De l’Alsace à l’Afghanistan

J’ai toujours lu des bandes dessinées. Il faut dire qu’enfant, on grandissait avec Tintin et Milou, Astérix et Obélix, Blake et Mortimer, entre autres. A la bibliothèque, on n’avait pas le droit prendre uniquement des BD. Deux raisons à cela: il en fallait pour tout le monde et en emprunter plus de deux voulait dire que certains enfants n’en trouveraient plus dans les bacs. Mais surtout, beaucoup d’adultes considéraient que lire des BD, ce n’était pas lire ! Et ils n’en lisaient pas, ou plus, eux-mêmes. Lire, c’était emprunter de « vrais » livres, avec de vrais mots, de vraies phrases. Du sérieux !

Les choses ont bien changé !
– Le rayon BD des bibliothèques et des librairies occupe un bel espace, habité par des lecteurs assis par terre, complètement absorbés par les albums qu’ils ont entre les mains. Et ces lecteurs ne sont pas uniquement des enfants. Au contraire.
– Les mangas ont une foule de fidèles.
– Certaines BD, absolument magnifiques, riches de dizaines de détails, sont un vrai régal pour les yeux.
– D’autres s’appellent aujourd’hui des romans graphiques et racontent des histoires subtiles, complexes, qu’on ne lit pas en cinq minutes.
Le Festival d’Angoulême, tous les ans, rassemble tout ce qui se fait de mieux dans ce domaine.
– Beaucoup de jeunes auteurs (français ou autres) ont la chance d’avoir un public.
Bref, la BD a gagné ses lettres de noblesse* et a désormais le vent en poupe*.

Nicolas Wild – oui, oui, il est français! – le sait bien, puisque ses albums, Kaboul Disco, ont du succès.
Parcours original, très inattendu.

Voici la présentation qui est faite au dos du tome 1 (en quatrième de couverture, comme on dit) :
En 2005, Nicolas Wild, dessinateur de bandes dessinées sans domicile fixe, trouve enfin un boulot dans ses cordes. Seulement, c’est un peu loin: à Kaboul, dans un Afghanistan tout juste « sorti » de la guerre. Le voilà donc transporté dans une capitale en crise, chargé de dessiner une adaptation BD de la constitution afghane, puis d’illustrer des campagnes de sensibilisation, aux dangers de l’opium par exemple. Un regard ironique et pertinent sur les réalités de l’Afghanistan. (et sur la vie d’expatrié dans un pays qui est loin d’être un pays tranquille.)

Et voici ce qu’il en dit:


Transcription:
– C’est… C’est un beau pays très magique. Une terre de contrastes, comme on dit. On a travaillé sur les droits des femmes, sur les dangers de l’opium. Enfin, c’était une façon originale de découvrir un pays en y travaillant et chaque projet était un peu une clé qui nous donnait accès à… à un aspect différent de l’Afghanistan, de la reconstruction de l’Afghanistan.
Nous, souvent le weekend, on sortait quand même dans la rue, pour se promener, pour un peu se perdre. Mais moi, enfin, dès que j’étais dehors dans la rue, même… Il y avait toujours une petite boule d’angoisse au fond de moi, genre (1) « Il pourrait se passer quelque chose ».
Ce que je trouvais amusant, c’est de raconter dans Kaboul Disco, raconter en bandes dessinées comment j’étais en Afghanistan pour faire des bandes dessinées pour les Afghans. Et c’est une espèce de mise en abyme (2) que je trouve assez amusante. Et c’est vrai qu’on a fait beaucoup de projets didactiques (3) pour les Afghans, et Kaboul Disco, c’est… Inconsciemment, j’ai fait pas mal de passages didactiques pour les Français en fait, pour expliquer un peu l’histoire, et… Et je pense que tout ce que j’ai fait en Afghanistan pour les Afghans a nourri un peu mon côté didactique que je mets dans les BD (4) que je fais maintenant pour un autre public.
Vous auriez pu être un dessinateur en pantoufles (5) et finalement, vous êtes toujours par monts et par vaux (6). C’est pas un hasard.
– En fait, j’ai commencé à voyager quand j’étais aux Arts Décoratifs (7) à Strasbourg, parce que j’ai vécu en Alsace (8) genre jusqu’à 20 ans. Donc une région où on aime bien vivre en pantoufles, où on mange bien. Enfin c’est une région assez paisible. Et à partir de là, je me suis… je me suis dit: « Voyons ce qui se passe dans (9)cette planète. Voyageons, soyons fous ! »
– Et vous avez continué.
– Eh oui ! Ce qui me manque, c’est un peu l’adrénaline, enfin le… le… Je connais des gens, des journalistes ou des militaires qui ont vraiment été sur le terrain, qui ont… pendant des combats. Et c’est une véritable drogue, l’adrénaline, ça procure des sensations fortes. Et il y a beaucoup de gens qui travaillent dans des pays en guerre qui peuvent plus revenir en Europe. Ou ils reviennent et ils font une dépression nerveuse, ou ils repartent directement dans un autre pays en guerre.
Ce qui est pas votre cas, apparemment.
– Non, non ! Moi, j’aime bien retourner en Alsace, remettre mes pantoufles (10). Soyons fous !

Quelques explications:
1. genre: utilisé comme ça, ce mot montre qu’on va donner un exemple.  (familier) C’est un raccourci de « du genre ». C’est comme dire « Je vais vous donner une idée de ce que je raconte ».
2. une mise en abyme:c’est un procédé artistique dans lequel il y a une oeuvre dans une oeuvre du même type. Ici, dans cette BD, Nicolas Wild se dessine en train de dessiner des BD.
3. des projets didactiques: des projets destinés à enseigner quelque chose aux gens.
4. une BD: abréviation très courante de « une bande dessinée ».
5. des pantoufles: des chaussons, qui symbolisent le fait de mener une petite vie très tranquille à la maison, sans risques. On utilise aussi l’adjectif « pantouflard » pour qualifier quelqu’un qui n’a pas envie d’aller voir le monde.
6. par monts et par vaux: partout dans le monde. Quelqu’un qui est toujours par monts et par vaux, c’est quelqu’un qui n’est jamais chez lui, qui bouge et voyage tout le temps. C’est l’opposé d’un pantouflard.
7. Les Arts Décoratifs = l’école des Arts Décoratifs. On dit souvent juste: il a fait les Arts Décos, pour dire qu’il est allé dans cette école.
8. L’Alsace: une des régions de France, dans l’est du pays, à la frontière avec l’Allemagne.
9. dans cette planète: normalement, on dit plutôt « sur cette planète« . Il y a sûrement téléscopage dans sa tête avec l’expression « dans le monde ».
10. remettre mes pantoufles: cette image signifie qu’il est content aussi de rentrer chez lui et de reprendre une vie tranquille et ordinaire.

* avoir le vent en poupe: avoir beaucoup de succès. C’est comme un bateau qui profite d’un vent favorable et qui file à toute allure. La poupe, c’est l’arrière du bateau.
* gagner ses lettres de noblesse: c’est quand un art est reconnu, alors qu’il était considéré comme mineur. (Les lettres de noblesse étaient les documents officiels par lequel le roi de France anoblissait ceux qui n’étaient pas nobles par leur famille et les faisaient ainsi accéder à un statut supérieur dans la société.)

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