nous emmène avec lui, photo par photo, dans ces lieux mais aussi dans ses pensées et ses émotions, dans ce que ses yeux et son cœur ont vu. Chacune de ces photos a une histoire, chacune est une histoire. Et chaque histoire commence ainsi: Ce jour-là…
Ce jour-là, je m’apprêtais à prendre le métro aux Tuileries pour rentrer chez moi. C’était une fin de matinée place Vendôme. Tout à coup, je ne sais pas pourquoi, je baisse la tête et je remarque une flaque d’eau. Je me penche encore et en la regardant bien attentivement, je vois qu’un trésor se cache dans cette flaque, la colonne Vendôme s’y reflète, et j’ai bien sûr tout de suite envie de faire une photo, c’est un petit miracle, ce reflet. Et aussitôt, une jeune femme enjambe cette flaque. Zut, je n’étais pas prêt, je l’ai ratée, j’aurais tellement voulu prendre ce geste, cet ensemble, avec la flaque, la jambe et le reflet de la colonne. Mais quand j’ai levé la tête, je me suis aperçu que plusieurs femmes passaient par là et prenaient toutes la même direction…
C’était en apparence une scène de tous les jours, très simple: un papa, avec sa fille devant des vélos. Maintenant, si on regarde bien, on voit que le papa est pauvrement vêtu, il a dû décider d’emmener avec lui sa fille, pour lui acheter un petit cadeau. Mais on sent bien que ce sera difficile pour lui de trouver quelque chose qui soit vraiment un beau cadeau, et la petite fille, avec cet air qu’elle a et la façon dont elle regarde le vélo, eh bien on dirait qu’elle le désire de toutes ses forces et qu’en même temps elle y renonce, elle sait qu’elle ne pourra jamais l’avoir.[…] J’ai été ému par cette petite scène, qui rompt avec toutes les autres photographies, plutôt joyeuses, que j’ai faites à Noël, devant les vitrines.
Au fond, durant toute ma vie de photographe, ce sont des moments tout à fait aléatoires que j’aime retenir. Ces moments savent me raconter bien mieux que je ne saurais le faire.
Devant toutes ces photos, je sais que je reste dans le quotidien, dans ma réalité quotidienne. Mais c’est ce que je suis. Je ne suis pas un romancier, je ne sais pas inventer, c’est ce qui est là sous mes yeux qui m’intéresse. Le plus difficile est d’arriver à le saisir.
C’est ce que je nomme la joie de l’imprévu. Des situations minuscules, comme des têtes d’épingles. Juste avant, il n’y a rien. Et juste après, il n’y a plus rien. Alors, il faut toujours être prêt.
En général, je ne change rien. Je regarde et j’attends.
A la question: « Qu’est-ce qu’une bonne image? », je me contente de répondre, faute de mieux, que c’est celle qui a su communiquer l’émotion qui l’a fait naître.