Amies, amis

Il n’y a pas très longtemps, un de mes étudiants se plaignait d’un enregistrement (en anglais) que je venais de leur faire écouter, en disant que la personne qui parlait s’exprimait mal. En fait, ce qui le gênait, c’était les répétitions, les hésitations, les « changements de direction » en cours de phrase, bref, tout ce qui caractérise l’oral. Il a eu du mal à reconnaître que nous faisons exactement la même chose en français, et même, à mon avis, de façon plus marquée qu’en anglais. Mais cela ne nous gêne pas car nous y sommes habitués.
Voici le petit enregistrement français avec lequel j’ai essayé de lui prouver ce que j’affirmais. Véronique Ovaldé, qui est écrivain, parle vite, virevolte d’un mot à l’autre mais qui lui reprocherait de mal s’exprimer ?

AmitieJe partage ce petit enregistrement avec vous pour d’autres raisons: d’abord, il y est question de la place des amitiés dans une vie, comment ce lien se construit puis se cultive. Cela me parle beaucoup plus que les « amis » qui se multiplient sur Facebook. (Oui, je connais ma meilleure amie depuis l’âge de trois ans. Une si longue histoire ! )
L’autre raison, c’est que cela fait un moment qu’on me dit qu’il faut lire les romans de Véronique Ovaldé ! L’écouter parler m’a rappelé que j’avais encore cette découverte à faire. Vous aussi peut-être !

Ou ici: Amitié selon Véronique Ovaldé

Transcription :
Il y a une très belle histoire d’amitié, entre deux femmes.
Ah oui, c’était très important pour moi, cette histoire de camaraderie. En fait, c’est quelque chose qui est important pour moi (1) dans… dans ma vie, c’est quelque chose que je… je… que j’aime beaucoup, c’est entretenir les camaraderies. Et la camaraderie, c’est quelque chose qui est entre les femmes, entre les hommes, ou entre les hommes et les femmes, c’est quelque chose qu’on peut vraiment bien cultiver. Et je… je… Dans les livres que je lisais, il y avait assez peu de femmes camarades, bonnes camarades. Et souvent, on vous explique (2) que les femmes sont… sont beaucoup plus en compétition, que ça va être… Vous les voyez, elles sont souvent pestes entre elles, quand vous lisez des livres sur des femmes entre elles. Et j’avais très envie de mettre en place deux personnages, deux amies, deux… deux grands camarades qui… qui sont à la fois (3) pleines de bienveillance l’une pour l’autre, pleines d’indulgence. C’est très important, l’indulgence dans la… dans l’amitié.
C’est presque comme deux sœurs, sauf que quelquefois, les deux… deux sœurs, ça peut être en terrain… La famille est un terrain hostile souvent.
La famille est un terrain hostile et en plus de ça, les sœurs, souvent, il y a quand même des… des jalousies, des compétitions…
Bien sûr.
C’est-à-dire des rivalités qui sont assez… assez fortes, alors qu’entre deux personnes qui se choisissent, évidemment, c’est totalement différent. Donc je trouvais ça important de les mettre… Important, et en plus, et très, très agréable pour moi et j’aime bien, en fait, ces deux… ces deux jeunes femmes ensemble, ces… qui sont colocataires (4) par hasard et qui finalement, vont s’entendre (5) pendant des années.

Quelques détails :
1. c’est quelque chose qui est important pour moi : on dit souvent aussi : C’est quelque chose d’important pour moi. Dans ce cas, il ne faut pas oublier la préposition de. Par exemple : Quelque chose de nécessaire / quelque chose de satisfaisant.
2. On vous explique… : ici, il s’agit du sens premier de On. C’est un pronom indéfini qui ne renvoie pas à quelqu’un en particulier.
3. À la fois : après cette expression, on attend deux éléments, deux idées (à la fois… et… ) . Ici, la première idée est exprimée : pleines de bienveillance et d’indulgence. Mais il n’y a pas le deuxième élément auquel elle avait pensé, sans doute parce que la journaliste intervient et la conversation part dans une direction un peu différente.
4. Des colocataires : des personnes qui vivent dans le même appartement sans former un couple ou une famille, mais avant tout pour partager le loyer et les dépenses liées au logement. On dit dans ce cas qu’on vit en colocation.
5. S’entendre (avec quelqu’un) : avoir de bonnes relations et partager beaucoup de choses avec quelqu’un. En général, on dit : Je m’entends bien avec lui / avec elle. (On ajoute bien) Et si le sujet est pluriel, on peut dire : Ils s’entendent / Ils s’entendent bien. On dit qu’il y a une bonne entente entre ces personnes.

Luis SepulvedaRécemment, j’ai lu un beau petit livre de Luis Sepulveda, joliment traduit de l’espagnol et joliment illustré par une dessinatrice française. Histoire d’un chat vieillissant, aux côtés de son « humain » attentionné et d’une petite souris délicieuse qui lui prête son regard.

Quelques jolies vérités mises en mots par Luis Sepulveda, égrenées tout au long de son récit :
Les amis veillent toujours sur la liberté de l’autre.
Les amis comprennent les limites de l’autre et lui viennent en aide.
Les amis pour de vrai* partagent aussi le silence.
Les amis pour de vrai veillent toujours sur l’autre.
Luis Sepulveda
Les amis pour de vrai partagent les rêves et les espoirs.
Les amis pour de vrai partagent aussi les petites choses qui égayent la vie.
Les amis pour de vrai s’entraident pour venir à bout de toutes les difficultés.
Les amis pour de vrai partagent ce qu’ils ont de meilleur.

Pour écouter ces jolies pensées:
Ou ici: Les amis pour de vrai

* Pour de vrai : c’est une expression enfantine. Elle donne à ces phrases tout le poids et la force des paroles des enfants : un ami pour de vrai, ce n’est vraiment pas n’importe quel ami !
* Venir à bout de quelque chose : réussir à finir quelque chose / triompher de quelque chose.
Ce livre était très long mais j’en suis venu(e) à bout !
Il est venu à bout de tout le travail qu’il avait à faire.

Dernière minute: Je découvre à l’instant que Lola, elle, a lu Véronique Ovaldé et vient juste de publier de quoi nous mettre l’eau à la bouche ! Dès demain, je me trouve un roman de cet écrivain !

24 réflexions sur “Amies, amis

  1. Svetlana dit :

    Bonjour Anne,
    enfin j’ai lu à bout de cet article très intéressant. Moi j’ai découvert à l’instant beaucoup de choses mal évidantes. Car le français n’est pas ma langue maternelle j’ai du mal à m’exprimer mais j’ai tout compris que vous aviez dit. C’était très compliqué. C’est ma victoire. Je l’ai remportée. Comme vous voyez je fais un petit plagiat en utilisant beaucoup de mots que je venais de lire dans votre article et ça me plaît. Savoir comprendre et parler français c’est un grand plaisir. Merci.

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  2. Anne dit :

    Bonjour Svetlana, je vois que vous travaillez beaucoup ! Bravo ! C’est passionnant et très agréable de progresser dans une langue étrangère. C’est un peu magique et on est comme plongé dans un autre monde, je trouve. Alors, continuez bien et à très bientôt. Merci pour vos commentaires, c’est sympa.

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  3. Svetlana dit :

    Bonjour Anne, je voudrais que quelque un me corrige quand je fais des erreurs. J’apprécie le fait d’être corrigée et je ne serais pas vexée. En plus je pourrais naviguer plus vite dans mon apprentissage du français et en être plus sûr. Pourriez-vous m’aider? Merci.

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  4. Anne dit :

    D’accord, je peux corriger (ou améliorer) ce que vous écrivez dans les commentaires. Mais il y a peu de choses !
    – je pourrais naviguer… : ça marche, c’est joli en fait. Mais disons que le plus ordinaire, ce serait de dire: Je pourrais avancer plus vite…
    – plus sûre: avec un « e » de féminin car vous êtes une femme.
    – Je ne serais pas vexée: on peut l’écrire au conditionnel comme vous l’avez fait. On peut aussi le mettre au futur et dans ce cas, ça s’écrit: Je ne serai pas vexée. Les deux marchent: Svetlana ne sera pas vexée car elle apprécie qu’on corrige ses erreurs.
    – et juste une faute de frappe je pense: quelqu’un

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  5. Anne dit :

    Allez, je corrige aussi pour Nita !
    On dit plutôt: Je suis très contente que vous vouliez bien nous corriger.
    Le mot « heureux » est fort en français, donc je pense qu’on l’emploie moins souvent que le mot happy en anglais.
    Et il faut utiliser un subjonctif (vouliez). D’autres exemples: Je suis contente que vous puissiez… que vous fassiez… que ce soit possible… que vous compreniez…
    (Notre subjonctif est partout, pour dire des choses très ordinaires !)

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  6. Svetlana dit :

    Bonjour Anne, merci beaucoup de vos efforfs. Je suis d’accord avec mes erreurs et je suis très contente que vous les ayez corrigées. ça m’aide vraiment à continuer d’avancer. J’en suis sûre.

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  7. Svetlana dit :

    J’ai peur que je dise trop (j’aime bien votre subjonctif) et en plus de ça que je m’exprime mal, par exemple, je voulais dire il n’y a pas très longtemps « je suis venue à bout de cet article » au lieu de « j’ai lu à bout de … » Et encore, je suis en train de savoir taper le « ç » majuscule.

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  8. Anne dit :

    Bonjour Svetlana, j’ai dit que je corrigeais. Alors voilà, avec un peu de retard ! Les semaines sont bien remplies.
    En fait, on ne dit pas : J’ai peur que je dise trop, car le sujet du début est le même que le deuxième (je). Dans ce cas, pas de problème de subjonctif car on met l’infinitif:
    J’ai peur de dire trop de choses.
    J’ai peur de mal m’exprimer.
    Elle a peur de mal s’exprimer.

    Mais effectivement, si les deux sujets sont différents, oui, on met le subjonctif:
    J’ai peur qu’Anne en ait assez de me corriger.
    J’ai peur qu’elle soit agacée par mes fautes
    .

    A bientôt. J’attends la suite de tes commentaires et de tes progrès. On pourrait se tutoyer, si on doit « travailler » ensemble ! Sauf si tu préfères le « vous ». Pas de problème de mon côté.

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  9. Svetlana dit :

    Bonjour Anne, merci pour tes billets. C’est très utile pour moi, tu ne peux pas savoir! Je suis contente d’avancer avec ton aide, ça me tient à coeur. Tu vois, je lis tes articles, j’ouvre des nouveaux mots et des expressions. C’est ce que je veux et apprécie. Un jour je pourrai décrire mes impressions de mon chemin dans votre labirinte du langage. (J’espère que ce ne soit pas recherché). A bientôt.

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  10. Anne dit :

    Super !
    Juste trois détails:
    – on dit mes impressions sur mon chemin (ou à propos de mon chemin)
    – labyrinthe, avec un Y et un H ! Etrange orthographe !
    – Après J’espère que: on met l’indicatif: J’espère que ce n’est pas trop recherché. (C’est différent avec le verbe souhaiter, qui est bien suivi du subjonctif, mais qui est moins utilisé.)=> souvent suivi du futur de l’indicatif aussi: J’espère que ce sera bien. / Elle espère que tu pourras l’aider.
    (Et bien sûr, s’il n’y a qu’une personne concernée, on met l’infinitif: j’espère pouvoir dire tout ce que je veux. / J’espère ne pas faire de fautes.)

    Sinon, le reste est très beau !

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  11. Jianjing dit :

    Je trouve la voix de Véronique très charmante et très claire. Je me suis complètement pas rendu compte des changements de direction. J’aime bien cette langue, et quand on aime, on voit tout en rose!

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  12. Jianjing dit :

    Bonjour Anne,

    Quand je lis « Les amis pour de vrai s’entraident pour venir à bout de toutes les difficultés. », je trouve que j’ai un peu de mal avec les adjectifs, ici, c’est ce « pour ».

    Ce que je fais maintenant, c’est de masquer tous les adjectifs dont je suis pas très sûr dans un Excel pour les réviser plus tard.

    Mais le problème, c’est que je ne sais même pas si les français prêtent beaucoup d’attention à ça? si c’est correcte? ou tout simplement, s’il y a une règle là-dessus?

    J’arrive à retenir les plus communs, par exemple, « permettre DE faire quelque chose ». Mais pour les moins fréquentés, pas facile….

    Par exemple ici, si je dirais « Les amis pour de vrai s’entraident A surmonter toutes les difficultés. »?

    J’ai acheté un livre (qui s’intitule « Les verbes et leurs prépositions ») en espérant que j’aurais pu trouver quelque conseil, c’est un livre très compréhensif.

    Qu’en pensez vous?

    Merci,
    Jianjing

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  13. Anne dit :

    Bonjour Jianjing,
    Je pense que dans toutes les langues, c’est important de savoir quelles prépositions sont associées aux différents verbes, si on veut parler le mieux possible. Cependant, si on se trompe, en général, ce sera compréhensible, sauf s’il y a une différence de sens en fonction de la préposition. Un Français remarquera juste cette erreur mais comprendra quand même. Personnellement, je pense qu’il faut les mémoriser peu à peu, quand on les rencontre, c’est-à-dire apprendre le verbe avec sa construction tout de suite. Je ne sais pas s’il y a des règles et une logique ! Donc à mon avis, il faut faire travailler sa mémoire !

    En ce qui concerne le verbe « s’entraider », il n’est pas vraiment suivi de sa propre préposition. Ici, « pour » est la préposition qui sert juste à exprimer le but, quel que soit le verbe. Par exemple: Les gens travaillent ensemble / coopèrent pour surmonter les difficultés.
    C’est le verbe aider qui est suivi de sa propre préposition: aider quelqu’un à faire quelque chose. (C’est maladroit de dire aider quelqu’un pour faire quelque chose.)

    Je ne sais pas si c’est bien clair !
    Bon courage pour affronter toutes ces prépositions.
    Anne

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