Transhumance

Hiver nomade1

J’étais en train de terminer ce billet mercredi matin quand les nouvelles terribles de l’assassinat des journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo ont commencé à tomber. Ce billet parlait de lenteur, de tranquillité, à la suite d’un beau documentaire sur lequel j’étais tombée quelques jours auparavant et qui m’avait emmenée sur des chemins et des petites routes de Suisse, aux côtés d’un grand troupeau de moutons, en plein hiver. Surprise car pour moi, la transhumance était synonyme d’été. Mais là, froid, neige, brume et silence. Voyage en compagnie d’un berger, d’une jeune bergère et de leurs chiens très habiles à conduire ce grand troupeau. Voyage d’un autre temps, très bien filmé. En voici un petit écho sonore. Quel dommage que vous ne puissiez pas voir ces images paisibles!

Transhumance

Transcription :
– Akem, viens, Akem ! Il y a combien de moutons, là, en tout ?
– Huit cents.
– 800 ! On dirait pas du tout, hein ! On dirait qu’il y en a nettement moins (1).
– Si vous les comptez, peut-être vous en trouverez nettement plus !
– Ah ouais ?
– C’est la première fois que vous voyez un troupeau de moutons ?
– Non, bah le voisin, là-bas en bas, il en a, des moutons. Donc c’est pas la première fois.
– Non, mais je parle d’un troupeau de transhumance.
– Non. Alors de… Oui. Oui, vu que déjà je sais pas ce que ça veut dire le mot transhumance.
– Vous savez pas ce que ça veut dire ?
– Pardon ?
– Transhumance ?
– Ouais ?
– Ça veut dire un déplacement d’un point à un autre, c’est un voyage.
– OK. Mais il y a un but défini ou bien…
– Alors le but, c’est de les faire… de les engraisser, de les faire manger. Et après, ils sont destinés à la consommation. Donc ils sont mangés.
– Les moutons.
– Oui.
– Vous faites ça pour combien de temps ?
– Quatre mois.
– Pendant quatre mois.
– Là, c’est la période morte, un peu, où la végétation est en repos. On glane (2) tout ce qui… tous les résidus, tout ce qui est resté.
– Ouais, ouais.
– Tout ce qui n’a pas pu être fauché ou récolté.

– Non, mais des jeunes, tu en connais qui… qui vont faire ce métier ?
– Non, malheureusement non.
– Ça va se perdre, ça. Ça va se perdre (3).
– Ouais. Oui, parce qu’il faut quand même… C’est une présence (4) quand même…
[…]
– Vingt-quatre heures sur vingt-quatre (5) avec le troupeau.
– Bah la semaine, c’est…
– Tu as pas de samedis, tu as pas de dimanches.
– Tu peux pas prendre de congés (6), hein.
– Et puis il faut être à tous les temps (7), je pense c’est comme un marin.
– Ouais.
– Il y avait beaucoup d’Italiens qui passaient chez nous avant. Que des Italiens.
– Ouais, parce que c’est vraiment une tradition bergamasque (8), tu vois. En fin de compte, j’ai commencé comme ça, avec des Bergamasques, en transhumance, pour apprendre. J’étais avec Piero Salmodeli. Alors, il parlait pas un mot de français, donc j’ai dû me mettre à (9) l’italien. Mais après, il était tellement content de moi – pourtant, j’étais à l’aide, moi, tu vois, alors j’étais […]. Alors après, il m’appelait l’Américain parce que je me débrouillais de partout (10), j’allais chercher la botte de paille, j’allais faire les courses, alors il était content. Puis en plus, j’étais motivé, quoi, parce que c’était quelque chose qui me tenait à cœur (11). Mais qu’est-ce que j’ai pu me prendre comme bordées (12), parce qu’ils sont… ils sont durs, les Bergamasques, hein ! En plus, pour le premier hiver, on buvait du lait, on allait chercher du lait dans la ferme, puis on mangeait du lard et puis… et puis du fromage, et puis terminé, hein ! On faisait même pas un feu !
– Même pas un feu !
– Non, on mangeait même pas chaud.
– Tu avais quel âge ?
– Bah j’avais vingt ans. Maintenant, ça fait quoi ? Trente-deux ans que je fais ça.
– Trente-deux ans ?
– Donc je tiens encore la route ! (13) Et puis…
– Tu as fait la première moitié !
– Tu en as encore pour… encore vingt ans !

– Oh Carole !
– Ouais !
– On passe par là, parce que le gars là, il veut pas qu’on traverse ses parcelles (14) là-bas.
– Ah, ils font chier (15), hein !

Des détails :
1. nettement moins / nettement plus : beaucoup moins / beaucoup plus.
2.Glaner : ramasser les épis de blé qui restent dans les champs après la moisson.
3. se perdre : ici, cela signifie disparaître. On peut l’employer à propos de traditions, de savoirs, de connaissances, de compétences par exemple.
4. C’est une présence : cela signifie que le berger est obligé d’être présent tout le temps.
5. 24 heures sur 24 : de la même façon, on dit : 7 jours sur 7.
6. des congés : des vacances.
7. Il faut être à tous les temps : cette phrase est un peu bancale. Il vaudrait mieux dire : Il faut être là par tous les temps, c’est-à-dire quelle que soit la météo.
8. Bergamasque : de la région de Bergame, en Italie.
9. Se mettre à quelque chose : commencer à faire quelque chose. Par exemple : il s’est mis au footing. / Il s’est mis au jardinage. / Elle s’est mise au bricolage.
10. De partout : il faut dire simplement partout.
11. Tenir à cœur : être important pour quelqu’un. En général, on l’utilise de la manière suivante, dans cet ordre : Que ses clients soient contents, c’est quelque chose qui lui tient à cœur. / Il fait tout pour ses clients. Ça lui tient à cœur.
On peut aussi utiliser l’expression avoir à cœur de + verbe : Il a à cœur de bien faire / de satisfaire ses clients.
12. Une bordée : en général, on parle d’une bordée d’injures, une bordée de coups, pour indiquer un nombre important de coups, d’injures.
13. Tenir encore la route : être encore en forme et capable.
14. Une parcelle : un morceau de terrain, dont les limites sont bien définies et qui appartient à quelqu’un.
15. Ils font chier : Ils nous cassent les pieds, ils sont pénibles. (C’est une insulte, peu polie évidemment.)

2 réflexions sur “Transhumance

  1. Rick Ellis dit :

    Bonjour Anne,

    Merci d’avoir partagé ce beau paysage et un goût de la « vraie vie » des gens qui y habitent. C’est la vie à la campagne qui est pour moi une partie essentielle du patrimoine de l’Europe, qui est même plus importante aujourd’hui qu’auparavant, et que l’on risque de perdre, malheureusement.

    J’ai dû sourire en écoutant l’anecdote sur sa formation en Italie et le surnom « l’Américain » qu’il a été donné par Piero Salmodeli. Les choses ont changé un petit peu depuis, certes. Je conseille le film « Food Inc. » pour un regard très révélateur sur la vie actuelle à la campagne en Amérique, et l’entreprise machiavélique qui est, de plus en plus, sa « propriétaire ».

    A la prochaine,

    Rick

    J’aime

  2. Anne dit :

    Bonjour Rick, merci pour ton conseil. Il faut que je voie ce film, même si je sais que ça va me démoraliser !
    Ce qui est bien quand même, c’est qu’on observe aussi dans le monde des réactions à ces évolutions.

    J’aime

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