Tout à fait par hasard, il y a quelques jours, j’ai regardé ce documentaire sur Culturebox. Merci, mon fils, d’avoir allumé la télévision ce matin-là! Nous sommes restés jusqu’au bout.
Impossible pour quiconque de le revoir pour le moment mais je partage avec vous un petit reportage qui donne une idée de ce que Valérie Müller nous raconte merveilleusement bien dans Danser sa peine.
J’ai découvert que ce beau film avait été diffusé l’an dernier sur France 3, mais à un horaire bien tardif dans la soirée, ou rediffusé à d’autres moments tout aussi peu pratiques. Bref, qui a bien pu le voir ? Et c’est bien dommage, de penser à tous ceux qui sont passés à côté.
Danser sa peine, parce que Angelin Preljocaj a monté un ballet avec plusieurs détenues de la prison des Baumettes de Marseille, en quelques mois, lors de séances de travail en nombre limité, avec des femmes qui n’avaient jamais dansé de cette manière et il les a amenées sur plusieurs scènes nationales, au Pavillon Noir à Aix et au festival de danse de Montpellier.
On suit leur travail commun, leurs découvertes, leurs apprentissages, leur évolution personnelle, leurs difficultés, leurs conflits parfois, leurs joies. Quand je dis « leur », je parle aussi bien de ces femmes que du chorégraphe lui-même, qui jusque là n’avait jamais eu à faire naître la danse avec des amateurs. On les voit s’apprivoiser les uns les autres, ils apprivoisent leurs corps et leurs émotions. Ils apprivoisent l’espace fermé de la prison, qu’on pénètre avec elles et lui.
On devine les vies compliquées que ces femmes ont eues pour en arriver là, entre ces murs des Baumettes. Mais rien de plus. Il y a beaucoup de pudeur dans cette histoire qu’on nous raconte si bien. On devine les regrets, les galères, les mauvais choix. On est ému par les espoirs retrouvés, la confiance en soi qui revient peu à peu. Et au terme de cette construction, on les admire de monter sur scène. Elles semblent si professionnelles. Et si heureuses, portées par Angelin Prejlocaj. Et nous, spectateurs de cette création, nous sommes portés par sa voix, ses regards, par la délicatesse et la pertinence de ce qu’il met en place, patiemment et rigoureusement. Quel résultat ! J’aurais vraiment aimé assister à l’un de ces spectacles, partager leur trac, leurs émotions et leur joie de danser.
Et voici la transcription du reportage sur Danser sa peine:
« Donc vous vous mettez contre le mur, le dos d’abord. Et puis, vous allez écrire votre nom. Moi, je m’appelle Angelin. Je vais commencer à faire le A avec mon bassin par exemple. Donc je descends là, je fais…
Télérama a choisi cette semaine Danser sa peine, un documentaire de Valérie Müller.
Non, ce qu’il faut, c’est que tu le fasses sans arrêt, comme si c’était une danse en fait, tu vois ? En fait, l’idée, c’est qu’on invente des danses en fait, en réalité, hein, donc c’est-à-dire que par exemple Sofia, elle doit commencer un truc (1), et hop, tout à coup, ça devient vraiment une danse, mais si on sait pas qu’elle écrit Sofia, on se dit que c’est vraiment… elle danse, elle fait un truc bizarre,etc.
A Marseille, dans la prison des Baumettes, le chorégraphe Angelin Preljocaj anime pour la première fois un atelier de danse avec des femmes incarcérées. Le film suit cette aventure pendant quatre mois, des premières répétitions jusqu’aux représentations (2) finales.
Angelin, je suis (3) son travail, oui bien sûr, depuis longtemps. On a même fait un film, un long métrage (4) ensemble. Je lui ai proposé tout de suite parce que je trouvais… D’abord, c’était la première fois qu’il chorégraphiait avec des amateurs. Dans son expérience professionnelle, c’était assez… bah, c’était tout à fait nouveau. Et puis, il y avait ce… cette idée d’emmener ces femmes, détenues, au-delà du travail d’un atelier classique, vers un spectacle et dans un grand festival de danse. Je trouvais que c’était quand même, pour tout le processus que j’ai découvert en filmant, hein, de reconstruction, de l’identité, de réappropriation du corps et ensuite, d’accepter de se montrer devant un public, c’était un travail énorme pour faire… pour ces femmes.
J’ai énormément changé. Je pensais pas être si courageuse. Je pensais pas survivre déjà (5), tout simplement. Et j’y suis arrivée (6). Donc je me dis que, déjà, c’est que j’ai des ressources que je soupçonnais (7) pas et que peut-être que j’en ai encore.
Pour les détenues, au quotidien fait de restrictions et de contraintes, la danse apparaît comme un pied de nez (8) aux barreaux (9).
Ce sont des individus auxquels on peut s’identifier, comme… Voilà, ce sont des femmes qui ont eu des enfants, qui ont des familles, qui ont des parcours de vie professionnelle, et puis, et puis des accidents de la vie aussi, terribles. Et ça, tout de suite, je l’ai ressenti. Je me suis dit : Mais c’est ça qui va faire la richesse aussi du ballet, enfin de la pièce que Angelin a créée avec elles. C’est leur personnalité, leur générosité, leur… et leur expérience de la vie aussi.
A la fois sensuelle et pudique (10), la caméra capte la reprise de la confiance et l’émergence du plaisir. Entre oubli de la détention et processus de réinsertion.
Au début, il y avait énormément de méfiance, énormément de méfiance de la part aussi bien du personnel pénitentiaire (11) que des détenues. Au début, elles voulaient bien être filmées dans le processus du travail de la danse. Mais elles considéraient qu’elles étaient pas forcément intéressantes à filmer au-delà de ça. Et donc, ça a été toute une aventure qu’on a vécue ensemble, c’est-à-dire moi de les rassurer sur… Moi je ne voulais pas… Je voulais juste qu’on identifie des personnalités, des singularités, avec des fortes personnalités, en fait, au bout du compte. Et je pense que ça a été tout un travail, qui s’est fait aussi en parallèle des répétitions, de confiance (12). Moi je leur montrais les images que je… j’ai filmées. Souvent, je faisais les interviews à deux. Comme ça, il y en avait une autre qui pouvait voir ce que je filmais. Et elles étaient contentes. Elles étaient contentes. Elles trouvaient qu’elles étaient belles à l’image, voilà. »
Des explications
- un truc = quelque chose (familier)
- une représentation : un spectacle
- je suis son travail : il s’agit du verbe suivre, qui signifie s’intéresser régulièrement à quelque chose.
- Un long métrage : un film qui dure en général plus d’une heure. Sinon, c’est un court métrage.
- Déjà : premièrement
- y arriver = réussir
- quelque chose qu’on ne soupçonnait pas : qu’on n’imaginait pas, qu’on ne pensait pas possible. On peut dire aussi : des ressources insoupçonnées
- un pied de nez : c’est le fait de défier, de contester quelque chose, s’en moquer. Ici, la danse est le moyen d’échapper à l’emprisonnement.
- les barreaux : ce sont les barreaux de la prison, donc cette partie devient symbole du tout. On dit : être derrière les barreaux / mettre quelqu’un derrière les barreaux, pour dire être en prison / mettre quelqu’un en prison.
- Pudique : ici, cela signifie que la caméra est respectueuse de ces femmes. Le spectateur n’est pas placé dans la position d’un voyeur qui regarderait ces femmes de façon malsaine.
- Le personnel pénitentiaire : c’est le terme utilisé pour désigner tous ceux qui travaillent dans les prisons.
- De confiance : cette fin de phrase va directement avec travail : un travail de confiance. A l’oral, on coupe souvent des phrases d’une manière qui n’est pas vraiment possible à l’écrit, parce que les idées s’entremêlent davantage dans la tête de la personne qui parle.
Un pied de nez : on entend souvent cette expression dans un sens positif, comme ici. Par exemple, il est souvent question de pied de nez à la maladie, quand un malade dépasse sa maladie pour faire quelque chose d’inespéré dans ces circonstances. On dit aussi: C’est un pied de nez aux grincheux, un pied de nez aux rabat-joie, pour parler de quelqu’un qui ne se laisse pas abattre par le pessimisme des autres par exemple. Ou encore un pied de nez au malheur, un pied aux terroristes, un pied de nez à l’histoire.
Bon début de weekend et à très bientôt, avec quelques photos d’un endroit magnifique!