Pour aller à l’Institut Pasteur le matin, je traverse le jardin du Luxembourg. Chaque année, un jour de printemps, en pénétrant dans le jardin, je ressens le même choc, la même stupéfaction. Chaque année, c’est le même émerveillement devant les bourgeons qui éclatent et commencent à éclore; devant ces débuts de feuilles, cette dentelle verte qui décore les branches et tremble sous la brise,comme si elle craignait de rater son coup. Mais le stupéfiant, c’est qu’elle ne le rate jamais. C’est que, une fois encore, le système fonctionne. Une fois encore, les jours vont s’allonger, la lumière et la chaleur revenir, les feuilles se former, puis les fleurs et les graines. Animaux et végétaux vont exploser de vie et de croissance. Pas le moindre accroc, pas la moindre défaillance. Le programme est immuable. Indifférente aux affaires des hommes, la grande machine de l’univers continue de tourner, inexorable.
Plus que l’océan et les tempêtes, plus que la montagne et ses glaciers, plus que la voûte céleste et ses galaxies, le retour de ce petit frisson vert qui parcourt les arbres et vous surprend un matin de printemps me donne, avec la force de l’évidence, l’impression d’assister au spectacle grandiose qui, depuis quelque douze milliards d’années, agite la grande scène de l’univers.
François Jacob. La souris, la mouche et l’homme (Chapitre 1)

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Plaisir des textes et des expériences qui résonnent en nous.
Plaisir de trouver dans les mots des autres ce qu’on ne dit pas assez bien.
Emerveillement toujours renouvelé de ces rencontres.
* à vue d’œil: De la pluie qui alterne avec du soleil, des températures douces, et tout pousse à vue d’œil, c’est-à-dire tellement vite qu’on a presque l’impression de voir les métamorphoses du jardin se produire sous nos yeux.
Au sens figuré, on dit aussi d’un enfant qu’il grandit à vue d’œil, de quelqu’un qu’il maigrit (ou grossit) à vue d’œil, d’un paysage qu’il change à vue d’œil, d’un glacier qu’il fond à vue d’œil.