L’imparfait pour un grand-père parfait

Elle dit : « Mes grands-parents habitaient en Italie. L’été, nous allions en vacances chez eux. Mon grand-père nous faisait faire plein de choses inhabituelles. C’était la belle vie ! »

C’est un joli temps, l’imparfait en français. Il fait resurgir des souvenirs oubliés et leur donne de l’épaisseur. Il permet de peindre le tableau d’une époque qui n’est plus. Il nous transporte ailleurs, dans le temps.

C’est ce que fait Marina Foïs dans cette petite conversation qui a glissé de son présent d’actrice vers son enfance de petite fille aux multiples origines. Et c’est comme si son grand-père était là devant nos yeux, offert à notre imagination à travers tous ces verbes à l’imparfait. Marina, elle, a les yeux qui brillent en parlant de lui, c’est sûr. Très jolie déclaration d’amour.

Transcription :
Ouais, l’Italie, ça a été important, puisque j’avais un grand-père que j’adorais, qui s’appelait Paolo Foïs. Moi, je… je viens d’une famille très immigrée de partout, très mélangée : un grand-père russe marié à ma grand-mère qui était juive d’Egypte. De l’autre côté, c’est un Italien marié à une Allemande, et nous, on a vécu en France. Je suis vraiment un produit de l’immigration, sauf que je suis pas… je viens pas de l’immigration prolo (1). Donc je pense que c’est une immigration plus facile quand même, moins humiliante. Ma famille n’a pas été les ouvriers des Français, ni les boniches (2) des Français. Je pense que ça change beaucoup dans… dans l’histoire de quelqu’un. Mais à part ça, je pense que le fait de… d’être issu de gens qui viennent de partout et de nulle part…Et j’adore la phrase de Salman Rushdie que je cite tout le temps, qui est : «Un homme n’a pas de racines, il a des pieds ».

C’était qui votre grand-père italien ?
Paolo Foïs. Il était architecte et inventeur, extrêmement beau, sarde (3), plein de fantaisie, très singulier. Il avait une vie qui ressemblait à celle de personne. Il me faisait conduire sa voiture quand j’avais deux ans, sauf que dans le pré, il en avait rien à foutre(4). Il prenait… C’était un dingue(5) ! Il prenait les sacs de bonbons, mais énormes, de sept kilos, et on traversait des villages. Et… c’était des petits villages en Italie du nord, près de Bergamo, on traversait les villages et les mômes, ils faisaient «Architetto Foïs, architetto Foïs ! », il avait une décapotable bleue, et on jetait les bonbons comme ça. Il y avait pas d’horaires. Mais c’était n’importe quoi(6) ! Il disait… tout d’un coup à dix heures du soir, il nous disait : « Faut qu’on aille construire un lit superposé. » Donc on allait dans son atelier, il nous construisait un lit superposé. Il avait fait des petits téléphones pour mon frère et moi puisqu’on était sur des lits superposés, avec des os de poulet, reliés par des fils de pêche. Et on avait deux petits clous. Comme ça, on posait le combiné. L’os de poulet, ça faisait combiné, et donc il avait dessiné sur le mur les cadrans où on se téléphonait avec mon frère ! Enfin… Il peignait les rochers dans la forêt, il faisait des têtes de monstres, donc on allait dans la forêt visiter des monstres et tout… Enfin c’était… Ou on attendait les écureuils. Il avait fait aussi tout un truc, tout un parcours avec des noisettes, parce qu’ils habitaient un peu dans la montagne, donc tout un parcours dans les arbres et le soir, on regardait pas la télé. On avait le droit de la regarder beaucoup dans la journée, toute la journée même si on voulait. Et le soir, après le dîner, on s’asseyait dehors et on attendait que les écureuils viennent manger les noisettes. Enfin voilà ! C’était un mec(7), je l’adorais !

Quelques détails :
1. prolo : abréviation de « prolétaire ». L’abréviation est devenue de l’argot pour parler de quelqu’un de pauvre.
2. une boniche (ou une bonniche) : terme péjoratif pour désigner une bonne, une servante, quelqu’un qui est au service de gens plus riches.
3. sarde : de Sardaigne
4. il en avait rien à foutre : plus poliment, on dit « Il n’en avait rien à faire » = ce n’était pas un problème pour lui, ça ne l’embêtait pas de faire des trucs aussi fous, ça lui était compètement égal.
5. un dingue : un fou.
6. C’était n’importe quoi ! = expression pour dire qu’il n’y avait aucune discipline, aucune règle.
7. un mec = un homme, en argot.

2 réflexions sur “L’imparfait pour un grand-père parfait

  1. Franco Musu dit :

    Et j’adore la phrase de Salman Rushdie que je cite tout le temps, qui est : «Un homme n’a pas de racines, il a des pieds ».

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